ÉLÉMENTS. Vous écrivez dans la revue depuis maintenant une dizaine d’années. Pouvez-vous nous raconter comment vous avez découvert Éléments et comment s’est réalisé le « rapprochement » avec sa rédaction ?
NICOLAS GAUTHIER : Le « rapprochement » que vous évoquez doit finalement plus à l’amitié qu’aux affinités intellectuelles et politiques. À l’origine, en 1984, quand j’officiais comme simple maquettiste au quotidien catholique Présent, on m’avait assuré qu’il ne fallait pas lire Éléments, au motif qu’il était « antichrétien ». Mais comme tout ce qui est interdit ne peut que m’attirer, je me suis donc mis à lire cette revue. Certes, sa tonalité d’alors, qui n’était pas exactement celle d’un bulletin paroissial, a pu m’agacer parfois. Je n’étais pas d’accord avec tout ; mais ayant toujours peiné à être d’accord avec moi-même, ça ne me dérangeait en rien et, objectivement, ça me faisait plutôt rigoler. Après tout, je me disais que Dieu en avait vu bien d’autres ! Et puis, ayant toujours fui l’embrigadement, celui des scouts, des profs, des curés, des journalistes et autres emmerdeurs, je ne voyais pas au nom de quoi on se permettrait de dicter mes lectures. Ensuite, j’ai eu l’occasion de croiser Alain de Benoist dans les locaux de Minute ; là, je n’étais plus maquettiste, mais journaliste. Pour bref qu’il ait été, cet échange m’a durablement marqué. Puis, je fais la connaissance de Pascal Eysseric, votre ancien patron et accessoirement l’un de mes plus proches amis. Je commence à écrire dans Éléments sous la houlette de mon cher Michel Marmin rencontré lui aussi à Minute. Ensuite, je revois Alain de Benoist plus longuement. Nous sympathisons. Lorsque je me lance dans l’aventure du site Boulevard Voltaire, nous convenons d’entretiens hebdomadaires réguliers et relatifs à la politique politicienne, sujet qu’il n’aborde quasiment jamais. Nous en tirerons finalement deux épais volumes ; ce qui doit faire de moi le journaliste français l’ayant le plus souvent interviewé. Pas mal, pour un plumitif catholique ! Dans la foulée, j’intensifie ma collaboration à Éléments, rédaction dans laquelle je commence à avoir de plus en plus d’amis. Comme vous voyez, avant d’être intellectuel, ce « rapprochement » fut avant tout amical.
ÉLÉMENTS. Vous avez écrit dans de nombreuses autres publications, aux thématiques très diverses. Pouvez-vous nous évoquer certaines de ces expériences journalistiques, celles qui vous ont plus particulièrement « marquées » ?
NICOLAS GAUTHIER : Mon tempérament étant ce qu’il est, j’ai toujours suivi les conseils de mon grand-père paternel qui me disait : « À défaut de faire ce que tu aimes, aime au moins ce que tu fais. » Même si j’ai dû parfois un peu me forcer, j’ai donc aimé toutes ces collaborations. J’ai adoré écrire dans des journaux rap, (RER et R’N’B) surtout quand j’ai appris que le directeur du groupe de presse qui m’employait venait d’une famille d’Action française. Je me suis tout autant plu à écrire dans Best, revue rock ressuscitée un an durant par mon camarade Patrick Eudeline. Tout comme je garde d’excellents souvenirs de National hebdo, de Pas de panique ou de Minute. Après, les deux titres auxquels je demeure attaché sont ceux dont j’ai été l’un des fondateurs, Le Choc du mois et Flash. Mais, une fois encore, ce qui m’a le plus marqué, ce sont les rencontres que j’ai eu le bonheur de faire, les personnalités que j’ai eu l’honneur de côtoyer : Jean Bourdier et Jean-Marie Le Pen, Roland Gaucher et François Bousquet, Jean-Charles de Castelbajac, à l’époque où je codirigeais Faim de siècle, un journal vendu dans la rue par des sans-abris, et, bien sûr, le regretté Jean-François Michaud, un homme d’exception comme on n’en fait plus guère.
ÉLÉMENTS. Quel est votre regard sur l’évolution de la presse et du monde journalistique ?
NICOLAS GAUTHIER : Je trouve qu’il y a de plus en plus de gugusses qui jugent sans chercher à comprendre, alors même que l’essence de notre métier – si toutefois on peut appeler cela un métier –, consiste justement à chercher à comprendre sans jamais juger. Je crois aussi qu’on devrait supprimer les écoles de journalisme. Apprendre le journalisme à l’école ? C’est un peu comme si on apprenait à nager par correspondance. Après, ce qui me rassure, c’est l’éclosion de jeunes talents, tel que vous ou le très punchy Rodolphe Cart et d’autres dont les noms m’échappent.
ÉLÉMENTS. À l’heure du tout numérique et des réseaux sociaux, voyez-vous encore de l’avenir pour la presse papier ?
