Le magazine des idées
Manon Mariani

France Inter ou l’amour sur surveillance

Ah, si France Inter n’existait pas, il faudrait l’inventer. Tout y est drôle, sauf les humoristes. Dernière lubie de la radio publique : dénoncer les utilisateurs blancs d’application de rencontres qui recherchent prioritairement des Blancs ou des Blanches. Les Lebensborns nationaux-socialistes ne sont pas loin.

Que vois-je ? France Inter a supprimé un tweet, je le reproduis devant vos yeux ébahis, de sorte que vous n’en manquiez la moindre saveur, la moindre épice : « 80 % des utilisateurs blancs des applications de rencontres n’envoient des messages qu’à des utilisateurs blancs. » C’est une légende qui sert de commentaire à une citation de Manon Mariani, journaliste et chroniqueuse sur cette même chaîne : « L’utilisateur peut préciser s’il ne veut que des personnes noires, blanches et asiatiques ou s’il est ouvert à tous. L’application se justifie en disant que c’est pour permettre aux utilisateurs de trouver leur match idéal. Sauf qu’en réalité, ça accentue surtout le racisme déjà très présent sur les applications de rencontres. »

Bien sûr que le racisme est très présent sur les applications de rencontres, il ne saurait en être autrement. Comme dans toute doctrine totalitaire, l’ennemi est omniprésent, fût-il le diable, le dissident à envoyer au goulag – ô mânes de Soljenitsyne –, le communiste du temps du maccarthysme, puisqu’on ne lésine pas pour nous rappeler les horreurs de cette chasse aux sorcières, probablement pour mieux en dissimuler une autre. Saint Pierre en avertissait ses fidèles : « Soyez sobres, veillez. Votre adversaire, le diable, rôde comme un lion rugissant, cherchant qui il dévorera. » France Inter, dans un style plus dépouillé fait dans la sensibilisation, la vigilance, la traque des micro-agressions racistes, discriminatoires et révoltantes de toutes sortes. Et voilà que le mal se met à rôder dans les parages des sites de rencontres !

Objectif métissage

Ce qui est troublant, toutefois, c’est qu’en exorcistes chevronnés du racisme qu’ils semblent être, certaines informations aient si facilement échappées à leur vigilance inquiète et leur regard scrutateur, qui semblent s’immiscer vraiment partout : dans votre cœur, dans votre sang bouillonnant de désir et, pour finir, dans votre plumard ! Sur la toile, vous trouverez des sites strictement réservés aux musulmans, aux Maghrébins, aux Sub-Sahariens, aux Juifs, aux Asiatiques, que sais-je encore puisque les manières de faire communauté se sont multipliées à la mesure de la fragmentation du corps social et national. Permettez que j’égrène une très courte liste : Mektoube, Inshallah, AfroIntroductions, Blacklub, Jdate, French-Asia, etc. Mais cela n’a pas choqué France Inter a contrario.

Tout cela me rappelle vaguement un discours prononcé par Nicolas Sarkozy le 17 décembre 2008, à l’École polytechnique :

« Quel est l’objectif ? Cela va faire parler, mais l’objectif, c’est relever le défi du métissage ; défi du métissage que nous adresse le XXIe siècle. Le défi du métissage, la France l’a toujours connu et en relevant le défi du métissage, la France est fidèle à son histoire. D’ailleurs, c’est la consanguinité qui a toujours provoqué la fin des civilisations et des sociétés. Disons les choses comme elles sont, jamais le métissage. La France a toujours été, au cours des siècles, métissée. La France a métissé les cultures, les idées, les histoires. Et l’universalisme de la France n’est rien d’autre que le fruit de ce constant métissage qui n’a cessé de s’enrichir d’apports nouveaux et de bâtir sur tant de différences mêlées les unes aux autres un sentiment commun d’appartenance et au fond un patrimoine unique de valeurs intellectuelles et morales qui s’adressent à tous les hommes. La France, dans son histoire, ce sont des hommes tellement différents qui sont venus constituer la France. La France qui a su métisser ses cultures et ses histoires, en a construit, produit un discours universel parce qu’elle-même, la France, se sent universelle dans la diversité de ses originesMesdames et Messieurs, c’est la dernière chance. Si ce volontarisme républicain ne fonctionnait pas, il faudra alors que la République passe à des méthodes plus contraignantes encore, mais nous n’avons pas le choix. La diversité, à la base du pays, doit se trouver illustrée par la diversité à la tête du pays. Ce n’est pas un choix. C’est une obligation. C’est un impératif. On ne peut pas faire autrement au risque de nous trouver confrontés à des problèmes considérables. »

