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Guerre russo-ukrainienne à J+436 : pourquoi la contre-offensive de Kiev tarde

Guerre russo-ukrainienne à J+436 : pourquoi la contre-offensive de Kiev tarde

La guerre russo-ukrainienne n’en finit pas. À J+436, notre expert militaire, l’historien Laurent Schang fait le point : forces en présence, hommes et matériel, pertes, perspectives… Le moins qu’on puisse dire, c’est que la balance ne penche pas en faveur des forces ukrainiennes. Alors que Kiev annonce depuis des semaines une contre-offensive mirobolante censée enfoncer la ligne de front russe, le rapport de forces sur le terrain ne reflète pas cet optimisme. Ce que démontre à l’envi, avec une précision clinique, le point de situation de Laurent Schang.

Quelles réserves pour l’armée ukrainienne ? Aujourd’hui anéantie, la première armée ukrainienne (au sens chronologique) se composait au lancement de l’« opération spéciale » de quatre corps d’armée (260 000 h) ; la deuxième, considérée comme détruite elle aussi, engerbait 100 000 hommes équipés pour partie de matériel OTAN ; la troisième, estimée à plus ou moins 50 000 hommes – les effectifs d’un corps d’armée de 2022 –, est engagée dans la région de Bakhmut et à cette heure, une quatrième armée serait en cours de formation, avec des effectifs équivalents à ceux de la troisième armée. Les réserves restantes, incluant blessés légers et derniers mobilisés, sont estimées entre 50 000 et 70 000 hommes.

Le nombre des volontaires étrangers – autour de 20 000 à l’été 2022 – se réduirait aujourd’hui à la taille d’un bataillon (1 500 h).

120 000 soldats ukrainiens sont ou seraient en passe d’être déployés sur la zone la plus active du front, de Lyssytchansk à Donetsk. Pour rappel, la ligne de contact est très longue, avec 1 200 km à couvrir de la Biélorussie à la mer Noire. En face, 290 000 soldats russes (quoi qu’en dise la presse occidentale, la SMP Wagner obéit aux ordres du haut commandement russe) et coalisés tiennent le terrain conquis.

Quelles pertes de part et d’autre ? Les estimations diffèrent selon les sources : pour l’OTAN, 120 000 à 150 000 soldats ukrainiens auraient été tués au combat, contre 200 000 soldats russes ; d’après les services de renseignement israéliens, les FAU auraient enregistré 157 000 tués et 234 000 blessés (deux armées à effectif complet selon le standard 2022), contre 18 500 tués et 44 500 blessés russes (chiffres de février 2023). À Bakhmout, épicentre des combats depuis plusieurs mois, le groupe Wagner perdrait une moyenne de 150 contractors par semaine, contre 1 500 à 3 000 soldats côté kiéviste (1 à 3 bataillons) d’après le témoignage d’un haut gradé ukrainien.

Quelle contre-offensive ukrainienne ? Beaucoup l’annoncent imminente, Kiev en a besoin pour soutenir ses demandes de matériel, mais pour quels objectifs et avec quelles ressources ? La plupart des analystes anglo-saxons s’entendent à considérer que la grande offensive mécanisée aura lieu sur la ligne de front Kherson-Zaporijjia. En cas de succès, deux axes d’attaque pourraient se dessiner : vers Melitopol, au sud ; vers Berdiansk, au nord. Reste à savoir, au-delà du niveau tactique, quelle suite donner aux brèches ainsi créées.

Si l’histoire nous démontre que la masse peut être (rarement) déjouée, la disproportion des moyens terrestres (ratio 1 : 10) et aériens engagés de part et d’autre joue contre les Ukrainiens. Les chiffres sont parlants : d’après un récent rapport de la Commission européenne, les FAU auraient tiré au maximum 7 000 obus par jour depuis le début de l’OMS, contre 50 000 pour l’armée russe. Les Ukrainiens savent qu’ils doivent faire vite : plusieurs responsables étatsuniens ont annoncé par voie de presse qu’au rythme actuel des livraisons, les stocks de munitions US seront à sec avant la fin de l’été 2023.

Les documents ayant fuité du Pentagone évoquent 15 brigades (45 000 hommes), dont 12 équipées à l’occidentale. Pour l’instant, l’offensive ukrainienne est officiellement repoussée pour des raisons climatiques. On peut aussi se demander si l’engagement massif des Ukrainiens à Bakhmout n’interdit pas toute possibilité de reprise de l’initiative sur d’autres points du front.

