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Samain

Hallowe’en et Samhain

En Angleterre, on appelle Hallowe’en (ou All Hallows Eve) le début de la période dite Allhallowtide, qui comprend les Vigiles et la fête de la Toussaint (31 octobre1er novembre), ainsi que la fête des Trépassés ou des Défunts (2 novembre). Depuis des temps immémoriaux, cette période a été associée à des récits de fantômes, de revenants et de morts. L’Église n’a fait, en instituant la Toussaint, que reprendre une ancienne tradition païenne. Au VIIe siècle, la Toussaint – c’est-à-dire la fête de « tous les saints » du ciel – était encore célébrée le 13 mai. Elle fut transférée au 1er novembre en l’an 835. La fête des Trépassés, le 2 novembre, date (sous sa forme actuelle) de l’an 988. À l’époque du paganisme, ce moment de l’année était celui où l’on honorait les ancêtres morts et tous les disparus de la communauté. On disait qu’alors, le monde des vivants et celui des morts entraient en communication ; les défunts sortaient de leurs tombes, les dieux souterrains se manifestaient.

Chez les Celtes, cette solennité portait le nom de Samhain ou Samain (ou encore Samuhin), et marquait le début de la nouvelle année pastorale. Célébrée dans la nuit précédant le 1er novembre, cette fête était l’une des quatre plus importantes du monde celtique (les autres étant Imbolc, le 1er février, Beltaine, le 1er mai, et Lughnasa, au mois d’août). C’était un temps de « grand danger et de vulnérabilité spirituelle »1, et l’occasion de rites importants à caractère divinatoire et magique (ayant pour but de conjurer le mauvais sort et de s’assurer le concours de l’Autre monde).

En Irlande, c’est à Samhain que le Dagda (le dieu «sage et droit» qui porte aussi le nom d’Eochu Ollathir Ruadrofessa) s’unit à la déesse Morigu, reine des spectres et des enfers, laquelle, un an avant la grande bataille de Mag Tured, lui donna les indications pour détruire les Fomore. Le sacrifice à l’idole Crom Cruaich avait également lieu ce jour-là, sans doute pour apaiser les puissances du monde inférieur et contribuer à la fertilité.

Au Pays de Galles, la coutume était de dresser des bûchers sur les collines et de les embraser ; de même, en Irlande, on allumait le premier feu à un endroit qui tirait son nom de Tlachtga, fille de Mog Ruith, et avec ce feu, on rallumait tous les foyers de l’île.

     Jan de Vries signale qu’en Irlande, le mot « sam-fuin » signifie la « fin de l’été », mais qu’en réalité Samuhin veut dire « rassemblement, réunion ». Il ajoute : « Que représente ce Samuhin ? De quelle « réunion » s’agit-il ? Certainement pas le rassemblement des troupeaux parce que la saison des pâturages tire à sa fin. Ce serait un sens trop plat. Il ne suffit pas non plus de penser à un contact entre les vivants et les morts, bien que certainement de telles relations soient possibles »2. De Vries rappelle ensuite l’épisode de l’union de Dagda et de Morigu. « Une fois de plus, écrit-il, notre fête est jointe à l’union d’un dieu avec la déesse des enfers. Cela n’exclut pas que, dans cette fonction précisément, elle ait pu dispenser la fertilité ; en ce cas, le Samuhin compterait également au nombre des cérémonies agricoles d’Irlande»3.

     Après la mainmise chrétienne sur l’ancien festival celtique, nombreuses traditions se poursuivirent en changeant de sens. On continua en de particulier, d’allumer des feux sur les collines jusqu’au début du Xe siècle, Ces feux existent encore aujourd’hui en Angleterre, mais ont été reportés au 5 novembre (Guy Fawkes Day), avec une autre dénomination. Contrairement aux feux de Beltaine, qui étaient allumés à l’aurore, ceux du début novembre s’enflamment au crépuscule ; c’est, dit-on, un moyen d’éloigner les « fées » et les « sorcières », qui ont pris la place des mauvais esprits de l’époque païenne. L’allumage des bûchers se fait en grande cérémonie, au son des trompes et des clairons, et il est parfois l’occasion de danses. A.D. Cummings (Old Times in Scotland, 1910) rapporte que vers 1840, le shériff Barclay, voyageant de Dunkeld vers Aberfeldy (Écosse) , le 1er novembre, ne vit pas moins de trente feux de joie environnés de danseurs se consumer sur les collines de la région ! À la fin du siècle dernier, les jeunes des villages se livraient aussi à des compétitions et des « combats » traditionnels – représentations probables d’un affrontement entre les « bons » et les « mauvais » génies.

Les jeux de la pomme et de l’Autre monde

En Écosse, les feux de Hallowe’en avaient pour but de « brûler les sorcières ». Dans la région d’Aberdeen, les garçons dansaient autour du bûcher en chantant : Gie’s a peat t’burn the witches ! Les cendres étaient ensuite soigneusement dispersées sur la plus grande étendue possible. À Balmoral, à l’époque de la reine Victoria, un grand feu était allumé en face du chateau, juste devant l’entrée principale, et des joueurs de cornemuse défilaient autour de lui, portant en effigie la tête d’une « sorcière » locale très connue, nommée Shandy Dann. Cette « sorcière » était ensuite solennellement jugée, non moins solennellement condamnée au bûcher – et finalement brûlée, à la grande joie de l’assistance4. Au Pays de Galles, on note des coutumes analogues; à la fin de la cérémonie, les gars du village se livraient, en pleine nuit, à la  chasse au hwch ddu gwta, animal mythique (une truie noire) particulièrement redouté.

