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Homo Néandertal était un peu Sapiens

Homo Néandertal était un peu Sapiens

Souvent (mal) utilisée à des fins idéologiques, la recherche sur l'origine de l'homme n'en reste pas moins une science passionnante, révélant une généalogie toujours plus complexe et plurielle, allergique aux simplifications partisanes. Plongeons avec Gabriel Piniès dans les arcanes d'une foisonnante histoire d'homo.

Une nouvelle étude1 publiée dans la revue Cell le 13 octobre 2023 nous en dit plus sur les liens précoces entre Homo Sapiens et Homo Neandertal en Europe. Intitulée « Diverse African genomes reveal selection on ancient modern human introgressions in Neanderthals » a séquencé l’ADN de 180 individus actuels provenant de 12 populations africaines très différentes. Nous savions déjà que lorsque nos ancêtres Homo Sapiens sont sortis d’Afrique il y a plusieurs dizaines de milliers d’années et que tous les humains non-subsahariens avaient de 1,8% à 2,8% d’ADN néandertalien (2% en moyenne) à la suite d’épisodes d’hybridation survenus il y a environ 50 000 ans.

Nous savons désormais qu’Homo Neandertal a reçu un apport génétique provenant d’Homo Sapiens il y a environ 250 000 ans en Europe. Cela complète les résultats d’une étude2 publiée dans la revue Science en 2020 qui montrait que tous les chromosomes Y des Néandertaliens séquencés provenaient d’une population proche de Sapiens entre -300 000 et -150.000 ans. Pour bien visualiser, l’ancêtre direct entre Homo Sapiens d’une part et d’autre part à la fois Homo Neandertal et Homo Denisova est daté à 700 000 ans. L’ADN mitochondrial (ADN non-nucléaire, transmis uniquement par la mère, il indique l’origine de la lignée maternelle directe à travers les millénaires) des Néandertal séquencés par cette étude a aussi été remplacé par des lignées Sapiens. L’ADN mitochondrial du plus ancien Néandertal séquencé date de 400 000 ans, le squelette provient du fameux site La Sima de los Huesos près de Burgos en Espagne. Cet individu présente bien un ADN mitochondrial néandertalien proche de celui de son cousin Homo Denisova, preuve que l’hybridation eut lieu plus tard.

Un population d’Homo Sapiens passée sous les radars

Une population d’Homo Sapiens précoces a donc quitté l’Afrique il y a environ 250 000 ans en passant sous les radars des archéologues et a été absorbée par les Néandertaliens locaux. D’après l’étude, jusqu’à 6% du génome des Néandertaliens de l’Altaï (chaîne de montagne de l’ouest de la Russie) provient de ces Sapiens. Pour les archéologues, la plus ancienne trace de Sapiens en Europe remontait à 55 000 ans avec des flèches taillées par Sapiens dans la vallée du Rhône.

Les conclusions montrent en outre que les Subsahariens actuels possèdent 1% d’ADN néandertalien, du fait d’un retour d’hommes modernes vers l’Afrique depuis le Levant et l’Afrique du Nord il y a plusieurs millénaires. Cette part est en hausse comparé à la précédente étude3 de Princeton de 2020 parue dans la revue Cell qui évaluait à 0,3% la part de Néandertal chez les Subsahariens. Ce retour peut correspondre à l’expansion bantoue qui a diffusé les lignées patrilinéaires E1b1a dans toute l’Afrique subsaharienne depuis le Sahel à partir d’il y a 5000 ans. Ces lignées E1b1a se sont séparées il y a environ 41.000 ans des lignées E1b1b qui sont aujourd’hui celles de l’Afrique du Nord et du Levant, très présentes notamment parmi les Juifs aussi bien ashkénazes que séfarades mais aussi dans le sud-est de l’Europe (sa variante E-V13) notamment en Grèce, Albanie, Bulgarie et Roumanie, par l’arrivée au Néolithique de populations agricoles du Proche-Orient. En migrant vers le sud depuis le Sahel, cette population porteuse du lignage patrilinéaire E1b1a s’est mélangée aux autochtones chasseurs cueilleurs subsahariens porteurs des lignées patrilinéaires A et B que l’on retrouve dans toutes les populations africaines subsahariennes actuelles à des niveaux divers, moins importantes parmi les tribus de langues bantoues mais toujours significatives au sein de tribus de chasseurs cueilleurs comme les Hamza en Tanzanie qui parlent par cliquetis ou parmi les tribus de langues nilotiques, tout en diffusant des traces de Neandertal en Afrique subsaharienne.

Ces résultats viennent complexifier l’histoire du genre humain depuis l’apparition de notre espèce Homo Sapiens. Depuis les fossiles du Djebel Irhoud au Maroc faisant remonter à 300 000 ans l’ancienneté de notre espèce et la découverte des différents épisodes d’hybridation de Sapiens avec des espèces cousines nous ne cessons d’approfondir une histoire toujours plus plurielle.

© Photo : Le crâne Ardipithecus

1 https://www.cell.com/current-biology/pdf/S0960-9822(23)01315-5.pdf

2 https://www.science.org/doi/10.1126/science.abb6460

3 https://www.cell.com/cell/pdf/S0092-8674(20)30059-3.pdf

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