NICOLAS GAUTHIER : Il a autrefois été prétendu que le cinéma allait tuer le théâtre ou que la télévision allait achever le cinéma. Il suffit de regarder autour de soi pour vérifier que tout cela cohabite et que les nouveaux médias n’ont jamais eu la peau des anciens. La presse papier et son homologue numérique continueront de vivre ensemble. La preuve en est que vous m’interrogez pour le site d’Éléments et non point sa version imprimée. D’ailleurs, la presse traditionnelle la plus menacée est celle des quotidiens. Pour avoir les nouvelles du jour, un ordinateur ou un téléphone portable suffisent. En revanche, pour des articles fouillés, rien ne vaudra le papier et ces revues qui laissent le temps de réfléchir.
ÉLÉMENTS. Comment vous définiriez-vous politiquement, philosophiquement et religieusement ?
NICOLAS GAUTHIER : Politiquement, et ce en tant que royaliste, je me sens à équidistance de la vieille gauche et de la nouvelle droite. Ce qui doit faire de moi un compagnon de route du GRECE, une sorte « d’idiot utile », comme on disait alors. Mais, à tout prendre, mieux vaut être un « idiot utile » qu’un crétin qui ne sert à rien. Philosophiquement, je serais plutôt du genre aristotélicien. Quand je m’emmerdais comme un rat mort au service militaire, j’en profitais pour lire le manuel d’apologétique catholique du grand-père plus haut cité. Étant Bac-2 (mon seul diplôme se résume à un CAP d’arts graphiques), j’en profitais pour rattraper mon retard. J’ai donc lu Aristote qui enseigne qu’il convient de partir du réel pour aller au concept et non point l’inverse. Saint Thomas d’Aquin ou Charles Maurras ne raisonnaient pas autrement et Alain de Benoist tout pareil. Me voilà donc en bonne compagnie philosophique ! Pour la religion, je me contente d’être catholique, apostolique et romain. Le tout assaisonné d’une bonne dose d’anticléricalisme dont les proportions demeurent encore à définir.
ÉLÉMENTS. Vous tenez dans Éléments, entre autres, une rubrique L’objet disparu. Faites-vous partie de ces nostalgiques qui pensent que « c’était mieux avant » ?
NICOLAS GAUTHIER : Oui et non. Pour moi, ce qui « était mieux avant », c’est que j’étais plus jeune et qu’en me réveillant le matin, je n’avais pas mal à des endroits de mon anatomie dont j’ignorais jusque-là l’existence. Mais bon, être vieux, cela signifie qu’on est encore en vie. Il serait donc grossier de de plaindre des petites misères de la vieillerie. Pour autant, j’ai eu une puberté que je ne souhaiterai pas à mon pire ennemi ; ce n’était donc pas si bien que ça avant. Mais ce qui me gêne dans votre question, c’est qu’elle induit une vision linéaire de l’histoire. Pour l’homme de droite, c’était forcément mieux avant, alors que pour celui de gauche, ce sera évidemment toujours mieux après. Je crois que la marche du monde obéit à des cycles. Aujourd’hui, je pense que nous achevons un cycle de merde et que ça ne pourra pas être pire demain. Car le pire, quoique prétendent certains poseurs désabusés, n’est jamais certain.
ÉLÉMENTS. Vous nourrissez également grande passion pour le cinéma. Même si c’est un exercice délicat, pouvez-vous nous donner les cinq films qui occupent pour vous le panthéon du 7e art ?
NICOLAS GAUTHIER : Pandora, d’Albert Lewin, le plus beau film d’amour au monde. La Trilogie de Pagnol, une fable universelle sur la beauté des sentiments, familiaux comme amoureux. Les Enfants du marais, de Jean Becker, ode à l’amitié. Mes meilleurs copains, de Jean-Marie Poiré, pour les mêmes raisons. Et Les Frissons de l’angoisse, de Dario Argento, parce que quintessence de notre part sombre, histoire de ne pas passer pour un indécrottable sentimental.
ÉLÉMENTS. Entre une bonne table et un bon livre, vous choisissez ?
NICOLAS GAUTHIER : J’adore lire en mangeant.
ÉLÉMENTS. Vous donnez l’image d’un « bon vivant ». Quel est votre plat préféré et quelle boisson pour l’accompagner ?
NICOLAS GAUTHIER : L’omelette aux pommes de terre sautées que fait mon épouse. Et arrosée d’un Pouilly fumé bien frais, tant qu’à faire.
ÉLÉMENTS. Enfin, pour conclure, comme nous sommes en pleine période estivale, pouvez-vous nous donner votre destination de vacances préférée et/ou rêvée ?
NICOLAS GAUTHIER : Dieu m’a déjà gâté en me faisant naître français. Mais, quitte à abuser de ses bienfaits, ça ne m’aurait pas dérangé de voir le jour en Italie, ce pays dont les habitants, à en croire Jean Cocteau, seraient tous des Français de bonne humeur. Pour le reste, ma thébaïde des Sables d’Olonne me suffit amplement. C’est d’ailleurs là que, face à la mer, je réponds à vos questions. Quand on travaille ici, on est toujours en vacances.
Propos recueillis par Xavier Eman