Ami de longue date de Bohumil Hrabal, il avait adapté de nombreuses œuvres de ce dernier, de Trains étroitement surveillés (1966), qui reçut l’Oscar du meilleur film étranger, à Moi qui ai servi le roi d’Angleterre (2006), sachant à merveille, tout comme le grand écrivain tchèque, distiller au travers d’histoires apparemment simples, de situations semblant ordinaires, la poésie de l’instant, le charme entêtant du dérisoire et le ridicule tapi au coeur même du tragique.
Au milieu des années 60, il avait fait partie, avec des cinéastes comme MilošForman (L’As de Pique, 1963) ou Věra Chytilová (Les Petites Marguerites, 1966), de ce que les journalistes avaient appelé « la Nouvelle vague tchèque ». C’était en effet des films qui parvenaient à contourner la censure grâce à des scénarios semblant tout à fait anodins, mais qui justement, dans la manière même de les mettre en scène, jouaient sur l’ellipse, l’hésitation, le contretemps pour mieux représenter la vulnérabilité, le désir, la rêverie, tout ce qui en douce venait contrarier les exigences martiales du réalisme socialiste. Bien entendu la répression soviétique du Printemps de Prague vint mettre un terme à ces divagations, et Jiří Menzel mit des années avant de tourner à nouveau ; d’autant qu’il avait décidé, contrairement à d’autres qui firent le choix de partir aux États-Unis, de rester dans son pays. Son film Alouettes, le fil à la patte (1968), brillante satire des camps de rééducation communistes, fut d’ailleurs interdit et ne put sortir qu’en 1990 (où il reçut l’Ours d’Or au festival de Berlin).
Dans cette filmographie remarquable, souvent éclipsée par celle plus tapageuse et haute en couleurs de son compatriote Miloš Forman, on retiendra une peinture du peuple parfaitement désidéologisée, s’attachant à la candeur des visages, à la gaucherie des attitudes, à ces petits riens qui engendrent les grands sentiments, à ces ratés du quotidien qui sont encore le meilleur antidote au règne sans partage de la violence et de la bêtise. On pense à Keaton, à Tati également, à tous ces cinéastes qui savent regarder d’un œil tendre mais aussi désenchanté, les différents programmes modernes d’asservissement, qui savent rester attentifs aux petites gens, surtout lorsqu’ils savent se sortir par une pirouette des pièges tendus par la démesure technique ou l’insurpassable vanité humaine.
Chacun de ses films est à voir et revoir, mais nous avons une tendresse particulière pour Moi qui ai servi le roi d’Angleterre, remarquable adaptation d’un des plus grands récits de Hrabal, à la fois truculent et désespéré, hédoniste et burlesque, contant la gloire et les déboires d’un garçon de café, des années 20 au Coup de Prague de 1948. Dans ce film malheureusement sous-estimé, Jiří Menzel parvient à harmoniser au mieux sa verve narrative et ses expérimentations formelles, sa fantaisie et ses obsessions, pour nous donner finalement accès, à travers les péripéties cocasses ou émouvantes qu’expérimente son anti-héros, à l’âme d’un peuple, toujours indomptée malgré les brimades.
Jiří Menzel faisait partie de ces cinéastes indispensables, malheureusement en voie de disparition, qui savent porter sur le monde un regard délivré de tout cynisme mais également de toute illusion, autrement dit un regard de poète.