Un roi sans divertissement est un homme plein de misères, se lamentait Blaise Pascal, qui ne nous dit pas si sa maxime s’applique aux princes du sang. J’avoue, cependant, que le dévergondage sans fin du prince Harry se prête assez mal aux méditations pascaliennes, d’autant que c’est lui qui fait des misères à son roi de père et à son dauphin de frère. Le prince Harry, c’est un ami qui ne vous veut pas du bien. Je crois qu’il aurait voté sans ciller la mort du roi en 1793, comme Philippe d’Orléans, son aîné dans la carrière. C’est le Philippe Égalité des Anglais.
Quel gâchis, tout de même ! Il avait une jolie bouille ronde et joviale, une tignasse rousse sortie d’on ne sait quel croisement génétique de Saxons en colère, d’Angles furieux et de Jutes débraillés. Un garçon plein de fougue. Je suis sûr que le grand Rudyard Kipling l’aurait adoré. Il l’aurait embarqué avec lui en Inde, dans le Grand Jeu. Harry aurait fait les quatre cents coups avec Kim, il aurait appris la vie avec Mowgli dans Le Livre de la jungle, il aurait peut-être été roi dans un coin perdu d’Afghanistan comme dans la fabuleuse nouvelle de Kipling. De tous les Windsor, c’était le moins apprêté, le plus naturel. Sur la photo de famille, entre les grands cordons et les mines sévères, il jurait toujours un peu avec sa gueule de cockney coincé entre les lords et la gentry en haut-de-forme. Tout cela faisait de lui le chouchou du public. Cadet dans l’ordre de succession, mais premier dans le cœur des Britanniques.
Patatras ! L’ours brun était en peluche. Il faisait pleurer Margot, c’est lui qui pleure à ses pieds. Méconnaissable, le chouchou abritait une chochotte. Pire : le chouchou a déchu au rang de premier toutou de compagnie de madame son épouse, Meghan, avec un « h », pas comme les voitures. Comme dans un conte pour enfants, la sorcière lui a jeté un sort : elle a transformé le fier cockney en cocker anglais aux oreilles tombantes et au museau perpétuellement humide. Aujourd’hui, ce n’est plus que le perroquet de sa greluche, à qui il tient la main en souriant niaisement comme dans un roman-photo. Le regard attendri d’un bœuf des Highlands qui contemple la fille du boucher sans comprendre qu’il va bientôt être découpé en pièces.
Carnet mondain ou caprice mondain ?
Tel était son destin. Lui et Meghan devaient se rencontrer. Il a des taches de rousseur, elle a des grains de beauté. Il est indigne, elle est indigente. Il perd ses cheveux, elle lui fait perdre la tête. Il a de l’argent, elle le collectionne. Il aime le cricket, elle aime le croquer. Il est fou, elle est fourbe. Il lui a offert un mariage en carrosse, elle est sa fée Carabosse.
Et si la perfide Albion, c’était elle ? Tout ce qu’il a perdu, elle l’a gagné. Depuis leur rencontre, elle est au comble du bonheur, arborant son immuable sourire fabriqué de mijaurée. Si elle n’y prend pas garde, il risque de lui arriver la même mésaventure qu’à Madame Verdurin, le personnage de Proust, qui, à force de fous rires tapageurs, finit par se décrocher la mâchoire. À un siècle de distance, la Verdurin semble une prémonition de la Markle. C’était une sorte d’influenceuse fin de siècle qui tenait salon et qui a fini par épouser un prince de Guermantes, pas le plus brillant de la famille, loin de là, mais quand même. Ni plus ni moins que Meghan.
Harry est le rôle de sa vie. Elle, l’actrice de seconde zone, a décroché la Lune, l’Oscar de la meilleure croqueuse de diamants, la roturière devenue princesse. La voilà enfin installée à demeure dans le gotha. Mais elle reste ce qu’elle a toujours été, au surplus une snob, un mot forgé à partir de sine nobilitate (sans noblesse). C’est toute la différence entre l’aristocratie et l’« artistocratie ». La première est commandée par un noblesse oblige, la seconde par une noblesse désobligeante.
