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Geoffroy Lejeune au « JDD » : la Grande Peur des bien-pensants

Geoffroy Lejeune au « JDD » : la Grande Peur des bien-pensants

L’arrivée de Lejeune au « JDD » a provoqué une tempête force 8. Vincent Bolloré résistera-t-il à la déferlante ? Il a tenu tête aux journalistes, ces « mutins de Panurge », quand il a repris i-Télé, puis Europe 1. Sa stratégie médias, qui s’articule autour de C8 et CNews, s’efforce de faire la jonction entre les conservateurs et les populistes. La bonne stratégie pour 2027 ?

Geoffroy Lejeune va-t-il rester le patron du Journal du dimanche ? Il est un peu trop tôt pour prendre les paris, mais je miserais quand même sur lui. D’abord parce que c’est l’un des journalistes les plus doués de sa génération. Ensuite parce qu’il y a le précédent d’i-Télé, ancêtre de CNews. 31 jours de grève. Or, Vincent Bolloré n’a ni plié ni rompu. Jean de La Fontaine en aurait été froissé. Rappelez-vous : Bolloré s’était alors servi de Jean-Marc Morandini, grand amateur de jeux interdits, pour se débarrasser d’une rédaction superlativement bien-pensante. I-Télé a plié, comme Europe 1 après la nomination de Louis de Raguenel, lui aussi ancien de Valeurs actuelles. Le JDD n’est pas un morceau plus dur à avaler, mais la pilule Lejeune est plus amère pour des journalistes qui se croient à Radio Londres alors qu’ils travaillent à Radio Paris.

99 % de la rédaction en grève. On aimerait bien connaître ce Monsieur 1 %, l’invité mystère. Geoffroy Lejeune devra en faire son lieutenant et Bolloré son maréchal d’empire. 99 %, c’est le score rêvé d’un président-dictateur à vie. Ce dictateur se nomme la Tyrannie médiatique, comme l’a naguère appelé Jean-Yves Le Gallou. À ce stade de conformisme, ce n’est plus du journalisme, c’est un banc de sardines. Comme dans les sinistres études sur le comportementalisme, il suffit d’appuyer sur un bouton pour que les sardines s’indignent en même temps des mêmes choses dans les mêmes termes. À croire que l’expérience de Stanley Milgram sur le degré d’obéissance à l’autorité a été conçue pour les journalistes. En voir un, c’est les voir tous. En entendre un, c’est les entendre tous. En lire un, c’est les lire tous. Ils ont beau signer leur prose, ils écrivent tous la même lettre anonyme pour dénoncer le retour de la Bête immonde. Curieux qu’ils ne se lassent pas du procédé.

Quand le quatrième pouvoir se prend pour le premier

L’unanimisme est l’antichambre du confort intellectuel et du néant. Ainsi vérifie-t-on une fois de plus que le camp du Bien n’est rien d’autre que le camp du Rien. Mais il ne faut pas s’en effrayer. Les chiens de garde aboient, la caravane passe, doit passer en tout cas. Trente sociétés de journalistes, dont celle du Figaro et de Paris Match, vent debout contre la nomination de Lejeune ; huit anciens directeurs de la rédac du JDD sortis de leur caisse cryogénique pour pousser un dernier soupir d’indignation ; des députés Nupes, moins débraillés qu’à l’accoutumée, réclamant des têtes ; la ministre de la Culture, Rima Abdul Malak, qui ne rate jamais une occasion de se taire, effondrée ; 650 « personnalités » contre Bolloré. Tout le monde est là sur la photo. Le Tout-Paris et le Tout-Pourri. Ne manque décidément que Pierre Palmade pour que le tableau soit complet.