Le métissage sous la contrainte, Sarkozy l’a rêvé, ça ne s’est pas fait, alors France Inter prend le relai ! France Inter et l’amour, c’est un peu comme dans le film Eternal Sunshine of the Spotless Mind qui imagine la possibilité technique, pour se détacher d’une personne aimée qui vous a quitté et faciliter le « deuil », d’effacer la mémoire en isolant les moments vécus avec cette dernière. Dans le cas de France Inter, il faudrait une machine à contrôler les désirs, préférences sexuelles, attirances, élans amoureux – tout le domaine du spontané pur – à l’usage des Blancs et uniquement des Blancs, pour que ceux-ci jettent instinctivement leur dévolu sur des personnes « racisées », non-blanches pour être clair.

Le sexe fait de la résistance

La nature humaine résiste à ce remodelage artificiel, malgré les efforts acharnés des propagandistes et d’une manière particulièrement aigüe dans le domaine amoureux et sexuel car, comme Pascal Quignard l’écrit dans son superbe livre Le sexe et l’effroi : « L’eros est une plaque archaïque, préhumaine, totalement bestiale, qui aborde le continent émergé du langage humain acquis et de la vie psychique volontaire sous les deux formes de l’angoisse et du rire. L’angoisse et le rire, ce sont les cendres épaisses qui retombent lentement de ce volcan. Il ne s’agit jamais ni du feu brûlant ni de la roche encore en fusion et visqueuse qui monte du fond de la terre. Les sociétés et le langage ne cessent de se protéger devant ce débordement qui les menace. » L’archaïque ne s’abolit pas au gré des discours idéologiques. Il y a de l’impondérable, qui échappe outrageusement aux décrets d’une caste qui se mêle de ce qui ne la regarde pas. Et il faudra qu’elle apprenne à faire avec, qu’elle comprenne que le désir a plus à voir avec une éruption incontrôlable qu’avec un dressage systémique qu’elle voudrait lui imposer.

France Inter pourrait s’écrier devant la perpétuation du racisme blanc, par le cœur et souvent – il faut bien l’avouer ! – par la braguette, à la manière d’un Apollinaire soudainement éveillé à des horizons multicolores, bariolés : « À la fin, je suis las de ce monde ancien ! » Quant à moi, dans le sillage de Blaise Pascal, me souvenant que « le cœur a ses raisons que la raison ignore », je serais tenté d’abonder dans ce sens, sinon de surenchérir : le cœur a ses raisons que la déraison idéologique ignore.

Sans doute Roméo et Juliette ont représenté une forme de progrès aux yeux de ces vigilants professionnels : issus de deux clans ennemis, ils se sont aimés. Une ode anticipée à la diversité. Un conte d’amour et de mort revisité en ce sens, puisqu’une actrice « racisée » est appelée à incarner le rôle de Juliette, à savoir Francesca Amewudah-Rivers. Ce qui dénote, soit dit en passant, une reconduction des préjugés sur les questions de genre dommageable. Le responsable du casting aurait dû inverser les rôles pour déjouer les assignations de genre arbitraires, reliquat d’un fascisme dont l’origine se perd au loin, au fin fond de temps immémoriaux, à une époque où on pouvait tomber amoureux sans remettre en question nos préjugés, ni consulter un psychanalyste, ou mieux encore, un sociologue doctorant spécialiste du métissage pubien, thème traité à l’occasion d’une soutenance de thèse, en première partie d’une Rave Party. Pour rester dans la littérature, citons Rimbaud qui s’est exclamé, dans le retentissement d’une voix singulière entre toutes, lassé de la mutilation des êtres et des choses : « Le Monde a soif d’amour : tu viendras l’apaiser. » Il faudrait sans doute ajouter pour la rime : « Pour unir Blancs et racisés. »

Occupe-toi d’tes fesses !

Je relisais, il y a peu, l’Apocalypse du désir de Pierre Boutang et ces lignes me sont revenues, qui me semblent épingler à merveille l’attitude de ces rectificateurs du désir : « L’homme, antique idole tirée de l’humus, vieux clown au sens de Shakespeare, glaiseux païsan qui vacille et s’étonne, mais parle ou bafouille son désir (si pauvre et creux qu’il soit, c’est le sien), les petits maîtres l’ont dénudé, mis à poil comme ça leur restait, en le nettoyant de sa terre et de son ciel. Il gueule encore, mais ça lui passera. Veux-tu désirer comme on te dit nom de pas Dieu ! »

Pour conclure, employons les termes idoines et appropriés aux circonstances : Mêlez-vous de vos fesses !

© Photo : capture vidéo, Manon Mariani journaliste à France Inter.

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