Plus que snob, d’ailleurs, Meghan vous snobe du haut de ses talons aiguilles et de ses caprices. Les témoins à charge se pressent à la barre pour l’accabler. Elle n’a cessé d’« humilier » et de « harceler » le personnel du palais de Buckingham. Au Canada, où le couple s’est un temps replié, elle a épuisé quinze gardes du corps diligentés par Scotland Yard qu’elle traitait comme des « larbins », selon leur mot, qui devaient préparer le café de Madame et lui enfiler ses chaussons. Les commentaires habituels la concernant, qu’ils émanent de photographes ou de majordomes, c’est qu’elle est « insupportable », un « défilé incessant de vanité ». Une sorte d’Amber Heard qui aurait ferré – et flairé – un Johnny Depp moins indocile que l’original.
Bienvenue chez les Thénardier et les Rougon-Macquart
Au moins Johnny Depp s’est-il fait tout seul. Mais Harry ? Sans l’institution, qu’il piétine, il ne serait qu’une unité statistique de plus dans la génération Y, quelque part entre le concept marketing et l’enfant gâté. Un type sans filtre pour qui la monarchie n’est qu’une sorte d’émission de télé-réalité trash. Ce qui l’autorise à dire qu’il a tué 25 talibans comme dans un jeu vidéo, pris de la cocaïne, perdu son pucelage à 17 ans, ou bien à colporter des rumeurs infondées de racisme contre sa famille, alors qu’il faisait la fête, plus jeune, en costume nazi, un déguisement que Meghan n’a curieusement jamais essayé.
La tête d’affiche, c’est elle. L’ex-prince Harry n’est que Le Suppléant, titre de ses mémoires fracassants. Un joli coup éditorial. Lancement simultané en seize langues. Mieux que Barack Obama. Une avance de 20 millions de dollars, que le couple s’est partagé. Cela ne les empêche pas de jouer à Fantine chez les Thénardier et à Étienne Lantier chez les Rougon-Macquart – euh, pardon : chez les Windsor. Qu’on les plaigne ! Avec leur modeste Livret A, ils sont parvenus à acheter une petite chaumière en Californie : 15 millions de dollars tout de même. Ils veulent déjà la revendre. 1.350 mètres carrés, 16 salles de bains, spa, piscine, court de tennis et vue imprenable sur le carré VIP des ultra-riches du show-biz et sur leur poulailler – le hameau de la reine, mais n’est pas Marie-Antoinette qui veut ! C’est là que le duc et la duchesse de Sussex, seul titre qu’ils ont conservé, jouent aux damnés de la Terre devant les caméras. Netflix leur a déjà versé 100 millions de dollars. Harry a beau jeu de contrefaire le fils de famille désargenté, il est aussi crédible qu’un prince saoudien au RSA. Il n’a d’ailleurs pas seulement mis dans la corbeille de la mariée sa réputation, ses titres et sa notoriété, mais la dot, et croyez-moi, elle était aussi moins aussi coquette que la mariée : outre la très généreuse cassette de la reine et du futur Charles III, il y avait les 13 millions de rente que sa mère lui a laissés. Pour la vulnérabilité sociale, on repassera.
Le wokisme chez les Windsor
Meghan est toxique ; Harry l’est devenu. C’est la toxicité au carré, le point de rencontre du syndrome de Calimero, lui, et pour Meghan, du syndrome de la fée Clochette, pas celle de Disney, mais celle de J. M. Barrie, l’inventeur de Peter Pan, méchante, jalouse, mesquine. Elle lui a appris à laisser grand ouvert le robinet à pleurniche. On sort détrempé de la moindre entrevue avec eux, flottant dans un bain de larmes et de livres sterling. À près de 40 ans, Harry découvre que sa vie n’a été jusque-là qu’un long calvaire, certes dans la soie, une vallée de larmes dans une coupe de cristal. C’est Meghan qui l’a éveillé, ce qu’est le wokisme au sens littéral du mot, en lui apprenant le jeu de rôle du racisme systémique et du privilège blanc. Écoutons-le confesser le sien à Oprah Winfrey, la diva des intervieweuses. C’est beau comme une autocritique maoïste.
« Vous savez, quand vous vous rendez dans un magasin avec votre enfant et que vous ne voyez que des poupées blanches, est-ce que vous vous demandez pourquoi il n’y a pas une seule poupée noire ? […] C’est une situation que nous ne pouvons pas comprendre, car le monde a été créé par des Blancs, pour des Blancs. » Il fallait oser. Il a osé. Cela vaut les sparadraps beiges structurellement racistes de Rokhaya Diallo qui nous feraient presque regretter les sparadraps du capitaine Haddock. Mais de ceux-là, au moins, on parvenait à se défaire.