En ces jours de tristesse, nous publierons les témoignages, les hommages et les souvenirs consacrés à Dominique Venner, lecteur sourcilleux, contributeur fidèle, mais aussi ami sincère de notre revue.
Michel Dejus, Genevière de Bli, Jacques Marlaud, Bruno de Cessole, Xavier Eman, Michel Thibault, Alain de Benoist, Pierre Le Vigan, Eric Werner, Michel Dejus, Michel Thibaut, Philippe Christèle et Grégoire Gambier, Christopher Gérard, Paul-Marie Coûteaux, l’abbé Guillaume de Tanoüarn, Aymeric Chauprade…
La mort est le creux précédant une nouvelle vague
Par laquelle nous serons élevés à nouveau
Fritz Rudnig
Les visages pâles
Michel Dejus
La ramure d’un cerf découpait la lumière.
Mars retrouvait son chant sur l’air d’un velours rouge.
Son printemps couronnait le sceau du ralliement.
Trois provinces pleuraient à l’arc des oriflammes.
Lorraine/Provence/Normandie unisson d’un hoplite.
Tatouages héraldiques sur pores d’une vie.
Albrecht et Dominique à l’amble dans le temps.
Au galop dans les fleurs, ci-joint Excalibur.
Encore Zeus en taureau quand il séduit Europe.
Et sur l’estrade enfin la parole des proches.
La France débordait et montrait six côtés.
Une femme en joliesse pour citer le rebelle.
L’Espagne avait raison de nous dire presente.
Le cœur qui nous montait tarissait la salive.
L’Italie tout honneur couillonnait le jusant.
L’assistance approuvait d’une quiète ferveur.
Des photos défilaient au mur du souvenir.
Quelques larmes emperlaient le taillis d’une barbe.
Le sel qu’il nous fallait pour reprendre la route.
Un acte tragique, poétique et hautement moral
Geneviève de Bli
Guillaume Peltier, plus nourri au lait des grandes trahisons et des ambitions petites qu’à celui des pensées hautes, outre une culture bien pauvre, a l’âme basse et la parole vulgaire.
Commentant sans respect ni pudeur aucune le choix de Dominique Venner de mettre fin à sa vie, une vie belle et remplie d’actes droits et de réflexions fortes, il en rabaisse le sens en évoquant « un grand n’importe quoi ».
Si la forme du propos choque par son inconvenance, sa bêtise et sa méchanceté, le fond lui, n’en n’est pas surprenant. Comment, en effet, ce factotum de la politique, représentant achevé d’une catégorie professionnelle engraissée aux sondages et coups publicitaires, utilitariste et guidée par la seule boussole de l’élection, comment pourrait-il percevoir la haute dignité d’un tel geste ? Eminemment politique, certes, cet acte est, plus encore, intrinsèquement métaphysique, si tant est, comme ne le prouve hélas pas la pratique de Monsieur Peltier, que politique et métaphysique ne fussent une seule et même chose.
Le choix de Dominique Venner, posé, pesé, réfléchi, ainsi que le prouvent ses derniers écrits, est dans ligne, droite et claire, de sa pensée. Son acte est d’une frappante cohérence entre les paroles et les actes, une estampille définitive et totale portée à une conception de l’homme, de l’Histoire, de la Vie. Car cette mort est un acte de Vie, n’en déplaise aux croyants de salon comme aux philosophes de plateaux télé à la Michel Onfray. Ce n’est pas du suicide nihiliste d’un anarchiste désabusé qu’il s’agit : c’est un acte positif, un acte vers l’avant, un choix, l’expression d’une très haute morale, qui juge, qui sépare, et qui tranche enfin entre les fils des Parques.
Cette morale, Dominique Venner la partageait, au Parnasse des cœurs fiers, avec Homère dont il fut le plus aiguisé des rapsodes, avec Hésiode, avec Nietzsche et d’autres encore, si peu nombreux ceux là dans les sphères où gravitent sans ardeur nos présents contempteurs. Cette morale est celle du tragique propre au destin humain, qu’éclairent toutefois, toujours, la volonté de l’être mais aussi le lyrisme de la Nature. Elle s’épanchait chaque fois doublement chez Dominique Venner : dans l’Histoire prise comme synonyme de civilisation ; dans la poésie comme expression du sacré. Et ces deux aspects, essentiels à sa pensée, c’est la question du Temps et des origines qui les imprégnait, celle-là même qui leur infuse une dimension tragique, hyper conscience d’un sage quant à la certitude que le présent n’est rien sans l’ancrage dans son propre passé. Faulkner ne dit-il pas que « le passé n’est jamais mort, il n’est même pas passé » ? Dominique Venner était ce veilleur entretenant par la réflexion et les actes, la flamme fragile du passé.
Lui, dont la « finesse des sens voyait ce que les autres ne voient pas » (Delacroix), appelle par son choix, son peule, les siens, à déchirer le voile de Maya, à sortir des torpeurs, des représentations, et à leur opposer la volonté, l’effort, et la purification qui précède l’action.
Son dernier geste, au regard du Temps, et l’ultime, au regard du sens, est l’aboutissement d’une pensée originelle, en ce qu’elle crée une signification nouvelle là où la sémantique (mais aussi les « valeurs », ces principes qu’on appelle valeurs pour ne pas avoir à les rompre) semblait confronter des incompatibilités de sens. Oui, l’on peut choisir la mort par surplus de Vie, oui, aux cœurs entiers, vivre à demi est une injure et une trahison. Oui, le choix de la mort peut être le prix cher, inestimable, du refus des conforts et de la lâcheté.
En ce sens, sa mort continue une epopoia, une épopée, parole poétique et narrative retraçant les «belles actions d’hommes de mérite », mais surtout invite-t-elle à la contention de la volonté. Volonté créatrice, combat, et cela parce que le monde originel est tragique et que sa Parole est toujours une dualité indépassable, jamais transcendée, entre l’apollinien et le dionysiaque, entre la forme stable et le flux héraclitien du Devenir. De cette dualité qui imprime à l’existence sa tragédie résulte la souffrance d’un homme de haut cœur, mais ce n’est pas cette souffrance qui motive le choix de la mort volontaire. De fuite, on a dit qu’il ne s’agissait pas : Dominique Venner était, par-dessus toute chose, homme de vérité et d’amor fati.
Ce qui explique cette mort, tout en laissant à l’homme le secret d’un cœur et d’une intelligence face à leur destinée, c’est la conscience absolue de l’indissociabilité entre chose publique et métaphysique, entre décision politique dans sa « singularité immédiate » (Hegel) et éternité de la mémoire, entre Cité et sacré : la nécessité d’une « fondation », au sens arendtien, sans cesse incarnée dans le sentiment exigeant de l’appartenance à une histoire et à une civilisation.
