Toutes les idéologies dominantes opposent, dans leurs discours, le tiers-monde et l’Occident. Quels que soient les critères pris en compte, les définitions fonctionnent toutes selon le même principe d’exclusion. Le christianisme fut ainsi le premier à opposer infidèles et croyants, perpétuant pendant des siècles cette vision manichéenne du monde. Au XVIIIe siècle, le bon sauvage a beau connaître une existence paradisiaque, il n’en demeure pas moins un « sauvage », que les philosophes opposent cette fois au civilisé. Inversant cette proposition, le rationalisme distingue à son tour les peuples occidentaux civilisés des peuples non civilisés. Dans leur analyse de la croissance économique, les théories libérales ne font, elles aussi, qu’opposer l’Occident développé au tiers-monde en voie de développement. Qu’elles soient de droite ou de gauche, progressistes ou réactionnaires, les idéologies occidentalistes restent soumises à cette logique manichéenne. L’occidentalisme nie l’identité de l’Autre, qu’il perçoit d’abord comme non chrétien, non civilisé ou non développé… Sans imaginer un seul instant que cet Autre puisse être tout simplement lui-même. Ce refus de l’altérité relève d’une démarche essentiellement raciste. Implicitement, c’est toujours le monde blanc que l’on oppose au monde de couleur. La notion même d’Occident est en fait le produit d’une idéologie et ne recouvre aucune réalité géopolitique, culturelle et même économique (où classer l’Argentine, pays blanc en voie de sous-développement, ou le Japon, pays de couleur hyper développé ?) Les mots ne sont pas neutres. Le concept d’Occident piège celui qui l’emploie. Parler d’Occident, c’est à la limite reconnaître son existence et admettre la logique qu’il véhicule. C’est adopter implicitement l’idéologie dont il est le produit.
Encadré de l’article Pour en finir avec la civilisation occidentale extrait du numéro 34 de la revue Éléments (Avril 1980).