Du temps de Donald Trump, les choses étaient finalement plus simples, avec l’Amérique du milieu contre celle des côtes. Avec Joseph Biden, ce n’est finalement guère plus compliqué : les USA tournés vers le lointain ont pris leur revanche sur l’enracinement incarné par son prédécesseur. Seulement voilà, autant le bloc électoral ayant soutenu Donald Trump demeure à peu près homogène, non point d’un point de vue ethnique – nombreux sont les Afro-Américains et les Hispaniques à lui avoir apporté leurs suffrages -, autant la coalition ayant permis la victoire de Biden est autrement plus fluide, puisque addition de minorités pas toujours friendly entre elles.
Car après l’union de façade contre le Grand Satan trumpien, on constate sans surprise qu’une minorité opprimée trouvera toujours plus opprimé et minoritaire qu’elle. Ainsi, au grand bal multicolore, il est des invités auxquels les instances progressistes de Washington ont oublié d’envoyer le carton d’invitation : l’AAPI, par exemple, soit l’« Asian Americans and Pacific Islanders », se sentant stigmatisée d’avoir dû se contenter des restes du banquet.
Pourtant, Joe Biden avait mis les petits plats dans les grands : une Amérindienne à l’équivalent de notre ministère de l’Intérieur, un Cubain dans les proches dépendances du ministère en question, un homosexuel aux Transports et un transgenre indéterminé à celui de la Santé. Mais l’AAPI, dont les enfants sont déjà discriminés à l’entrée des universités, commence à renauder, surtout depuis le massacre d’Atlanta, perpétré le 16 mars dernier ; lequel aurait été perpétré en raison de l’origine asiatique des employés de ce salon de massage, théâtre du carnage, où six femmes et deux hommes auraient pu être abattus pour des motifs susceptibles d’avoir eu trait au Covid, là-bas surnommé « virus chinois ».
Résultat ? Tammy Duckworth, sénatrice d’origine thaïlandaise mais ayant vu le jour en Illinois, forte du soutien de Mazie Hirono, originaire d’Hawaï, ont menacé de bloquer toute future nomination au Sénat. Ce qui n’est pas exactement de la dinde pour Thanksgiving, sachant qu’en cette enceinte, les élus démocrates regardent autant d’édiles républicains en chiens de faïence. Pour trancher le nœud gordien, la Maison-Blanche fait donc valoir les origines asiatiques de Kamala Harris, sa mère étant née en Inde. Mais l’AAPI rétorque aussitôt : « C’est insultant ! Dirait-on aux Noirs que Kamala Harris est noire et qu’il n’y a pas besoin d’autres Afro-Américains au sein de l’administration ? »
Le problème, c’est que Kamala Harris n’est pas vraiment noire, son père étant né en Jamaïque, pays hautement métissé – même le père de Bob Marley était un officier britannique bon teint –, tandis que sa mère indienne, malgré la proximité géographique, ne participe en rien de la sphère culturelle asiatique : de New Delhi à Pékin, il y a loin.
On ajoutera encore que les parents de la 49e vice-présidente des USA n’ont, d’un point de vue sociologique, que peu de chose à voir avec le ghetto de Harlem : papa est économiste et professeur émérite à Stanford, là où il rencontre maman qui, elle, est doctorante en endocrinologie. Si l’on met de côté les considérations raciales pour en revenir au champ social, on admettra que Kamala Harris a toujours évolué dans la haute société, contrairement aux ploucs votant pour Donald Trump. Salaud de pauvres !
En attendant, l’AAPI exige que leurs compatriotes soient mieux représentés. Plus facile à dire qu’à mettre en œuvre : avec un seul représentant sur 23 dans le cabinet Biden, les Asiatiques représentent 4,5 % du cabinet en question alors qu’ils pèsent 5,5 % de la population. Une seconde nomination ferait donc grimper leur représentation à 18 % et provoquerait la colère d’autres minorités données pour être « discriminées » mais qui, une fois arrivées au pouvoir, ne font jamais rien que de s’entre-déchirer.
À la place de Donald Trump, on se claquerait les cuisses de rire.
Photo : Kamala Harris et Joe Biden. © archna nautiyal / Shutterstock