Sacré. Le mot est jeté, comme les dés du hasard héraclitien, et le voilà qui crée l’invective, et le mépris toujours. « Profanation du sacré » que cette mort, selon les termes de l’abbé mondain la Morandais ? Contresens profond d’une pensée convenue! Henry James parlait du « sens des lieux » : le choix de Notre-Dame, sœur de pierre des forêts-cathédrales, immémoriale racine d’un peuple qui se meurt, symbolise cet accord entre Nature et Civilisation.
Le sacré, monsieur l’abbé, ne se réduit pas à la religion, il n’est pas l’apanage des églises, et le spirituel peut irriguer le plus bénin instant du quotidien. Chez Dominique Venner, le quotidien même paraissait poésie, une poésie exigeante, et de la faire jaillir des « profondeurs d’un crépuscule », de relier ce qui est « éternellement nouveau » à la source unique et jamais tarie qui la transcende et la précède.
Dimension politique de cette poétique, puisque, comme l’affirmait Toqueville, « le passé n’éclairant plus l’avenir, l’esprit marche dans les ténèbres ». Dimension métaphysique, car jonction de l’éphémère et de l’Eternel, de la modernité transitoire, fugitive (parce que le Temps), et de l’Immuable (parce que l’Etre).
La mort de Dominque Venner, dès lors est aussi « philantropie » et certainement pas manifestation d’une égotique mélancolie. Des peuples celtiques, Renan disait : « la vie n’est pas pour ces peuples une aventure personnelle, c’est un anneau dans une longue tradition ». Cette tradition, D. Venner l’a filée chaque jour, dans une tension permanente du particulier vers l’universel et inversement, dynamique qui prenait chez ce contemplatif finalement, soit l’aspect d’une subtile généralisation du propos, soit celui du passage du général à la méditation intime. Sa mort a donc une vocation holistique, alors même qu’elle mobilise la forme d’individuation la plus absolue, ce qui, chez les cœurs rares, n’est jamais contradictoire.
Ce mouvement entre général et particulier, entre l’idéalité et l’événement est le propre de la poésie, et certains poètes approchent de l’Infini parce qu’ils excellent à faire ressentir le « non-dit » (les Dichter selon Heidegger). Par sa vie et sa mort, Dominique Venner a donné une forme concrète à cette intuition et mêlé, de façon consubstantielle, la forme et le fond de son propre poème. Cette mort choisie n’est pas une esthétique de la négativité, ni l’expression d’une « rhétorique du désenchantement » (Walter Benjamin). Elle ne vise au contraire qu’au ré-enchantement du réel, une invitation à déflorer le sens originel des choses, comme Zarathoustra prophétisant la nécessité « d’enfanter une étoile dansante avec son propre chaos ».
Messieurs Peltier, la Morandais, monsieur le professeur Onfray, vous êtes des benthamiens, il vous faut que les choses aient un prix. Il vous faut de l’utilité, des succès, des confirmations par la performance, la raison pratique, ou l’efficience. Chez d’autres âmes, plus belles ô combien, ne compte au contraire, que ce qui ne se monnaie point. Pour celle-là , il n’y a d’autres critères de l’Art, de la Politique ou du Poème, que leur capacité à dévoiler l’Etre des choses. Heidegger disait : « L’œuvre d’Art ne présente rien : au contraire, elle est ce qui crée ce qui entre pour la première fois grâce à elle dans l’ouvert ». Combien joliment cette réflexion s’applique t-elle à cette mort qui, légitimement, nous bouleverse et nous attriste. Pourtant, à cause de cela, cette mort ne consomme pas son auteur : au contraire, elle le subjugue. Georges Steiner, dans Grammaire de la Création, affirme que « le rapsode est médium involontaire des origines ». Posons que Dominique Venner aura été le rapsode volontaire d’une haute morale et de l’amour de ce qui nous fonde dans les aubes immémoriales de notre civilisation.
Alors, haut les cœurs !
« Les héros que tu pleures sont morts, peuvent-ils renaître ? », demande Saint Patrick à Ossian. Oui ! Car ici, mort il n’y a pas : lorsque la mémoire s’accroît de l’hommage, alors le souvenir n’est plus seulement conservation ; il est commémoration, acte de volonté, et sans cesse re-créateur.
Il est des tentatives avortées parce qu’échouant à dire l’Etre du Monde, c’est-à-dire le Temps, la Durée et la Vie. Selon les mots d’Hölderlin, « ce qui demeure, les poètes le fondent ». Dominique Venner, par sa mort, témoigne pour jamais de l’ancrage de chaque destinée dans sa durée, fut-elle fugitive.
Pour lui, il y a la rencontre avec ce point absolu et indicible où la vie et mort s’interpénétrant dans l’instant, l’Infini dans le fini se réalise enfin pleinement en même temps que tout s’évapore. Que ce « moment » lui soit doux, et que l’éclaire, qui sait, la lumière de l’au-delà.
Pour nous qui « demeurons », et qui devons, nous dit Dominique Venner par sa mort, demeurer passionnément, il y a transsubstantiation : celle du néant a priori vide de la mort en un espace « plein ».
Plein des promesses qu’offrent les champs du possible, plein d’un nouveau rapport au Temps, celui d’un éternel devenir de nos âmes et de notre civilisation : là où brille dans le présent les lumières du Passé.
« Une image de ma jeunesse militante »
Jacques Marlaud
Dominique Venner reste pour moi associé à certaines images de ma jeunesse militante.
D’abord ces affiches de Jeune Nation, mouvement interdit, qui, en cette année fatidique de 1962 fleurissaient dans mon jeune cœur rebelle et sur les murs de Paris en chemin de retour du lycée vers l’appartement de ma grand-mère où je logeais, rue des Vignes.
L’année suivante, ce héros de nos maquis clandestins, tout juste sorti de prison, fit son apparition dans notre local de militants nationalistes, rue de la Glacière. Il nous tint un bref discours sur l’importance de notre rôle « révolutionnaire » dans cette époque de déclin moral, politique et spirituel. Puis nous chantâmes avec lui « Les hauts tambours des lansquenets ».
Je le retrouvai peu après au camp d’été de la FEN où il nous donnait quelques leçons de boxe pour l’auto-défense. L’essentiel était, avant de pouvoir frapper, de se bien garder. Puis il nous apprit à nous frotter physiquement en groupe à l’adversaire, en chargeant à dix contre cent. « Tout est dans la tête », disait-il, « Une tête forte, résolue, lucide, c’est une bataille presque gagnée contre le nombre et la stature supérieurs des opposants s’il ne sont pas eux-mêmes aussi bien préparés ».
Ces leçons nous ont bien servi pour quelques épiques batailles autour d’une Sorbonne que nous prétendions libérer des marxistes de tout poil qui la dominaient alors.
J’ai souvent revu « Dom » rue aux Ours où s’élaborait la première version d’Europe-Action, puis à la Librairie de l’Amitié où il était régulièrement entouré de Suzanne Gingembre, Jean Mabire et Fabrice Laroche…
Ce fut une terrible déception d’apprendre, lors de mon exil espagnol, que ce pilier révolutionnaire avait décidé d’abandonner toute activité politique en 1967.
