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Giorgio Locchi et le mythe surhumaniste

Giorgio Locchi et le mythe surhumaniste (1/3)

Philosophe, journaliste et essayiste, Giorgio Locchi (1923-1992) fut l’une des figures tutélaires de la Nouvelle Droite, tutélaires mais lointaines, effet du temps. Raison pour laquelle il fallait la désensabler. C’est l’objet des deux ouvrages qui sont aujourd’hui édités par la Nouvelle Librairie dans la collection Agora de l’institut Iliade : « Wagner, Nietzsche et le mythe surhumaniste » et « Définitions ». L’occasion de renouer avec un auteur fascinant qui fut un maître à penser. Son fils, Pierluigi Locchi, répond à toutes nos questions. Première partie.

ÉLÉMENTS : Beaucoup de lecteurs ignorent jusqu’à l’existence même de Giorgio Locchi, pouvez-vous resituer qui était-il ? Sa vie, ses combats, ses passions ?

PIERLUIGI LOCCHI. Je répondrai à votre question en évoquant quelques étapes clés de sa vie.

Né à Rome le 15 avril 1923, mon père intégra sur concours à dix ans le collège Nazareno. Quatre ans plus tard, son professeur d’italien et de latin, Padre Vannucci, lui offrait le jour de son quatorzième anniversaire un livre avec ces mots : « Ce livre est à l’index, mais comme de toute façon vous y arriverez un jour, je veux être celui qui vous l’a donné. » Ce livre était La Naissance de la tragédie à partir de l’esprit de la musique de Friedrich Nietzsche. Mon père s’en souviendra toute sa vie : « Grâce à lui, me confia-t-il un jour, je découvris que d’autres ressentaient les mêmes choses que moi ! »

À la fin de la guerre, tout juste âgé de 22 ans, mon père dut renoncer aux longues études de philosophie qu’il eût aimé poursuivre, étant dans l’obligation de subvenir rapidement aux besoins de ses parents. Ayant opté pour un doctorat au cursus plus rapide, en philosophie du droit, il avait néanmoins été choisi par son professeur pour lui succéder à la chaire de philosophie du droit de l’université La Sapienza de Rome. Malheureusement, pour des raisons financières, il n’avait pu se permettre d’attendre le nombre d’années nécessaires et avait entrepris une carrière de journaliste. Celle-ci le mènera en 1957 à Paris, comme correspondant du quotidien romain Il Tempo, et où il demeurera jusqu’à la fin de ses jours.

Si les années quarante, cinquante et les premières années soixante l’ont vu travailler dans le secret de son bureau, Giorgio Locchi finira par trouver l’auditoire que l’université de Rome n’avait pu lui donner, dans un premier temps dans le cercle de jeunes intellectuels français fréquentant la Librairie de l’Amitié et réunis autour de la revue Europe-Action de Dominique Venner et Jean Mabire, parmi lesquels se détachait déjà un certain Alain de Benoist, et puis surtout dans la communauté réunie autour du GRECE (Groupement de recherche et d’études pour la civilisation européenne) dont il fut l’un des membres cofondateurs. Si mon père fut également membre du comité de rédaction de la revue Nouvelle École, à laquelle il collabora très régulièrement jusqu’en 1979, son rôle fut encore autre. Tête pensante de ce nouveau mouvement, Locchi était plus qu’un philosophe, journaliste, essayiste et penseur : il était, comme l’écrivait à juste titre Guillaume Faye, « un éveilleur et un dynamiteur », exactement dans l’esprit de Friedrich Nietzsche.

Et c’est à la source de ce maître que s’est abreuvée toute une génération d’intellectuels qui, après avoir évolué au sein ou autour du GRECE puis essaimé, constitue encore aujourd’hui le fer de lance de la pensée non conforme, à commencer par Alain de Benoist, aujourd’hui chef de file incontesté de la Nouvelle Droite. Maître « à l’ancienne », mon père a beaucoup transmis oralement. Je me souviens en particulier des deux années où il reçut le mardi soir dans notre maison de Saint-Cloud, près de Paris, toute une assemblée d’étudiants et de jeunes actifs, avides de connaissance, réunis en particulier pour deux cycles de formation, l’un consacré à Richard Wagner et l’autre à Friedrich Nietzsche. Qui l’eût cru ? C’est sur cette double filiation que repose une bonne partie de la formation intellectuelle de ceux qui jouèrent et jouent encore pour partie un rôle prépondérant dans la culture non conforme européenne – ce qui nous ramène directement à l’un des deux ouvrages publiés par l’Institut Iliade et la Nouvelle Librairie.