Alors, Bolloré tiendra-t-il ? Avant, les milliardaires courbaient l’échine face aux sociétés de rédacteurs, toutes acquises au gauchisme culture. Bernard Arnault l’a appris à ses dépens. Mais Bolloré a la caboche dure. Ce n’est pas un milliardaire comme les autres. Lui ne collectionne pas l’art contemporain, les yachts et les clubs de foot. Il ne joue pas à celui qui fera pipi plus loin que le voisin milliardaire, dans un stade ou une galerie d’art contemporain. Il laisse à d’autres le soin de jouer au ballon rond et d’accrocher des Balloon Dogs dans leur propriété.

C’est un animal à sang froid qui achète aujourd’hui des indulgences pour sauver son âme et son pays. Un grand capitaine d’industrie, dans une France qui n’en a plus, ni capitaines, ni industrie. Il n’a pas fait beaucoup d’erreurs dans sa vie d’entrepreneur. La plus grosse, c’était en mai 2007, quand Sarkozy, le président bling-bling nouvellement élu, à peine sorti du Fouquet’s aux bras d’Enrico Macias et de Faudel, avait été prendre un bain de pied avec une Cécilia évanescente sur son voilier. Finkielkraut s’était alors fendu d’un billet gravé dans un marbre digne de l’antique. Je ne résiste pas au plaisir d’en citer un extrait : « On ne peut pas se réclamer du général de Gaulle et se comporter comme Silvio Berlusconi. On ne peut pas en appeler à Michelet, à Péguy, à Malraux et barboter dans le mauvais goût d’une quelconque célébrité de la jet-set ou du show-biz. » Depuis, on n’a pas repris Bolloré en si mauvaise compagnie.

C8 + CNews = la tête du prochain président

C’est même un parcours sans-faute. Dommage qu’il ne fasse pas de politique, il relèverait le niveau. C’est lui qui a inventé la stratégie gagnante : C8 + CNews, soit les électeurs de Marine Le Pen et d’Éric Zemmour sous un même toit, même s’ils font chambre à part. Ils devraient coucher ensemble, ils accoucheraient d’une majorité présidentielle pour 2027.

C8 se confond avec Cyril Hanouna. Avant l’affaire Louis Boyard, le public d’Hanouna se partageait entre électeurs du RN et de LFI : 29 % des téléspectateurs penchant pour Marine, 27 % pour Mélenchon. L’affaire Louis Boyard a forcément laissé des traces. Nulle part ailleurs sur la TNT, on ne trouve une telle liberté de ton. Mais TPMP reste une émission qui n’a pas de légitimité dans le PAF, sinon ses chiffres d’audience. Comme le RN, elle est victime d’un mépris de classe. CNews est historiquement la chaîne de Z et elle le reste, à commencer par son émission phare du soir avec Mathieu Bock-Côté et Charlotte d’Ornellas, mais, aussi brillants soient-ils, ni lui ni elle ne s’adressent à la France périphérique. Ironiquement, l’écart d’audience entre les deux chaînes reflète l’écart de voix à la présidentielle entre Marine et Z.

Les deux chaînes sont sociologiquement étanches. La France de Charles-Édouard ne parle pas à celle de Kévin. L’une va à la messe le dimanche, l’autre à la pêche. Aucun point de jonction entre cette élite sans peuple et ce peuple sans élite. Or, sans point de jonction, les perspectives de pouvoir sont minces. Pour cela, il faudrait que CNews soit moins polie et C8 moins Johnny. Alors, peut-être, une Fox News à la française verrait-elle le jour, avec un Tucker Carlson qui parlerait à ces deux France, la conservatrice et la populiste.