Le Venner des armes à feu ou blanches m’intéressa beaucoup moins. Mais je retrouvai avec plaisir l’historien qui a redécouvert Ernst Jünger à peu près à l’époque où je faisais moi-même la connaissance de cet auteur prodigieux.
De son dernier message, je retiens la formule « je me sens le devoir d’agir tant que j’en ai encore la force » qui ne peut provenir que d’un homme sentant ses forces décliner. Cet homme a voulu frapper un grand coup par son geste même. C’est bien sûr d’abord un coup « de pied dans la fourmilière » qu’est notre société actuelle et surtout ce vers quoi elle tend. Société de l’indistinction programmée entre races, genres, peuples, cultures, hommes, femmes et enfants…
Je ne pense pas qu’en critiquant le métissage il s’adresse à un faux problème. Le métissage, au sens large, c’est-à-dire d’abord au sens social et culturel, est LE problème des peuples qui ne se respectent plus eux-mêmes parce qu’ils ont perdu la conscience historique de leur origine. Ce n’est pas tant la couleur de la peau qui est remise en question ici que celle de l’âme, de la psyché collective animant le magma humain que nous pouvons croiser tous les jours sur les avenues de la megamachine à consommer.
Que partageons-nous avec ce flot humanoïde multicolore ? N’y a-t-il pas quelque chose qui nous en écarte et nous distingue ?
C’est la question, l’affirmation que pose Dominique Venner avec son geste éclatant :
« J’offre ce qui me reste de vie dans une intention de protestation et de fondation. »
Mourir comme un stoïcien romain
Bruno de Cessole
Le 21 mai 2013, Dominique Venner s’est donné la mort, d’un coup de pistolet, dans la cathédrale Notre-Dame de Paris, après avoir déposé sur le maître-autel une lettre expliquant et justifiant son acte. Deux jours plus tard, je recevais une lettre de lui, datée du jour même de son suicide, par laquelle, m’annonçant sa décision de partir à son heure et d’une façon qui ait un sens à ses yeux, il me donnait rendez-vous au Walhalla pour des chasses éternelles. A sa lettre manuscrite il joignait une page dactylographiée intitulée « Les raisons d’une mort volontaire », copie de la déclaration rendue publique le lendemain de sa mort. D’avance, connaissant l’esprit du temps, Dominique Venner y réfutait les interprétations malveillantes, caricaturales ou tendancieuses que la plupart des commentateurs ne manqueraient pas de donner de son geste. Un geste spectaculaire, mûri et prémédité depuis plusieurs mois sans doute, sans que nul de ses proches ne le pressente, et qui suscite, selon les cas, trouble, malaise, et interrogations. Comme il fallait s’y attendre c’est la malveillance, l’amalgame, la déformation, quand ce n’est pas l’injure et l’ignominie, qui ont prévalu dans les compte rendus des journaux et les réactions des réseaux sociaux, ce tout-à-l’égoût du ressentiment et de la médiocrité contemporains. Chateaubriand ne prévoyait pas que le nombre des nécessiteux serait aujourd’hui si grand quand il écrivait qu’il faut être économe de son mépris… La place me manque, hélas, pour rendre hommage à l’homme, au combattant, à l’écrivain et à l’intellectuel que fut Dominique Venner, qu’il est injurieux de réduire à une figure de soldat perdu et de militant politique, qu’il avait dépassée depuis longtemps. Mais c’est un devoir que de dissiper l’entreprise de désinformation de ces salisseurs de mémoire et de rétablir des vérités malmenées ou ignorées. Ce n’est pas parce qu’il était frappé par une maladie incurable que Dominique Venner, sain de corps et d’esprit, s’est donné la mort, mais en pleine possession de ses moyens et en toute lucidité. Ce n’est pas sous l’aiguillon d’un subit dégoût de la vie, une vie qu’il aimait malgré les tribulations et les déceptions qu’elle comporte, mais, à rebours, parce qu’il voulait donner à son existence terrestre, lui qui ne croyait pas à la consolation des arrière-mondes, son sens ultime. Ce n’est pas par désespoir devant le déclin de son pays, mais pour montrer qu’il n’est pas de fatalité historique, qu’il a témoigné de l’éthique de la volonté. Ce n’est pas par désir de provocation et de profanation qu’il a choisi Notre-Dame de Paris, haut-lieu spirituel que ce païen revendiqué aimait et respectait, pour théâtre symbolique de son geste, mais en mémoire « de lieux de culte plus anciens », rappelant nos origines immémoriales ». Ce n’est pas par goût de la posture et par égotisme que cet homme secret et discret, ennemi des faux-semblants et du tohu-bohu médiatique, a accompli son « seppuku » rituel de samouraï d’Occident, mais par oblation et esprit de sacrifice. « Je crois nécessaire, disait-il dans sa lettre-testament de me sacrifier pour rompre la léthargie qui nous accable. J’offre ce qui me reste de vie dans une intention de protestation et de fondation ». Contre la fatalité et la destruction programmée de notre héritage et de nos traditions, il a élu la mort volontaire « afin de réveiller les consciences assoupies ». En des temps de basses eaux comme les nôtres, où les valeurs d’héroïsme et de sacrifice sont tenues pour de vieilles idoles dévaluées, voilà qui est incompréhensible, et ne peut que provoquer chez le tout-venant que la stupéfaction, la dérision ou l’injure. Comment faire admettre aux petits hommes anesthésiés ou lobotomisés de cette époque, qui ne croient plus en rien, qui n’osent plus rien, qui ne risquent plus rien, qui ne veulent plus rien que « leurs petits plaisirs du jour et leurs petites jouissances de la nuit «, derniers hommes, qui ne vivent pas leur pensée et ne pensent pas leur vie, qu’un intellectuel choisisse de se tuer pour prouver que la plus haute liberté consiste à ne pas être esclave de la vie. Et inciter ses contemporains à renouer avec un destin historique digne du passé de la France. A l’heure qu’il a choisie, Dominique Venner a rejoint Caton d’Utique, Montherlant et Mishima, les héros de l’Iliade et de Plutarque, des sagas scandinaves et des légendes germaniques, qu’il admirait et dont il s’est voulu l’héritier. Puisse sa mort volontaire n’être pas un service inutile mais le ferment d’une renaissance à quoi invite et son œuvre et son ultime geste.
Mort d’un Français
Bruno de Cessole
Aujourd’hui, un homme chargé d’histoire, de combats, de culture et de spiritualité, s’est donné la mort. Il y aurait, et il y aura, sans doute beaucoup de choses utiles et profondes à écrire sur ce tragique décès, mais en cet instant, seule une profonde émotion m’étreint. Une émotion presque incrédule face à une disparition immense tant par sa portée symbolique que par l’abîme qu’elle ouvre. Car cette mort, c’est avant tout un implacable rappel à l’ordre pour tous ceux qui pensaient que, dans notre monde vétuste et sans joie, « mourir pour des idées » n’était plus qu’une formule de style, et que « vivre » signifiait simplement chercher à se prolonger coûte que coûte le plus longtemps et le plus confortablement possible.
