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Joe Biden dans éléments

Genèse de l’impérialisme américain

Champs communs, le laboratoire d’idées de la reterritorialisation de Guillaume Travers, se penche aujourd’hui sur la tentation impériale américaine inscrite dans la « destinée manifeste » à partir de L’Amérique empire, le dernier livre de Nikola Mirković.

Voici une très belle contre-histoire de l’Amérique, depuis ses origines jusqu’à la présidence Biden. Nikola Mirković décrypte avec beaucoup de lucidité l’envers du « rêve américain » et de la « destinée manifeste » des États-Unis, pour montrer que, dès ses origines, la vocation américaine est d’être un empire – mais sans jamais l’admettre ouvertement. Aucune des questions difficiles n’est éludée : ni la guerre de Sécession (qui ne se réduit en rien à un conflit pour ou contre l’esclavage), ni l’influence américaine dans la construction européenne (via des agents comme Jean Monnet) ou dans la promotion de pays fantoches (tels le Panama), ni les activités américaines sous faux drapeau (à l’image de Gladio en Europe). Impossible, donc, de résumer en quelques lignes un ouvrage très riche. Signalons seulement quelques axes particulièrement importants.

Tout d’abord, Nikola Mirković démonte le mythe d’une Amérique naturellement portée à l’isolationnisme, et qui ne serait intervenue dans les affaires du monde que tardivement, aux XXe siècle, et presque contrainte par les événements. La logique d’expansion se manifeste dès le début – en commençant évidemment par l’idée qu’il faut toujours repousser la « frontière » du territoire américain, vers l’Ouest, puis en affirmant la doctrine Monroe (étendant les prétentions des États-Unis à tout le territoire américain), enfin en s’engageant dans de très nombreux conflits hors de leur sol tout au long du XIXe siècle.

La face cachée du rêve américain

Ensuite, et c’est peut-être le point le plus central de la thèse, cette dimension impériale, conquérante, de l’Amérique, n’est jamais ouvertement assumée. Rien de commun, de ce point de vue, avec d’autres formes de colonisation ou de conquête territoriale dans l’histoire. Si l’Amérique fait la guerre, c’est toujours pour « pacifier ». Si elle contraint, c’est en invoquant le « monde libre ». Ce qu’elle promeut, c’est toujours le « libre échange », et non ses intérêts matériels immédiats. En révélant cette face cachée, c’est à l’un des plus grands mythes modernes que s’attaque Nikola Mirković. Les exemples sont innombrables. Citons-en seulement un seul. Peu après la naissance du prix Nobel de la paix, l’un des lauréats, en 1906, est le président Theodore Roosevelt. Pacifiste ? C’est un interventionniste convaincu, qui forme l’idéologie du « big stick » (gros bâton) américain. Dans la même veine, le livre montre parfaitement en quoi la colonisation américaine procède par des outils nouveaux : l’implantation massive de bases militaires, la colonisation mentale des élites et le déversement de biens économiques.

Enfin, l’ouvrage a la finesse de montrer que ce projet américain a surtout bénéficié à une petite élite, plus qu’à la grande masse du peuple américain. Pour ce faire, Nikola Mirković s’appuie sur des ouvrages importants d’auteurs américains, dont la volumineuse Histoire populaire des États-Unis d’Howard Zinn.

Cette puissance américaine est évidemment en train de décliner. Peut-on, comme le rappelle l’auteur, « Make America small again » ? Peut-être, mais ce ne sera pas en douceur. Car Nikola Mirković montre parfaitement à quel point les divers éléments de la superpuissance américaine – le dollar, l’extraterritorialité du droit, l’accès aux marchés étrangers, la langue, le soft power, les bases militaires à l’étranger et les dépenses militaires – sont organiquement liées.

Nikola Mirković, L’Amérique empire, Temporis, 2022, 332 p., 20 €.

Retrouvez Guillaume Travers dans Champs communs, le laboratoire d’idées de la reterritorialisation : www.champscommuns.fr

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