Comment prendre le pouvoir avec Norman Spinrad

À celui qui aspirerait à devenir ce Tucker Carlson hexagonal, on ne saurait trop recommander la lecture de Jack Barron et l’éternité, le génialissime roman de SF signé Norman Spinrad, paru en 1969, qui met en scène le présentateur vedette d’un talk-show regardé par cent millions d’Américains (le nombre de vues sur Twitter de Tucker Carlson). On ne se lasse pas de le relire, c’est l’un des plus grands livres jamais écrits sur le système des médias et de l’argent à l’âge des foules. « De tous mes romans, c’est celui que les “fachos” préfèrent », s’est un jour lamenté un Norman Spinrad lucide, mais indécrottable gauchiste, comme son Jack Barron. Jack Barron est une bête de scène à l’instar de Cyril Hanouna et une bête de débat à l’instar d’Éric Zemmour. C’est une puissance, la plus grande, avec le milliardaire Benedict Howards qui a inventé la vie éternelle – pour les plus riches. Entre eux deux, c’est une lutte à mort, comme celle entre Tucker Carlson et l’État profond US. Dans le roman, c’est Jack Barron qui gagne. Et nous, dans la vraie vie, saurons-nous gagner ?

© Photo : capture vidéo : « Le livre noir »

Une réponse

  1. Jack Barron gagne en effet à la fin. Mais il faut s’être coltiné le style lourdingue du roman « Jack Barron et l’Eternité » pour le savoir. La lecture m’a paru une éternité en effet.

    Malheureusement, le Tucker Carlson français possède surtout les traits de Pascal Praud : populaire le midi sur RTL (et bientôt sur Europe 1), conservateur nantais bon teint le soir sur CNews. A mon grand regret, il colle parfaitement à la ligne éditoriale de Valeurs Actuelles : des pages cultures agréables, édifiantes, des tranches d’Histoire mises en valeurs ; des pages actu qui se veulent dures mais qui finalement sont remplies de poncifs juste bons à effrayer ma mère de 70 ans ; des pages éco qui elles sont réellement offensives et qui, de par leur orientation, condamnent structurellement notre culture et notre Histoire. Le capitalisme, s’il est besoin de le rappeler, l’ennemi de tout enracinement, ne serait-ce qu’en raison de la fluidité qu’il exige (fluidité individuelle qui fait qu’il trouve en le « wokisme », antonyme de l’enracinement, son meilleur allié).

    En tant que simple « petite gens » de la Picardie profonde, j’apprécie de lire ou d’écouter Geoffroy Lejeune, ses positions, ses analyses. En tant que livreur de colis soumis à l’autorité d’un « manager » pour le bien-être des « customers », les positions de la revue qu’il dirigeait me dégoûte au plus haut point tant elles détruisent le tissu socio-culturel qu’il prétend défendre.

    Quel rapport avec les bien-pensants ? Eh bien… J’ai vu sous l’article être proposé comme choix d’achat : « Courage! Manuel de guérilla Culturelle » écrit par François Bousquet. Je l’ai lu, également (pas mal pour un simple plouc). Ce fut très intéressant. Intellectuellement. Mais totalement inutile d’un point de vue local, de terrain. Les passes d’arme entre intellectuels parisiens (ou bordelais, lyonnais, lillois…) ne m’ont rien apporté ; mes positions sont connues autour de moi, mais comment convaincre le copain qui regarde Netflix et écoute Booba et le président Macron qui le convainquent que seul la réussite économique est un critère. Le deal et les émeutes de ces derniers jours montrent d’ailleurs que la population de banlieues adhère totalement au modèle prédateur du capitalisme (immédiateté, signes extérieurs de richesse…).

    Où voulais-je en venir ? Bah… Autour de moi, personne n’a jamais lu le JDD, très peu connaissent Geoffroy Lejeune. Mais cela fait l’actualité parisienne. Et ici, tout le monde se fout du Jack Barron français. Par contre j’ai découvert que ma collègue, élevée dans la même campagne profonde que moi, est incapable de reconnaître un groseillier d’un cassissier. Le rapport ? Si vous ne le voyez pas, je vous conseille de demeurer à Paris pour gloser sur l’entre-soi éhonté de la presse « de gauche ».

    Et vous savez quoi ? Le facteur, le boulanger, la caissière de la grande surface où vous passez vos vacances : ils s’en fichent royalement. Pour autant, ils ne sont ni illettrés, ni indifférents. Ils attendent…

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