Cet héroïsme suicidaire, ce jusqu’au-boutisme glorieux, nous avions fini par le croire uniquement cantonné aux pages des livres que nous lisions avec un conviction de plus en plus déclinante.
Par sa violence et sa mise en scène, l’acte de mort de Dominique Venner est un appel à la vie, à une vie vibrante, combattante, engagée, altière et flamboyante. C’est un cri de guerre, un chant de révolte, un appel à la mobilisation ! Le véritable et définitif drame serait qu’il ne soit pas entendu.
Dominique Venner meurt pour que nous n’oublions pas de vivre.
Pour lui, je prie un Dieu auquel il ne croyait pas.
Le Chevalier et le Samouraï
Michel Thibault
Au début des années 2000, j’ai fait la connaissance d’un japonais, rencontré dans une librairie. Il cherchait des ouvrages sur la chevalerie française, pour un livre à paraître au Japon. Tadao Takemoto, de son nom était âgé de 60 ans environ, professeur à l’université de Tsukuba, ami et traducteur d’A. Malraux. Lecteur de la Nouvelle Revue d’Histoire, il me fit part de son désir de rencontrer Dominique Venner dont il admirait les articles. Celui-ci nous donna rendez-vous dans un café-restaurant place de l’Odéon, au premier étage. À peine présentées, les deux personnalités se sont reconnues, comme appartenant au même monde, celui où un mot domine les autres : l’honneur. Tadao Takemoto venait d’une famille de samouraïs, il était membre de l’association des amis de Mishima, et partisan de la famille impériale. Il écrivait pour maintenir vivant au Japon l’esprit traditionnel, menacé par la société matérialiste et l’américanisation. Dominique Venner de son côté, par son engagement passé et ses travaux d’historien, cheminait sur la même voie, porteur des valeurs héroïques. Dominique Venner m’a confié être impressionné par la personnalité de Tadao Takemoto, son intelligence, sa droiture et son humilité. De son côté Tadao Takemoto était très ému par cet homme pudique, chevalier égaré dans les temps modernes, et si proche de l’éthique du Bushido. Par la suite, Tadao Takemoto traduisit avec Olivier Germain-Thomas en français, un recueil de waka (poésie) de l’impératrice Michiko, dont il transmit un exemplaire à Dominique Venner, sur qui il fit une grande impression. Quelques temps après la Nouvelle Revue d’Histoire sortit un numéro consacré au Japon, avec un éditorial de Dominique Venner intitulé : « Le Japon, la fleur et l’acier », dans lequel il évoquait sa lecture des waka : « Pas de plaintes, pas de regrets, pas de larmes, bien que celles-ci se pressent dans les yeux du lecteur sensible à la gravité des mots et à l’évocation des « nobles âmes, gardiennes du pays ». Ces mots disent avec une pudique émotion l’éternité de l’âme japonaise. Comment n’y serions-nous pas sensibles, nous Européens, qui nous attachons envers et contre tout à faire revivre l’âme assoupie de nos peuples. » Rencontre du Lys et du Chrysanthème, de l’Asie et de l’Europe. Samouraï d’Occident et Chevalier d’Orient.
Dominique Venner, un homme qui a choisi de mourir debout…
Entretien avec Alain de Benoist
Vous connaissiez Dominique Venner depuis 1962. Au-delà de la peine ou du chagrin, êtes-vous étonné par son geste ? Se place-t-il dans la logique de sa vie, de son combat politique, même si la politique, il avait arrêté d’en faire depuis longtemps ?
Dans l’immédiat, je suis surtout empli de dégoût en lisant les commentaires qui me tombent sous les yeux. « Suicide d’un ex-OAS », écrivent les uns, tandis que d’autres parlent d’une « figure de l’extrême droite », d’un « opposant violent au mariage gay » ou d’un « islamophobe ». Sans compter les insultes de Frigide Barjot, qui a révélé le fond de sa nature en crachant sur un cadavre. Ces gens-là ne connaissent rien de Dominique Venner. Ils n’ont jamais lu une ligne de son œuvre (plus de cinquante ouvrages et des centaines d’articles). Ils ignorent même qu’après une jeunesse agitée, qu’il avait évoquée dans l’un de ses plus beaux livres – Le cœur rebelle (1994) -, il avait définitivement rompu avec toute forme d’action politique il y aura bientôt un demi-siècle. Je peux même donner la date exacte, puisque j’étais présent lorsqu’il déclara prendre cette décision : c’était le 2 juillet 1967. À compter de ce jour, Dominique Venner s’était entièrement consacré à l’écriture, d’abord avec des ouvrages sur la chasse et les armes (il était, en ce domaine, un expert reconnu), ensuite avec des travaux d’historien, écrits avec une plume étincelante et dont beaucoup font aujourd’hui autorité. Il était enfin le fondateur de La Nouvelle Revue d’histoire, un bimestriel de haute qualité.
Je n’ai absolument pas été surpris par son suicide. Je savais depuis longtemps qu’à l’exemple des vieux Romains, et aussi de Cioran, pour ne citer que lui, il admirait la mort volontaire, qu’il y voyait la façon la plus conforme à l’éthique de l’honneur d’en finir avec la vie dans certaines circonstances. Il avait en tête le souvenir de Yukio Mishima, et ce n’est pas un hasard si son prochain livre, à paraître le mois prochain chez Pierre-Guillaume de Roux, s’intitulera Un samouraï d’Occident. On peut dès à présent en mesurer le caractère testamentaire. Je n’ai donc pas été étonné par cette mort exemplaire. Je suis seulement surpris du moment et du lieu.
Dominique Venner n’avait aucune « phobie ». Il ne cultivait aucun extrémisme. C’était un homme attentif et secret. Au fil des années, le jeune activiste de l’époque de la guerre d’Algérie s’était mué en historien méditatif. Il soulignait volontiers à quel point l’histoire des hommes reste toujours imprévisible et ouverte. Il y voyait motif à ne pas désespérer, car il récusait toute forme de fatalité. Mais il était avant tout un homme de style. Chez les êtres, ce qu’il appréciait le plus était la qualité humaine, laquelle se résumait chez lui à un mot : la tenue. En 2009, il avait consacré à Ernst Jünger un bel essai dans lequel il expliquait que son admiration pour l’auteur de Sur les falaises de marbre tenait d’abord à sa tenue. Dans son univers intérieur, il n’y avait place ni pour les cancans, ni pour la dérision, ni pour les disputes de la politique politicienne qu’il méprisait à juste raison. C’est pour cela qu’il était respecté. Parfois jusqu’à l’excès, il recherchait la tenue, le style, l’équanimité, la hauteur d’âme, la noblesse d’esprit. Ce sont là, malheureusement, des mots dont le sens même échappe sans doute à ceux qui regardent les jeux télévisés et se ruent chez Virgin Megastore pour profiter des soldes…
Dominique Venner était païen et ne s’en cachait pas. Il aura pourtant choisi une église pour mettre fin à ses jours. Y voyez-vous une contradiction ?
