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François Bayrou : le Rastignac maladroit du Béarn

François Bayrou : le Rastignac maladroit du Béarn

François Bayrou semble faire partie des meubles de la Ve République. On est habitué à le voir apparaître, disparaître et réapparaître au gré des alternances politiques et des changements de gouvernements, sans pour autant jamais atteindre son but ultime, son Graal : la présidence de la République. Pour sa chronique politique hebdomadaire, Nicolas Gauthier se penche sur le cas de l’ambitieux béarnais.

En politique, on ne sort de l’ambiguïté qu’à son propre détriment, a-t-on coutume de dire. Une maxime qui se vérifie dans le cas de François Bayrou, éternellement demeuré prisonnier de cette même ambiguïté ; et ce, généralement à son propre détriment. Demeuré, cet agrégé de lettres classiques ne l’est pourtant pas. Seulement voilà, il a toujours été à côté de la plaque. Oreilles et yeux de cocker, c’est Rantanplan qui se prendrait pour Rintintin. À l’origine, c’est un catholique de gauche à sensibilité écologique, entre Gandhi et Lanza del Vasto. Soit le vivier de personnalités telles que Dominique Voynet et Cécile Duflot, Jacques Delors et François Ruffin. Décidément, l’histoire bégaie, au même titre qu’un jeune François Bayrou étant parvenu à surmonter ce menu handicap. En attendant, c’est sa carrière qui radote.

Toujours jouer le mauvais cheval…

Très logiquement, cette dernière démarre dans les rangs démocrates-chrétiens avant de prendre un autre tournant en 1989, lorsqu’il rejoint l’informelle mouvance des « Rénovateurs », censée contester la tutelle de deux Présidents, l’ancien, Valéry Giscard d’Estaing, et Jacques Chirac, celui à venir. Parmi ces rebelles en peau de lapin, rien que des épées : Michel Noir et Alain Carignon, plus connus pour leurs déboires judiciaires que leur irrésistible ascension politique, sans oublier ces glorieux inconnus que furent Étienne Pinte et Bernard Bosson. De cette bande de bras cassés dont le RPR d’alors ne tardera pas à faire du petit bois, seuls surnageront Philippe Séguin, François Fillon et Philippe de Villiers. Faisant déjà preuve d’un sens politique singulièrement aigu, François Bayrou quitte ce boutre en perdition pour embarquer sur le Titanic. Ce sera la campagne de Simone Veil aux élections européennes de la même année. Ce avec le fantabuleux résultat qu’on sait : 8,43 %, loin derrière la plus officielle liste RPR-UDF, conduite par VGE, et largement arrivée en tête avec 28,88 % des voix.

Jacques Delors et Édouard Balladur : rien que des gagnants !

Dès lors, cette véritable boussole à indiquer le Sud que devient François Bayrou ne sera que rarement prise en défaut. À l’approche de l’élection présidentielle de 1995, il soutient tout d’abord la candidature de Jacques Delors, autre punaise de sacristie progressiste. Pas de vase, le père de Martine Aubry, autre chaisière de gauche, renonce avant l’obstacle. Notre homme choisit donc de soutenir Édouard Balladur. Caramba, encore raté ! Dans la foulée, il fonde le mouvement Force démocrate, dénomination qui fait le bonheur des humoristes d’alors, lorsque comparée aux Power Rangers, feuilleton japonais, où il est question de « force bleue » et de « force rouge » ; « force jaune devant et marron derrière » railleront même Les Inconnus.

Et comme aucun loser ne saurait lui échapper, François Bayrou lie un temps son destin à un autre ludion, Philippe Douste-Blazy, par l’hebdomadaire Minute surnommé « le nouveau con d’Orsay », lorsque celui-ci est nommé par Jacques Chirac au ministère des Affaires étrangères. En 2002, il se lance pour la première fois dans la course présidentielle. Avec 6,84 % des suffrages exprimés, battant Arlette Laguiller d’une courte tête (1 % d’écart), il appelle, sans grande surprise, à voter pour Jacques Chirac contre Jean-Marie Le Pen au second tour. Il n’en sera pas récompensé, ne serait-ce par le moindre demi-maroquin. Du coup, il devient un opposant résolu aux gouvernements successifs de Jean-Pierre Raffarin et de Dominique de Villepin. Son heure de gloire serait-elle enfin arrivée ?

« Le pire de tous », à en croire Simone Veil…

On pourrait presque être à deux doigts de le croire, lors de l’élection présidentielle suivante, en 2007. Là, il est le troisième homme du scrutin, fort de 18,27 % des voix, et son destin n’est alors pas loin de basculer. Ségolène Royal lui propose une sorte de ticket gagnant, elle à l’Élysée et lui à Matignon. Contre toute logique, il refuse, ouvrant ainsi la porte à Nicolas Sarkozy. Caramba ! Raté, une fois de plus. L’occasion pour Simone Veil d’affirmer, qu’à rebours d’Alain Juppé, il est « le pire de tous ». Cinq ans plus tard, en 2012, c’est à l’envers que le Béarnais rejoue le même sketch, avec un résultat de seulement 9,13 %, il finit cinquième derrière Marine Le Pen (18,57 %), et annonce qu’il votera pour François Hollande, alors que ce dernier ne lui demandait officiellement rien et ne lui offrira d’ailleurs pas plus en retour. En 2017, il joue enfin le bon cheval, appelant à voter pour un Emmanuel Macron dont il devient l’éphémère Garde des Sceaux.

Aujourd’hui, il est Premier ministre. Il est enfin arrivé. Mais dans quel état… Le bloc central à l’intérieur duquel il s’est enfin fait une place, à force de louvoyer, est à l’agonie, tandis qu’il est désormais trop vieux pour faire figure de jeune espoir et pas assez sage pour jouer aux pères de la nation.

Une popularité en berne…

Quant aux Français, qui ne l’ont jamais vraiment suivi en masse, ils se détournent peu à peu de sa personne, tel qu’en témoigne cette récente enquête publiée par La Tribune Dimanche : seulement 24 % d’avis favorables (–1 %) contre 67 % d’opinions défavorables (+3 %). Ce qui fait dire au sondeur Brice Teinturier : « Le pays a le sentiment qu’on fait la planche, qu’on flotte, qu’on se laisse dériver. C’est selon moi l’un des principaux moteurs de l’impopularité de François Bayrou : on ne coule pas, mais on ne se redresse pas. (…) Le gouvernement donne le sentiment de ne pas parler aux Français. »

Il est vrai qu’à force de pas de deux, cet intermittent du spectacle politique donne l’impression de se prendre en permanence les pieds dans le tapis. Trop à droite pour les électeurs de gauche et inversement. Trop catholique pour ses amis francs-maçons et trop conservateur pour ses comparses libéraux. Seul un populisme bien compris peut éventuellement permettre de résoudre cette équation. Mais n’est pas Marine Le Pen (ou Jordan Bardella) qui veut et, malgré son âge avancé, le principal intéressé semble peiner à comprendre que la sincérité s’apprend partout, hormis dans les grandes écoles. Jacques Delors, autre cul-béni de centre-gauche draguant l’électorat de droite, avait fini par se rendre à cette évidence, d’où son coit interruptus, lors de l’élection présidentielle, millésime 1995. François Bayrou, toujours pas.

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