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Il n’y pas de grand homme pour son valet de chambre

Imaginez l’histoire d’un esclave heureux, ô scandale ! C’est le pari qu’a fait Lydéric Landry dans un premier roman hilarant, L’Essuie-main de l’empereur, qui romance la vie de l’empereur Commode (161-192), un souverain pas vraiment commode, comme on sait. Il en a tiré un livre léger et rafraîchissant qui, pour s’en tenir à la stricte vérité historique – et elle est ici indifféremment nord-coréenne, caligusleque ou néronienne –, se lit comme une suite à la Vie des douze Césars de Suétone.

Le grand public a découvert le fils présumé de Marc Aurèle grâce au film de Ridley Scott, Gladiator, à travers l’interprétation de Joaquin Phoenix. Mais là où Ridley Scott a fait le choix de juger – sévèrement (difficile de faire autrement) – le règne de Commode depuis le point de vue du général romain Maximus Decimus (Russell Crowe), Lydéric Landry a choisi de nous faire pénétrer dans le palais des Césars à partir de l’escalier de service, à travers les aventures et les mésaventures d’un jeune esclave, répondant au nom de Modus, appartenant à la suite impériale. Un garçon débrouillard, faussement ingénu et fort peu chrétien.

Il n’y pas de grand homme pour son valet de chambre, a dit Hegel. À dire vrai, Modus n’est pas le valet de chambre de Commode, mais son essuie-main, poste envié qu’il occupe en raison de ses cheveux crépus, qu’il tient de ses origines nubiennes. Pour le dire crûment, c’est le peigne-cul et le torche-fesses de l’empereur, dont l’hygiène irréprochable nécessite qu’il s’essuie les mains sur son esclave frisottant en toute circonstance, après avoir forniqué, déféqué ou mangé.

L’Essuie-main de l’empereur est une sorte de péplum domestique mené tambour battant – « un roman historique qui a mal tourné », indique très justement la quatrième de couverture, « tenant à la fois d’une comédie de Plaute et d’un épisode de la série Kaamelott ». Croyez-la sur parole. On y croise Marcia, chrétienne, maîtresse favorite de Commode… et régicide. Saül pleureur, le secrétaire de l’évêque de Rome, Victor, disposé à transformer les chrétiens en steak tartare pour la ménagerie impériale à seule fin d’édification des foules païennes, et prêt à convaincre ce fou de Commode qu’il est une sorte de Jésus aux superpouvoirs pour peu qu’il se dise chrétien. Un géant breton élevé par les ours qui collectionne les testicules de mammifères. Une Nubienne au sublime déhanchement fessier. Un « camélopard », croisement improbable de chameau et de léopard. Des contingents d’autruches auxquelles Commode transperce le cou d’une flèche devant des Romains en liesse, ravis que leur empereur ait des passions aussi futiles que les leurs.

Du pain et des jeux. À croire que l’épigramme de Juvénal a été inventée pour Commode. Sa mégalomanie infantile ne s’épanouissait nulle part aussi bien qu’au Colysée, où il campait le rôle d’animateur vedette des divertissements impériaux. Guy Lux n’a rien inventé.

Lydéric Landry, L’essuie-main de l’empereur, 246 p., 15 €.

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