Je pense qu’il a lui-même répondu à votre question dans la lettre qu’il a laissée derrière lui, en demandant qu’elle soit rendue publique : « Je choisis un lieu hautement symbolique, la cathédrale Notre-Dame de Paris, que je respecte et admire, elle qui fut édifiée par le génie des mes aïeux sur des lieux de culte plus anciens, rappelant nos origines immémoriales. » Lecteur de Sénèque et d’Aristote, Dominique Venner admirait surtout Homère : l’Iliade et l’Odyssée étaient à ses yeux les textes fondateurs d’une tradition européenne qu’il avait reconnue pour sa patrie. Il faut vraiment être Christine Boutin pour s’imaginer qu’il s’est « converti à la dernière seconde » !
Politiquement, cette mort spectaculaire sera-t-elle utile, tel cet autre sacrifice demeuré célèbre, celui de Jan Palach, en 1969 à Prague, ou celui, plus récent, de ce petit commerçant tunisien ayant en partie déclenché le premier « printemps arabe » ?
Dominique Venner s’est aussi exprimé sur les raisons de son geste : « Devant des périls immenses, je me sens le devoir d’agir tant que j’en ai encore la force. Je crois nécessaire de me sacrifier pour rompre la léthargie qui nous accable. Alors que tant d’hommes se font les esclaves de leur vie, mon geste incarne une éthique de la volonté. Je me donne la mort pour réveiller les consciences assoupies. » On ne saurait être plus clair. Mais on aurait bien tort de ne pas voir que cette mort volontaire va bien au-delà du contexte limité des débats sur le « Mariage pour tous ». Dominique Venner ne supportait plus, depuis des années, de voir l’Europe sortie de l’histoire, vidée de son énergie, oublieuse d’elle-même. L’Europe, disait-il souvent, est « en dormition ». Il a voulu la réveiller, à la façon d’un Jan Palach en effet, ou en d’autres temps d’un Alain Escoffier. Il a ainsi fait preuve de tenue jusqu’au bout, restant fidèle à l’image qu’il se faisait de ce que doit être l’attitude d’un homme libre. Il a écrit aussi : « J’offre ce qui me reste de vie dans une intention de protestation et de fondation. » Il faut retenir ce mot de fondation, que nous lègue un homme qui a choisi de mourir debout.
Entretien réalisé par Nicolas Gauthier.
Dominique Venner : l’acte inouï
Pierre Le Vigan
Une mort peut agir sur l’avenir comme une irradiation.
Yukio Mishima
Je ne suis pas sûr d’être digne de parler de Dominique Venner. Je ne suis d’ailleurs pas sûr qu’il y ait une seule personne en France qui en ait le droit. Pour être crédible il faudrait être prêt à commettre le même acte dans les heures qui viennent. Venner était le contraire d’un Breivik. C’était un soldat. Inutile de dire que je suis à mille lieux de ce type d’expérience, moi qui fus même exempté du service militaire.
Il n’est pourtant peut-être pas impossible de témoigner de son admiration. Elle est égale à celle que j’éprouve pour Honoré d’Estienne d’Orves ou Jean Prévost. L’acte de Dominique Venner, son sacrifice, est un acte de témoignage. Il y a eu bien des gens courageux, en France et en Europe, qui, condamnés à mort, ont affronté celle-ci avec un courage serein, bien des vaincus de l’histoire qui, ayant vu mourir leurs idéaux, en ont tiré les conséquences en se donnant la mort. Mais l’acte de Dominique Venner est d’une netteté, d’une pureté, d’une rareté, d’une précision et d’une justesse existentielle précisément inouïes. L’inouï, c’est la pure incandescence, le saut, la révélation, la rupture de l’enchaînement discursif. L’inouï de Venner, c’est le recours à un geste homérique. Si Dominique Venner était bien entendu un opposant au mariage homo ce n’est évidemment pas la raison principale de son suicide. La raison principale de son geste c’était de réveiller les consciences au sujet du Grand Remplacement, c’est-à-dire de la substitution dans notre pays d’une population autochtone par une population d’origine étrangère.
Je n’étais sans doute pas entièrement d’accord avec les analyses de Venner – et je le dis pour une raison : il n’est peut-être pas totalement inutile que chacun sache d’où je parle. Sur la question du métissage, je suis d’avis que c’est un non-problème. Il a toujours représenté une pratique très minoritaire pour des raisons qui tiennent à l’anthropologie humaine, aux habitus. On le voit avec les immigrés qui pour l’essentiel se marient dans leur race, voire leur ethnie. Il n’y aura jamais de métissage généralisé car la majorité des gens n’en veulent tout simplement pas. Le métissage ne poserait problème que s’il n’en existait qu’une seule forme aboutissant à un type humain unique. Or il existe une infinité de formes de métissages : entre un Vietnamien et un Biélorusse, entre un Tchétchène et un Camerounais, entre un Argentin et un Malgache, etc. Comme il existe des formes quasi-infinies de métissage ceux qui craignent que le métissage ne réduise la pluralité humaine – le bien le plus précieux – se trompent. Le seul métissage qui poserait problème serait un « métissage » des sexes. Le remplacement de la catégorie homme-femme par un être mi-homme mi-femme. C’est d’ailleurs le fantasme de notre outre-modernité. Ceci étant dit, l’actuelle propagande pro-métissage est bien entendu insupportable. Elle fait partie de la propagande contre les racines : être tout sauf ce qui ressemble à ce que nous avons été. C’est une propagande malsaine et provocatrice.
Sur la question de l’immigration de masse je partage tout à fait sa condamnation par Venner. J’attacherais sans doute moins d’importance à la race elle-même. Les Roms sont des Européens, et même des Indo-Européens, souvent très attachés du reste à sauvegarder leur « pureté » raciale en évitant tout métissage. Est-ce une garantie de quoi que ce soit ? De même les Afghans et Pakistanais ne sont-ils pas des Indo-européens ? Cela signifie-t-il que leur immigration massive en Europe soit une bonne chose ? J’attache plus d’importance aux facteurs culturels. Ainsi un Africain francophone me paraît la plupart du temps plus facile à intégrer qu’un Européen qui ne ferait pas l’effort ou ne pourrait apprendre le français (ce qui ne veut évidemment pas dire que tous les Africains francophones ont vocation à venir vivre en France).