Car une autre grande passion de mon père fut la musique, et peut-être par-dessus tout l’œuvre de Richard Wagner. Je lui serai éternellement reconnaissant d’avoir pu découvrir Les Maîtres-chanteurs de Nuremberg à Bayreuth à onze ans ! Parmi ses autres centres d’intérêt, certains, comme l’histoire, la linguistique, notre passé indo-européen, sont connus, d’autres, comme la physique quantique ou la logique, le sont moins. Tout son savoir, toutes ses passions, cependant, furent toujours mis par lui au service d’une œuvre de dévoilement, Giorgio Locchi tenant particulièrement à son rôle d’historien. Si l’histoire dont il nous parle s’inscrit clairement dans une perspective surhumaniste dont j’aurai l’occasion de parler, il a toujours insisté sur le rôle qui doit être celui de tout historien, qui est de procéder à une analyse sine ira et studio, sans haine ni passion, comme disait Spinoza, c’est-à-dire sans laisser ses propres positions obligatoirement partisanes influencer la manière dont cette analyse est présentée, donc sans prendre parti dans l’exposition des faits, ou plus exactement, en précisant à chaque fois dans quelle perspective, de quel point de vue les faits sont exposés. À partir de là, le combat de toute sa vie aura été d’œuvrer à la compréhension de ce qu’est le mythe surhumaniste, quelles sont les différentes formes sous lesquelles il se manifeste successivement depuis plus d’un siècle et demi, et en quoi il porte en lui le renouveau de notre héritage civilisationnel. C’est une œuvre à la fois d’historien et de philosophe, le même mythe prenant à chaque fois, de Wagner à Nietzsche, de Heidegger à Locchi, pour ne citer qu’eux, une nouvelle forme dans celui qui le porte en lui de par les lois du devenir.

ÉLÉMENTS : Quel est son apport à notre famille de pensée ?

PIERLUIGI LOCCHI. Je me méfie toujours des enthousiasmes exagérés et des affirmations grandiloquentes, mais je me dois de reprendre les termes employés par Guillaume Faye dans ses « Réflexions archéofuturistes inspirées par la pensée de Giorgio Locchi » : « Je pèse mes mots : sans Giorgio Locchi et son œuvre, qui se mesure à son intensité et non point à sa quantité, et qui reposa aussi sur un patient travail de formation orale, la véritable chaîne de défense de l’identité européenne serait probablement rompue. »

Il s’agit donc d’un apport capital. Capital aussi bien en regardant vers le passé, qu’en considérant notre présent ou en nous projetant vers l’avenir. Vers le passé proche, en considérant son travail de formation des nouvelles générations des années soixante-dix et quatre-vingt, générations qui en France et en Europe portent aujourd’hui la pensée la plus radicalement alternative et novatrice face au système en vigueur, véritable système « à tuer les peuples », comme l’écrira justement Guillaume Faye. Vers le passé lointain, en considérant la centralité qu’il fut le premier à accorder dans l’après-guerre à la signification du fait indo-européen. En ce qui concerne notre présent, nous lui devons la mise en évidence du conflit époqual entre les tendances historiques opposées, inconciliables et irréductibles l’une à l’autre que sont la tendance égalitariste bimillénaire et la tendance surhumaniste récemment apparue : il s’agit là d’une clé de compréhension particulièrement précieuse, la perspective surhumaniste permettant de surcroît de définir ce qui est commun aux diverses sensibilités et organisations qui la composent, au-delà des visions et des spécificités individuelles ou partisanes. Quant à l’avenir, c’est par cette même perspective surhumaniste que Locchi nous permet de penser l’alternative au déclin anthropologique que connaît l’Europe et de viser à une renaissance de l’Europe qui n’est envisageable que par la régénération de notre histoire.

ÉLÉMENTS : Pourquoi rééditer en 2022 ces deux textes de Giorgio Locchi ?

PIERLUIGI LOCCHI. Une précision, tout d’abord. Seuls sont « réédités » les essais parus il y a une cinquantaine d’années dans Nouvelle École – et le demi-siècle écoulé est en lui-même une réponse à votre question. Wagner, Nietzsche et le mythe surhumaniste est, lui, inédit. Même s’il reprend la thématique du n° 31 de Nouvelle École, celle-ci est entièrement reformulée dans la perspective de la théorie ouverte de l’histoire de l’auteur, qui constitue une clé d’interprétation tout juste esquissée dans un ou deux écrits publiés en France dans les années soixante-dix, et exposée ici pour la première fois. Il s’agit donc ici de sa première présentation au public français.

L’œuvre de Giorgio Locchi est centrale pour qui veut penser la nouvelle renaissance européenne. Elle constitue même un véritable dévoilement, Locchi permettant de comprendre comment et pourquoi, après être passée par l’Antiquité païenne et par le cycle chrétien occidental, l’identité européenne se retrouve aujourd’hui, dans un monde en profonde mutation, en plein oubli d’elle-même, pour les uns, et en pleine redécouverte d’elle-même, pour d’autres.

Même inachevée, son œuvre représente à mes yeux une véritable pierre angulaire de notre vision du monde, au même titre que les œuvres de Wagner, de Nietzsche ou de Heidegger, ce pourquoi je me réjouis que l’Institut Iliade s’attache à publier dans les années qui viennent l’intégralité des textes écrits par le philosophe romain.

Propos recueillis par Eyquem Pons
(À suivre)

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