Quel(s) objectif(s) pour les Russes ? Avec l’arrivée de l’hiver, l’armée russe a adopté une posture défensive, pour se ménager (ex. : la consommation d’obus serait passée de 50 000 à 10 000 par jour), recruter, instruire son personnel et reconstituer ses stocks.

Les FAR n’enregistrent plus de gain de terrain notable, mais fortifient leurs acquis tout en se préparant pour la suite. Malgré certaines déclarations qu’on peut lire (dont celle, pour le moins fantaisiste, du général Milley, selon qui les Russes auraient déjà perdu 100 000 hommes à Bakhmout), Bakhmout apparaît plus comme un abcès de fixation utilisé par les Russes pour épuiser l’ennemi en le saignant que son contraire (Verdun et Stalingrad reviennent souvent). On a vu plus haut qui usait le plus l’autre.

Plutôt qu’un retour précipité à l’offensive dans la zone la plus fortifiée du Donbass, le haut commandement russe privilégie pour l’heure la guerre d’usure, par une tactique de grignotage lent mais constant des forces ennemies. On ne peut donc pas parler d’une guerre totale, mais d’une guerre de moyenne intensité.

Plus largement, en misant sur une guerre industrielle, Moscou a pris un avantage stratégique sur l’Occident que beaucoup d’analystes non-occidentaux (mais aussi un nombre croissant d’analystes occidentaux) jugent irréversible.

Au 14e mois de l’OMS, les FAR gardent somme toute l’initiative.

Pourquoi le « hachoir à viande » de Bakhmout ? En russe Artemovsk, cette ville située sur la route de Slaviansk et Kramatorsk revêt une valeur stratégique pour la possession du Donbass.

À l’heure actuelle, l’action se concentre sur une portion du front qui va de Soledar (N) à Marïnka (S, périphérie de la ville de Donetsk), deux villes distantes de 100 km à vol d’oiseau. Les combats se déroulent à l’ouest de Soledar (sous drapeau de la RPD depuis le 17/01/2023), à Krasna Hora, Bakhmout et Avdiivka. Sans former un véritable saillant, Bakhmout se trouve par sa position avancée à la pointe de la ligne de front du Donbass, en surplomb de la ligne fortifiée ukrainienne Toretsk-Avdiivka-Marïnka.

Une percée des FAU au N de Bakhmout leur permettrait, par un mouvement tournant au S, d’encercler Wagner. Raison pour laquelle les FAR ont déployé d’importantes forces mécanisées entre Krasna Hora et Soledar. La réduction de Bakhmout permettrait à l’inverse aux FAR de prendre à revers la ligne de défense ukrainienne et d’avancer en terrain libre vers Kramatorsk.

Dans les deux cas, les lignes d’approvisionnement ennemies sont en ligne de mire, à cette différence près que les Russes ont le bénéfice du nombre et l’entière maîtrise de leurs arrières.

50 % des FAU seraient aujourd’hui concentrés dans le secteur de Bakhmout (chiffre fourni par le général et chef d’EM ukrainien Zaluzhny). D’autres données circulent – à prendre au conditionnel – avec 30 brigades ukrainiennes identifiées, soit 3 000 x 30 : 90 000 h et plusieurs centaines d’engins. Le double des forces prévues pour la contre-offensive de printemps (été ?), d’après les documents du Pentagone. En face, Wagner n’aligne officiellement que 15 000 hommes.

Comme tout combat en zone urbaine, la bataille de Bakhmout se déroule à un rythme lent, les destructions infligées par l’artillerie (principalement russe) compliquant autant la progression des assaillants que les contre-attaques ukrainiennes – on l’a vu avec la prise de l’hôtel de ville de Bakhmout ; on l’a vu aussi à Marioupol en 2022.

Ajoutons que sa configuration (terrain plat, panorama dégagé) est propice aux tirs directs de missiles, à l’engagement d’unités de chars et à l’usage de drones suicide.

Pourquoi Wagner ? L’OMS a montré dès le printemps 2022 que les BTG (groupes tactiques de bataillon) russes, s’ils disposaient d’une grande puissance de feu (artillerie + blindés), étaient équipés trop léger en infanterie. Le refus de recourir aux conscrits (qu’il aurait de toute façon fallu former) a également révélé la fragilité structurelle des FAR. 80 000 combattants russes ont été engagés dans l’opération spéciale, l’équivalent de 5 divisions du Pacte de Varsovie. Soit 1 fantassin russe contre 3 ukrainiens : la taille d’un corps expéditionnaire.