Ces précisions faites, il n’en reste pas moins que les races existent, même si leur nomenclature n’est pas simple, a beaucoup évolué et est très loin de se résumer aux « Jaunes », « Blancs », « Noirs ». Ce sont des réalités aux frontières mouvantes mais des réalités quand même. Dominique Venner qui défendait l’identité de tous les peuples n’acceptait pas ce que nous voyons tous : des territoires entiers de notre pays peuplés de gens d’origine non européenne. Que ceux-ci soient en grande majorité des braves gens n’est pas en cause. C’est l’atmosphère d’un pays qui change. C’est le climat auditif qui change : je suis très souvent dans le métro, on y entend toutes les langues et la plus rare ou la plus discrète est parfois le français. La France, l’Europe doivent-elle changer à ce point ? Je ne le crois pas. Venner ne le croyait pas. Ouverture à l’autre oui mais mesurée. Dissolution dans l’autre, non. Le pouvoir d’intégration ou d’assimilation (toute querelle de mot est ici vaine) de notre pays s’est épuisé. Pourquoi ? Parce qu’il supposait que sur tout le territoire la culture de référence soit celle du peuple français, ce qui allait sans dire jusque dans les années soixante.
Aujourd’hui, l’Afrique est peuplée en quasi-totalité d’Africains, l’Asie d’Asiatiques, l’Europe est le seul continent qui tend à ne plus être peuplé majoritairement d’Européens. Dominique Venner n’a pas voulu que cette mort de la différence européenne, qui vaut bien les autres, et surtout qui est la nôtre se fasse dans le silence. « Alors que je défends l’identité de tous les peuples chez eux, je m’insurge aussi contre le crime visant au remplacement de nos populations. » Son coup de revolver le situe aux antipodes d’un Breivik qui ne méritait nul éloge même « littéraire ». Le sacrifice de Venner ne peut se comparer à rien d’aussi grand, car à rien d’aussi net. La seule grandeur qui nous reste c’est la netteté du regard sur les choses et de l’acte. Il y avait dans le sacrifice de Mishima une dimension d’esthétique personnelle, il y avait une réponse à la crainte de devenir aveugle chez Montherlant. Cela n’enlève rien à la force éthique de leur geste. Mais Venner n’était pas un homme de lettres, il n’y avait pas chez lui cette dimension toujours un peu dégueulasse de l’ « homme-de-lettres ». C’est pourquoi Venner est encore au-dessus de ces exemples. « Il faudrait nous souvenir aussi, comme l’a génialement formulé Heidegger (Être et Temps) que l’essence de l’homme est dans son existence et non dans un « autre monde ». C’est ici et maintenant que se joue notre destin jusqu’à la dernière seconde. Et cette seconde ultime a autant d’importance que le reste d’une vie. C’est pourquoi il faut être soi-même jusqu’au dernier instant. C’est en décidant soi-même, en voulant vraiment son destin que l’on est vainqueur du néant. Et il n’y a pas d’échappatoire à cette exigence puisque nous n’avons que cette vie dans laquelle il nous appartient d’être entièrement nous-mêmes ou de n’être rien. »
J’avais cru qu’Ernst Jünger était mort en 1998. Ce n’est qu’hier qu’il vient de mourir. Il était à Paris, du côté de Notre-Dame. Cette fois, il est bien certain qu’il est mort.
Sans précédent
Eric Werner
C’est un geste inaugural, dit l’Auteur*. C’est ainsi au moins que je l’interprète. Et lui-même, semble-t-il, l’a conçu et voulu ainsi. Geste non pas de désespoir (comme, de prime abord, on inclinerait à le croire), mais bien d’espoir. On retiendra aussi l’endroit: à la croisée même de la verticale et de l’horizontale, de la transcendance et de l’immanence. Là même où refleurit la rose au cœur de ce qui la nie. C’est ce que signifie son acte. Il est trop tôt encore pour en mesurer l’onde de choc. Mais la charge symbolique en est puissante. Le sang des martyrs est la semence des chrétiens, disait Tertullien. En l’occurrence, évidemment, il faudrait changer la formule. Mais le sens profond subsiste. Et son dernier texte: il désigne l’ennemi. C’est « sans précédent », aurait dit le ministre de l’Intérieur. Il a complètement raison. Sans précédent.
* Dominique Venner s’est suicidé le mardi 21 mai 2013 en la cathédrale Notre-Dame de Paris, près de l’autel. Historien et écrivain, il dirigeait laNouvelle Revue d’Histoire.
Dominique Venner : la force de l’effet produit
Philippe Christèle et Grégoire Gambier
La mort de Dominique Venner, ce 21 mai, donne déjà lieu à de nombreux hommages mérités. Compagnons d’armes ou de plume, ses vieux camarades servent sa mémoire, racontent sa geste et témoignent de l’homme qu’il fut.
Parce que la différence d’âge a fait de nous des camarades de ses enfants plus que de lui-même, nous pensons que le meilleur hommage à lui rendre est de saluer le choix, rayonnant d’intelligence et de puissance, de son sacrifice.
Dominique Venner croyait à l’Histoire. Il savait que celle-ci se forge autour de longues et patientes évolutions, mais plus souvent encore par l’irruption de l’imprévu, de l’inattendu, de l’événement qui embrase tout, précipite les choses – au sens chimique – pour assurer le basculement d’un monde ancien vers un nouvel ordre à bâtir.
La seconde passion de Dominique Venner, c’était la patiente recherche du meilleur effet produit. Sans illusion sur la dureté des temps, il a, toute sa vie durant, après avoir connu l’ivresse des combats, militaires puis militants, cherché à peser et être utile au meilleur endroit, au meilleur moment, avec les meilleures armes politiques, intellectuelles, esthétiques ou morales.
Le choix de sa mort est, à ce titre, troublant de pertinence. Elle lui ressemble totalement.
Il a choisi un acte pur, romain, sans peur ni faiblesse. Quelles que soient les analyses médiatiques qui seront faites, la nudité et la pureté de son acte ne pourront être salis et, dans notre inconscient engourdi de Vieux Européens, cette mort volontaire nous saisit plus fortement que nous le pensons nous-mêmes. Elle nous rappelle le sens du tragique, à tous ces moments de l’histoire où nos ancêtres ont eu leur propre vie entre leurs mains, bien loin des douceurs émollientes de notre époque d’enfants gâtés.
Il a choisi un lieu d’une puissance évocatrice exceptionnelle. Un lieu symbolique de la Chrétienté, si fortement malmenée depuis longtemps et pourtant si puissamment réveillée, ces derniers temps, par le sursaut de ces centaines de milliers de manifestants qui, partout en France, défendent une certaine conception de la civilisation européenne et chrétienne sans être nécessairement de fervents catholiques. Un lieu laïc aussi, car Notre-Dame est la cathédrale de Paris, capitale de la France, ce qui permet à tous de s’y identifier, quelles que soient leurs options intellectuelles, philosophiques, morales ou religieuses.
