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Jack Lang

Jack Lang le Mirifique (4/9)

Jack Lang est immortel, même si son Institut à lui n’est pas logé quai de Conti, sous la Coupole. Jamais la France n’eut un pareil ministre, le grand Mamamouchi de la Culture. Cultissime et cucultissime.

Jack Lang est une fête à lui tout seul, rococo et frisotée comme une diva. Il vit dans le kitch, le strass et les paillettes, en mendiant jamais rassasié de gloire et de célébrité. Plus que tout, il adore être admiré, Jack le Magnifique, à l’instar de Laurent de Médicis à qui il a consacré un livre, en 2002, qui commence comme une biographie et s’achève comme une hagiographie de lui-même.

À près de 83 ans, il préside toujours l’Institut du monde arabe, où Macron, bon prince, l’a reconduit en 2020. Cela lui permet de courir les vernissages et les cocktails dans un tourbillon de mondanités, pareil à un personnage de Francis Scott Fitzgerald, avec quelque chose du Portrait de Dorian Gray, en homme qui a trouvé dans les séances de lifting le moyen d’échapper aux flétrissures du temps.

Le premier des courtisans

Finie l’époque où il devait aller consoler les damnés de la terre dans la sixième circonscription du Pas-de-Calais, un trou à rats charbonneux peuplé de Tuche, où il aura été député de 2002 à 2012. Un grand moment de fraternité : le milord descendant à la mine étrenner ses costumes de marque, ses cols Mao griffés Thierry Mugler et ses rayures carcérales signées Daniel Buren !

Il faut se plonger dans les mémoires du duc de Saint-Simon pour trouver un courtisan de cette trempe. François Mitterrand, qui connaissait à fond son Grand Siècle, a trouvé en lui le plus fervent des mitterrandolâtres, d’une indéfectible fidélité canine – même si l’hôte de l’Élysée lui préférait Baltique, le labrador présidentiel, qui remuait la queue avec plus d’élégance, sans demander son reste. Mitterrand était injuste. Le meilleur dans l’homme, c’est le chien, disait le grand Alexandre Vialatte. La preuve par Jack, féal dans l’âme, qui reste fidèle au gang de Marrakech et à Dominique Strauss-Kahn qu’il retrouve là-bas pour soigner son bronzage.

Incapable de faire cent mètres sans héler un taxi ou une chaise à porteur, Jack a pourtant grimpé un nombre incalculable de fois la roche de Solutré en mocassins vernis avec l’entrain d’un premier de cordée. Et toujours sur la photo au sommet. Du grand art. Le sadisme de Mitterrand se délectait de cet hommage rituel et pédestre que ses courtisans lui rendaient chaque année le jour de la Pentecôte.

Le superministère « de la Beauté et de l’Intelligence », c’est lui

Jack fut le Nicolas Ceausescu pop et techno de la rue de Valois, renvoyant Malraux dans la préhistoire de l’art moderne. En 1981, le 10 mai de l’an I (l’hégire des socialistes), il rêvait d’un superministère « de la Beauté et de l’Intelligence », lui à sa tête. Mitterrand le rappela au sens des réalités publiques. Ça sera le ministère de la Culture. Libre à Jack de le transformer en squat culturel.

Comme la reine d’Angleterre, il a la réputation de n’avoir jamais le moindre centime sur lui. Sur les avions de ligne Air France, il ne se prive pas d’exiger le salon d’honneur en Roi-soleil de la culture, peu lui importe de ne plus exercer de responsabilité gouvernementale, sinon jouer les utilités auprès de Macron ou de Sarkozy, qui l’a débauché un temps – on ignore à quel prix.

Si sa parole est d’or, ses dépenses sont somptuaires. Mais chut, Jack est très sourcilleux sur les questions d’argent. Sophie Coignard, et Alexandre Wickham, qui, dans L’Omerta française, lui reprochaient d’avoir largement ponctionné sur les fonds secrets de Matignon (quelque 8,4 millions de francs tout de même), ont été condamnés. Dont acte. Se méfier des procès : Jack est procédurier. L’irremplaçable Jean-Edern Hallier a dû lui verser, à lui et à son épouse, Monique Lang, 250 000 francs pour avoir malmené le bougre et plus encore la bougresse.

Appelez-le Monsieur l’ambassadeur du génie français

Les Lang ont malgré tout une propriété cossue dans le Luberon et un somptueux (et stratégique) duplex place des Vosges. 165 mètres carrés rien que pour lui et pour Madame. Les chauffeurs et gardes du corps du couple étaient, paraît-il, intarissables sur Monique quand son mari trônait rue de Valois (mais on n’en trouve plus aucune trace sur le Net). Ils l’avaient rebaptisée « Madame 30 % ». Apparemment, c’était la ristourne qu’elle demandait chez les grands couturiers au temps de la splendeur de Jack, qui balaye ses accusations, comme celle de la brigade financière qui lui cherche des poux. « J’ai toujours été un ambassadeur de la mode », se défend-il.

Pour se faire une idée de Monique Lang, il suffit de penser à la mère Ubu. C’est ce que recommandait Antoine Vitez à ses comédiens quand il adaptait Ubu roi au Théâtre national de Chaillot en 1985. « Pour ce personnage, c’est facile… Il n’y a qu’à calquer ton jeu sur Monique… C’est sa voracité et son ambition qui m’intéressent. » Ubuesque, ainsi fut le long règne de son mari, dix ans de Jack Pride qui firent prendre un coup de vieux à la France, ex-mère des arts, des armes et des lois.

Prochain épisode : Pierre Bergé, le milliardaire rose (5/9)

Épisode précédent :
Brève histoire de la gauche caviar (1/9)

Bernard-Henri Lévy, le Rienologue milliardaire (2/9)
Dominique Strauss-Kahn, cherchez les femmes ! (3/9)

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