     Tant chez les Gallois que chez les Écossais, une autre tradition de Hallowe’en veut que pendant la consomption du feu toutes les personnes présentes marquent une Pierre blanche et la jettent dans le bûcher. Le lendemain matin, quand les cendres ont refroidi, chacun doit retourner sur place pour tenter de retrouver sa pierre. On considère comme un très mauvais présage de ne pas pouvoir remettre la main dessus (ou de la retrouver en mauvais état, éclatée, etc.)… Une variante de cette coutume se retrouve dans le nord du Lancashire et porte le nom de Lating the Witches : cette fois, il s’agit de gravir le flanc d’une colline un soir de Hallowe’en, entre 11 heures et minuit, en portant à la main une bougie allumé. Il est de mauvais augure que la bougie s’éteigne. On retrouve là les petits « jeux conditionnels » (« si je réussis ceci ou cela, je vais au ciel », « si je rate, je vais en enfer », qui représentent l’un des plus « fructueux » secteurs du folklore populaire.

     Il existe également de nombreux jeux de Halloween. Dans certaines régions d’Angleterre, la nuit de Hallowe’en porte le nom de Nutcrack Night ou de Crab Apple Night, ou Apple Candle Night, par allusion précisément à ces jeux, qui font souvent intervenir des bougies (candles) et des pommes (apples).

     La plupart de ces jeux sont très bruyants et correspondent aux traditionnels charivaris des fêtes populaires et rurales païennes. L’un des plus répandus, Robbing (ou Ducking) for apples, se joue avec une grande bassine remplie d’eau, ou l’ont met des pommes à flotter. Les joueurs, les mains attachées derrière le dos, tentent d’attraper les pommes avec leurs dents. Pour que le jeu dénommé Ducking for money, on procède à peu près de la même manière, à cette différence près que les pommes sont remplacées par des pièces de monnaie, que les participants doivent aller chercher en plongeant la tête dans l’eau – comme des « canards » (ducks). Le gagnant n’a pas seulement le droit de conserver la pièce qu’il a saisie ; il est également assuré d’avoir de la chance toute l’année. (C’est en cela, précisément, que le jeu est… autre chose qu’un jeu). Parmi les jeux de Hallowe’en, citons encore : Bob Apple (des pommes suspendues à des poutres par des ficelles se voient imprimer un mouvement de rotation ou de balancier et il faut les saisir au passage avec les dents), Apple And Candle (on dispose aux deux bouts d’une planchette une pomme et une bougie allumée ; la planchette est ensuite suspendue à une poutre, agitée d’un mouvement, et il faut s’emparer de la pomme avec les dents sans se faire brûler par la bougie), etc.

     Beaucoup de ces « jeux » ont un aspect divinatoire qui, à l’époque du paganisme, était probablement pris très sérieusement (l’entrée en communication avec le monde des morts était l’occasion d’interroger le sort et de tenter de « lire l’avenir »). Les « questions » posées, comme de juste, concernent essentiellement les domaines amoureux et (para) conjugaux : sera-t-on heureux en amour, se mariera-t-on dans l’année qui vient ? etc. Quelques exemples: on place deux noix sur un gril porté au rouge (une noix pour le garçon, l’autre pour la fille) ; si elles cuisent ensemble sans éclater, l’union sera heureuse. On pèle une pomme avec attention de façon à obtenir un long « ruban d’épluchure » ; celui-ci est ensuite jeté sur l’épaule de l’intéressé, et l’on dit qu’il dessine l’initiale de celle qui deviendra sa femme. A telle heure de la nuit, on mange une pomme en regardant dans un miroir ; lorsque la pomme est mangée, l’image de la « future » apparaît dans la glace, etc. (Il est intéressant de noter l’intervention de la pomme dans tous ces jeux. N’oublions pas que chez les celtes, l’Autre monde – celui où Arthur est enlevé à la fin de son existence terrestre – est un vaste enclos planté de pommes. L’Île d’Avalon est une pommeraie : en breton, « pomme » se dit aval. Cette île semble identique à l’île d’Abalum, qui est l’île de l’ambre des anciens Germains. Le nom d’Apollon (Abellio en Aquitaine, Beli dans la mythologie galloise), dont on connaît les liens avec les territoires nordiques et le « pays de l’ambre », contient le même radical que l’on retrouve dans le breton « aval », l’allemand « apfel », l’anglais « apple », « pomme ».

     En Angleterre, comme nous l’avons dit, les festivités de Guy Fawkes Day (5 novembre) ont absorbé beaucoup de coutumes dérivées d’Hallowe’en / Samhain. Ces festivités sont marquées, entre autres, par des défilés aux flambeaux où les enfants utilisent des masques taillés dans les légumes tels que betteraves et citrouilles (et ajourés pour faire passer la lumière). Promenés au bout d’une pique, avec une bougie à l’intérieur, ces masques de ce genre sont pendus aux réverbères, avec la bénédiction des pouvoirs publics, dans la nuit du 31 octobre, afin de porter bonheur à tous les habitants !

Extrait du livre Les Traditions d’Europe d’Alain de Benoist

  1. Anne Ross, Everyday Life of the Pagan Celts, B.T. Batsford-G.P. Putnam, London-New York, 1970, p. 153.
  2. La religion des Celtes, Payot, 1963, pp. 237-237
  3. Ibid., p. 238
  4. Alexander Macdonald, Scottish Notes and Queries, vol. III et IV, 1891-1901

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