Il a choisi un moment opportun. Celui où, dans le sillage des grands cortèges de la Manif pour Tous, de jeunes générations s’éveillent au combat militant et à la défense de leurs valeurs, face au silence des immobiles, au mépris des médias ou aux mensonges de l’Etat. Dominique Venner a vu, lui, que ces jeunes sont un levain, un ferment, l’avant-garde d’une nouvelle génération de Français et d’Européens qui, inconsciemment ou non, tardivement peut-être, ont décidé de ne pas abdiquer le droit de vivre leurs vies d’hommes dans la fidélité à leur identité. Lui, l’observateur des joutes politiques trop souvent stériles, a compris que ces jeunes gens ont besoin de repères, d’illustrations, de symboles. De quelque chose qui parle à leur Etre.
Il a, enfin, choisi l’humilité. Sa renommée et la force de sa plume auraient pu lui faire préférer l’écriture d’un nouveau bréviaire pour jeunes militants, ou d’un livre définitif sur sa vision de l’histoire et de notre devenir. Il a choisi de ne donner qu’un seul signe, qu’un seul exemple. En rappelant que toute cause ne vaut que si le sacrifice ultime fait partie des options, que toute cause n’est véritablement sacrée que si elle engage sa vie même, il a offert aujourd’hui la sienne pour que vivent, demain, dans la fierté retrouvée, de nouvelles générations d’Européens.
En ce sens, nous qui n’avons pas partagé avec Dominique Venner les passions de sa jeunesse, nous qui n’avons pas, pour nous réchauffer de son absence, les souvenirs des combats du passé, nous voulons dire combien nous nous inclinons devant la lumineuse intelligence de sa dernière action, sans doute la plus politique de ses vingt dernières années.
Nous n’avons pas de peine. Nous sommes frappés par la lucidité de son choix et le courage de son acte. Ce qu’il nous reste, c’est la joie de l’avoir suffisamment connu pour comprendre la puissance de cet acte et apprécier la force de l’effet produit. Il nous faudra désormais rester fidèles et être à la hauteur.
Mort d’un samouraï
Christopher Gérard
S’il est trop tôt pour évoquer cette mort volontaire dans un lieu de prière hautement symbolique, qui a tout d’une protestation désespérée contre notre présente décadence, je veux saluer un homme de talent, d’une rare intégrité, d’une magnifique rectitude et qui est entré dans la mort debout et les yeux ouverts.
Ce soir, c’est l’ami que je pleure, après Jean Mabire, Vladimir Volkoff et quelques autres dont le retour au soleil nous laisse plus seuls encor dans un monde de termites.
Voici quelques mots qui disent bien, je pense, qui était Dominique Venner.
Lors d’un entretien qu’il m’a accordé naguère, voici comment il se définissait : « je suis trop consciemment européen pour me sentir en rien fils spirituel d’Abraham ou de Moïse, alors que je me sens pleinement celui d’Homère, d’Epictète ou de la Table Ronde. Cela signifie que je cherche mes repères en moi, au plus près de mes racines et non dans un lointain qui m’est parfaitement étranger. Le sanctuaire où je vais me recueillir n’est pas le désert, mais la forêt profonde et mystérieuse de mes origines. Mon livre sacré n’est pas la Bible, mais l’Iliade, poème fondateur de la psyché occidentale, qui a miraculeusement et victorieusement traversé le temps. »
Venner s’inscrit bien dans la plus longue mémoire, refusant les apparentes ruptures, leur préférant ces continuités souterraines souvent niées au nom d’un nihilisme destructeur par des contemporains ignorants ou gangrenés de mauvaise conscience. Avec une passion tempérée par la culture, il en appelle à une reconquête intérieure, à la virilité spirituelle. «
Que la terre vous soit légère !
Mort debout comme tout chevalier
Paul-Marie Coûteaux
« Tout ce qui vous arrive vous ressemble », disait Wilde ; le dernier geste de Dominique Venner bouleverse ses amis mais ne les étonne pas, tant il est à son image, aristocratique, romain, infiniment droit, infiniment clair. À l’heure de sa mort qui est aussi l’heure de sa victoire, ce personnage qu’a toujours tenu fier et droit un sens instinctif de la grandeur, du sacrifice et de la maîtrise de soi entre dans le cortège des héros qui ont marqué de part en part l’histoire, qu’il connaissait, admirait et servait avec scrupule, d’une civilisation dont la dégénérescence le désespérait mais à laquelle il ne se résignait pas : le voici inscrit pour toujours dans la ligne des héros de Corneille, des chevaliers de l’âge féodal et des maîtres antiques. Il est admirable que cet athée obstiné, mort debout comme tout chevalier, soit venu se donner la mort au pied du grand autel de la cathédrale Notre-Dame de Paris.
Il est admirable que cet intraitable combattant du « dépassement européen » ait été jusqu’au bout l’archétype d’un grand Français et qu’il illumine aujourd’hui la France par un geste emblématique d’une nation qui, seule dans une Europe qui s’abandonne, résiste à la dégénérescence de la civilisation et à la décadence morale qui entraîne toutes les autres décadences – notamment en ce qu’une large partie de son peuple s’oppose aux folies de la théorie du genre, qui l’horrifiait, et ce mariage dénaturé, officiellement adopté voici trois jours, où il voyait la pointe la plus violente du rouleau compresseur mercantiliste, et d’un monde où, comme il l’écrivait dans un de ses derniers textes, fait de l’enfant un objet de consommation. Admirable enfin que cet homme sobre et discret touche d’un coup tous les cœurs par un geste dont la portée est lumineuse et infinie, montrant à tous combien la politique, que les temps de paix ont rendue pour beaucoup frivole ou dérisoire, entre sous nos yeux dans un nouvel âge, celui du drame, de la violence, du sacrifice, et peut-être de la tragédie. Telle est la dimension que nous donnerons à nos combats en mémoire de Dominique Venner, sûrs qu’il a ce soir vaincu l’accablement, le désespoir passif et veule, et ce néant qui hantait son esprit, mais qu’il vient d’abolir.
Le dernier geste de Dominique Venner
L’abbé Guillaume de Tanoüarn
Mardi à 16h00, Dominique Venner s’est suicidé, à Notre-Dame, devant l’autel d’une balle dans la bouche. Comment comprendre ce geste ? Quels en sont les motifs ? Une lettre a été laissée sur l’autel, il nous dira ce qu’il veut nous dire de son acte.
J’ai eu l’occasion, voilà déjà une quinzaine d’années, de rencontrer Dominique Venner, de discuter avec lui, d’essayer de comprendre l’antichristianisme militant de cet historien qui était à la fois si froid et si passionné, si précis dans ses analyses et si lyrique dans ses perspectives, sans que le lyrisme ne nuise à l’analyse ni l’analyse au lyrisme. Dominique Venner avait une grande âme, un « cœur rebelle ». C’est ce qui m’avait fait éprouver pour lui, alors que nous étions aux antipodes l’un de l’autre, une véritable sympathie. Il m’avait d’ailleurs dédicacé son ouvrage autobiographique Le cœur rebelle : « À l’abbé de Tanoüarn qui n’est pas un cœur soumis ». Cette formule, je l’ai longtemps méditée. Je crois que c’est en cela que nous avons été en compréhension l’un de l’autre, lui et moi, dans le refus de toutes les formes de soumission. Se soumettre c’est subir, subir c’est renoncer à agir, renoncer à agir c’est accepter de ne pas servir, de ne servir à rien, de se laisser happer par le grand Néant de tous les À-quoi-bonismes, contre lequel Dominique s’est élevé toute sa vie. Contre lequel pourrait-on dire, il a tenté d’élever sa vie et son œuvre.