Tirant les leçons de l’année écoulée, l’armée russe se transforme, ce qui demande du temps. La réforme militaire de 2008, inspirée du modèle occidental, a été abandonnée (déclaration du ministre de la Défense Shoigu) et les FAR reviennent au format divisions. Contractuels compris, le personnel de l’armée russe se monte aujourd’hui à 1,5 million hommes. Se pose en parallèle la question du matériel, sa fabrication, sa livraison comme sa mise en service. L’emploi des systèmes d’armes, lance-roquettes, lance-missiles, drones, etc., exigent une instruction poussée. Ce pourquoi, à l’heure actuelle, seule l’élite des FAR est engagée sur les points chauds : troupes de marine, paras, et professionnels aguerris du groupe Wagner. Les unités des républiques du Donbass et tchétchènes, qui n’en font pas partie, sont, d’après ce qu’on sait, postées en défense.

Quid des chars de combat ? Au début du conflit, l’Ukraine possédait 900 chars de combat opérationnels, tous de conception soviétique (essentiellement des T-64 modernisés et fabriqués sur place) + environ 1 000 autres gardés en stock. Aujourd’hui, 1/3 de ce parc a été détruit et 1/3 est hors service (source Oryx, janvier 2023). Les importations depuis février 2022 se montent à 410 chars de l’époque soviétique + 300 VCI (véhicule de combat d’infanterie) de même origine, 1 100 VBTT (véhicule blindé transport de troupes), pour partie occidentaux, 300 obusiers remorqués, 400 canons autotractés (chiffre théorique, tous ne sont pas arrivés), 95 LRM (lance-roquettes multiple) + environ 500 engins russes récupérés et retournés.

Pour ce faire, les armées de l’Otan ont dû puiser dans leurs stocks. L’improvisation domine, comme le prouvent l’ancienneté des chars lourds livrés ou en passe de l’être et l’aspect hétéroclite de l’ensemble. Les Abrams US promis restent à construire (pour information, l’armée américaine comptent 2 500 Abrams actifs + 3 500 en réserve), la Pologne et le Canada se sont engagés à livrer des Leopard 2 (années 70) modernisés, 300 Leopard 1 (années 60) environ, modernisés eux aussi, doivent arriver d’Allemagne, des Pays-Bas et du Danemark dans les prochaines semaines/prochains mois + 14 Challenger 2 britanniques (année 90). 50 VCI Bradley US, un nombre indéfini d’AMX-10RC français (char léger 6 x 6 roues) et 40 VCI Marder allemands figurent également sur la liste. Les premiers chars occidentaux livrés sont censés être opérationnels depuis fin avril-début mai.

En face, les experts occidentaux estiment à 12 500 le nombre de chars russes, tous types confondus.

En janvier 2023, l’Otan a promis à l’Ukraine entre 73 et 175 engins (31 US, 14 GB, 14 Pol, 28 All, 53 Esp, 8 Norv, 18 NL, 5 Fin, 4 Port). Sachant qu’1 brigade blindée ukrainienne se compose de 120 chars, ces 175 chars ne seront pas suffisants pour équiper 2 brigades au complet. Kiev a bien réclamé l’envoi de 300 chars lourds + 700 VCI + 500 obusiers, tout cumulé, l’arsenal occidental n’en contient pas autant.

Et puis ? Arme offensive par définition, on imagine bien aussi que les Russes se tiennent prêts à les recevoir. Question maintenance, que faire si une pièce casse ? La logistique suivra-t-elle ? Chaque engin nécessite une formation + ou – longue et spécifique.

Quid des satellites russes qui peuvent suivre leur long acheminement (source d’usure précoce) depuis la Pologne et la Roumanie ?

Quid des questions de carburant (les chars US sont les plus gourmands) et de munitions, alors que l’« Occident collectif » ne prévoit pas une augmentation de sa production avant l’horizon 2025-2026 et que les obus, même si de calibre identique, ne sont pas interchangeables ?

Quid surtout de la supériorité aérienne absolue des Russes une fois que l’offensive sera lancée ?

Conclusion (provisoire) : on est loin des Wunderwaffen chantés dans nos médias.

(sources : dailymail.com, Institute for the Study of War, lavoiedelepee.blogspot.com, southfront.org, @war_mapper, oryxspioenkop.com, Ministère des Armées, Sim Tack, lecourrierdesstrateges.fr, mars-attaque.blogspot.com, cf2r.org, opex.360.com, fundstrat.com, southfront.org, Army Recognition, www.eurocontinent.eu, entredeuxguerres.fr, militaryland, https://www.youtube.com/@LesRapportsDeLUkraine, geopragma.fr ; warontherocks.com ; militaryland.net)

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