Son dernier post, sur son blog, appelant à manifester le 26 mai contre le mariage homosexuel, mêle la crainte d’une islamisation de la France à ce signe de décadence morale qu’est le mariage des homosexuels. « Ce ne sont pas de petites manifestations de rue » qui pourront changer quelque chose à cette formidable conjuration « du pire et des pires » que présente la vie politique française en ce moment. On devine une forme de désespoir politique, vraiment poignant chez cet homme de 78 ans, dont on pourrait penser qu’il en a vu bien d’autres, depuis les combats de l’Algérie française jusqu’à maintenant. Mais le désespoir n’est pas l’explication ultime de ce dernier geste.
Je crois que ce suicide-avertissement, que Dominique a voulu comme une sorte d’analogie frappante avec le suicide de notre civilisation, était aussi, pour lui, la seule manière qu’il ait trouvé de passer par l’Église une dernière fois sans se renier.
Du reste, sur son blog, ce n’est pas le désespoir qui domine le texte qu’il nous laisse : « Il faudra certainement des gestes nouveaux, spectaculaires et symboliques pour ébranler les somnolences, secouer les consciences anesthésiées et réveiller la mémoire de nos origines. Nous entrons dans un temps où les paroles doivent être authentifiées par des actes ». On pense au seppuku de Mishima, il n’a pas pu ne pas y penser, en choisissant froidement le lieu et le moment et en s’interdisant de se rater. Son acte a été mûri, prémédité. Il avait remis les clés de la Nouvelle revue d’histoire ce week-end à celui qu’il considérait comme son plus proche collaborateur et son continuateur, Philippe Conrad. Sans paraître affecté. Il avait fini sa tâche, il importait de donner un sens à sa fin.
Sur son blog, il expliquait : « Il faudrait nous souvenir aussi, comme l’a génialement formulé Heidegger (Être et Temps) que l’essence de l’homme est dans son existence et non dans un « autre monde ». C’est ici et maintenant que se joue notre destin jusqu’à la dernière seconde. Et cette seconde ultime a autant d’importance que le reste d’une vie. C’est pourquoi il faut être soi-même jusqu’au dernier instant. C’est en décidant soi-même, en voulant vraiment son destin que l’on est vainqueur du néant. Et il n’y a pas d’échappatoire à cette exigence puisque nous n’avons que cette vie dans laquelle il nous appartient d’être entièrement nous-mêmes ou de n’être rien ».
« Nous n’avons que cette vie… ». Cette affirmation, pour Dominique Venner, est une donnée essentielle du problème. S’il n’y a pas d’au-delà de la vie terrestre ; pour quelqu’un qui entend aller jusqu’au bout, l’instant, chaque instant a un poids écrasant. Le chrétien comprend ce sens de l’instant et ce sens de la responsabilité, mais il ne cherche pas à aller au-delà du possible : Dieu est l’agent de nos destinées. Dieu achève l’ébauche que nous lui tendons à la dernière seconde. Et le sacrifice est encore une action, non une soumission. Dominique Venner n’a pas voulu s’en remettre à Dieu de sa dernière seconde, il ne pouvait pas faire ce sacrifice : il a souhaité la choisir. Pétri de philosophie allemande, il a repris toute sa vie l’idée de Schelling, commenté par Heidegger : « être c’est vouloir ». Esse est velle. « L’être, c’est le vouloir ». Il faut vouloir jusqu’au bout pour être vraiment. Voilà la formule d’un athéisme antinihiliste… Le sien.
Et pourtant…
Pourtant, Dominique Venner a choisi l’autel de Notre-Dame pour cette décision. C’est sur l’autel qu’il a posé une dernière lettre. Vraiment je ne crois pas que, s’il a fait cela, c’est pour attirer l’attention, pour que Manuel Gaz vienne sur les lieux. Il n’avait que faire de ce genre de reconnaissance « médiatique ». Son acte n’est pas médiatique, il est symbolique. Quel symbole ? Celui de la Vierge Mère, celui de l’éternel féminin, lui qui, dans son dernier blog professe « respecter les femmes alors que l’islam ne les respecte pas ». Sans doute. Mais il ne faut pas oublier qu’outre sa culture païenne, Dominique Venner possédait une solide culture chrétienne, avant que son entrée en délicatesse avec une Église qu’il voyait comme absurdement pro-FLN ne l’ait détourné de Dieu. Je crois que ce suicide-avertissement, que Dominique a voulu comme une sorte d’analogie frappante avec le suicide de notre civilisation, était aussi, pour lui, la seule manière qu’il ait trouvé de passer par l’Église une dernière fois sans se renier. Une sorte de prière sans parole, pour ce coeur inassouvi jusqu’à la dernière seconde. Dieu ? C’était trop compliqué pour lui. Mais Marie… Une femme, capable – Dieu le sait – d’exaucer enfin le désir de perfection qui a été la grandeur et le drame de sa vie.
Dominique Venner a choisi la mort volontaire
Aymeric Chauprade
Cher Dominique,
Je viens d’apprendre, à sept mille kilomètres de la terre de mes ancêtres et des miens, que tu as achevé ta vie en fidélité à ce que tu as été et ce que tu as défendu depuis la première heure.
Tel Montherlant ou Drieu la Rochelle, tu as choisi la mort volontaire, celle des Romains, ou des Germains, celle de la vieille religion des Européens. Ce mardi 21 mai, à 16h, tu t’es tiré une balle dans la bouche devant l’autel de la cathédrale Notre-Dame de Paris. Au risque de ne pas être compris, tu dis ainsi aux catholiques, réveillez-vous, ne baissez pas l’échine devant l’ignominie qui avance partout ! Tu dis aux Français et aux Européens qu’ils ont encore le choix de ne pas pourrir et de ne pas se laisser envahir. Je t’admire Dominique, pour toute ta vie de combats, d’écrits, d’engagement, de droiture, et je suis fier d’avoir travaillé à tes côtés.
Puisse notre jeunesse française et européenne voir d’abord dans ton geste prométhéen, sacrilège, l’immense appel à la révolte radicale qu’il porte.
Pour mettre fin au grand remplacement, à la dormition européenne, à l’écrasement des valeurs familiales et des fondements de notre civilisation, le temps du grand soulèvement est venu.
J’ai entendu ton appel Dominique.