LE BULLETIN CÉLINIEN : Tu es sans doute le seul, ou l’un des seuls, à avoir pensé à commémorer le 90e anniversaire de la parution de Voyage au bout de la nuit qui est d’ailleurs le livre de Céline que tu préfères. Pourrais-tu en quelques mots présenter cet ouvrage ?
ÉMERIC CIAN-GRANGÉ. Je suis en effet le seul à avoir pris cette initiative, et pour cause : les autres attendent le 100e anniversaire de la parution de Voyage pour se manifester, ce qui est parfaitement logique d’un point de vue commercial (toute l’œuvre du natif de Courbevoie tombera dans le domaine public en janvier 2032) et symbolique (« C’est du pain pour un siècle entier de littérature »). Sauf que moi, dans dix ans, je ferai probablement partie du « Cercle des céliniens disparus », pour reprendre l’expression de Philippe Alméras. Je m’y suis donc pris avec un peu d’avance, afin de concrétiser un projet auquel je pense depuis 2011. J’ai également saisi cette opportunité pour clore le cycle des ouvrages de témoignages de lecteurs.
90 ans de Voyage. Céline et nous est composé de trois parties : la première, consacrée à la genèse de Voyage au bout de la nuit, est le fruit de recherches menées par Éric Mazet ; la seconde, polyphonique, est constituée d’une vingtaine de témoignages inédits ; la dernière, réalisée par Alain de Benoist, détaille les différentes éditions du Renaudot 1932. Mais comment convaincre tes abonnés d’alléger leur escarcelle de quelques euros en se procurant 90 ans de Voyage ? Première raison : ce livre n’est pas publié par Gallimard, Fayard ou Tallandier. Acheter, offrir, conseiller 90 ans de Voyage contribue à soutenir financièrement une petite maison d’édition afin qu’elle soit en capacité d’étoffer son offre éditoriale, parmi laquelle la collection « Du côté de Céline ». (Faut-il préciser que je dirige cette collection de façon bénévole ?) Seconde raison : 90 ans de Voyage nous épargne les tartines amphigouriques des célinistes professionnels, avantageusement remplacées par les témoignages de Sonia Anton, Pascale Boulineau, Alain Chevalier-Beaumel, Alain de Benoist, Thomas Desmond, Christian Durante, Rémi Ferland, Michaël Ferrier, Olivier François, Yannick Gomez, Patrice Jean, Marc Laudelout, Michel Marmin, Sylvain Martin, Olivier Maulin, Éric Mazet, Richard Millet, Jean Monnier, Jean-François Nivet, Antonino Pellegrino, Rémi Soulié, Frédéric Taupin et Henri Thyssens. Troisième et dernière raison : face aux offensives continues que subit le « contemporain capital », dans une époque où l’hygiénisme culturel et sociétal règne en maître, il est salutaire de participer à l’entretien du classique de Céline, ce livre « qui n’a jamais fini de dire ce qu’il a à dire ».
LE BULLETIN CÉLINIEN : La collection « Du côté de Céline » que tu diriges a déjà publié cinq titres. Quels sont-ils et qu’envisages-tu pour l’avenir ?
ÉMERIC CIAN-GRANGÉ. Depuis sa création en 2020, « Du côté de Céline » a effectivement publié cinq titres, ce qui représente déjà un beau catalogue. En voici la liste exhaustive : Escaliers. Une passion avec L.-F. Céline, d’Évelyne Pollet (préface de Marc Laudelout, postface de Jeanne Augier) ; Céline à fleur de peau, de Serge Kanony (préface d’Éric Mazet) ; Céline à hue et à dia, de Marc Laudelout (avant-propos de Marc Hanrez et de Frédéric Saenen) ; Elizabeth Craig raconte Céline. Entretien avec la dédicataire de Voyage au bout de la nuit, de Jean Monnier (préface de Pierre de Bonneville) ; 90 ans de Voyage. Céline et nous, que j’ai orchestré. Paraîtront en 2023 un essai de Yannick Gomez – D’un musicien l’autre. De Céline à Beethoven, préfacé par Michael Donley – et la réédition revue, corrigée et augmentée du Dictionnaire Céline de Philippe Alméras, un travail qui va me tenir en haleine une bonne année. Pour 2024, un truc personnel : Itinéraire d’un célinien gâté. D’autres projets sont par ailleurs quasiment finalisés, mais il est encore trop tôt pour en parler.
LE BULLETIN CÉLINIEN : Comment envisages-tu ton travail sur le Dictionnaire Céline de Philippe Alméras ?
ÉMERIC CIAN-GRANGÉ. C’est un chantier d’envergure, car il ne s’agit pas simplement d’apporter des corrections et de mettre à jour un ouvrage publié en 2004. Il convient également de conserver le ton, l’esprit et la signature de Philippe Alméras. Sa personnalité imprègne en effet chaque ligne du dictionnaire, ce qui le rend singulier et particulièrement savoureux à lire, un millier d’entrées qui, à travers les mots du « faux diable », synthétisent une « carrière » célinienne fructueuse, engagée et mouvementée.
LE BULLETIN CÉLINIEN : Pour les deux livres que tu as édités sur le lectorat célinien, tu as réussi l’exploit d’obtenir une préface de deux célinistes historiques : Philippe Alméras et Henri Godard. On se souvient que celui-ci avait vertement critiqué sa biographie de Céline, bien avant qu’il n’écrivît la sienne, estimant qu’« il n’y est question sous le nom de Céline que d’un individu qui n’a jamais pensé qu’à propager son credo raciste, utilisant à l’occasion pour cela la voie indirecte ou camouflée du roman. » Que penses-tu de cette appréciation critique ?
ÉMERIC CIAN-GRANGÉ. Je ne sais pas s’il s’agit d’un exploit, mais je suis fier et honoré que mes petits travaux aient pu intéresser deux célinistes de renom. Henri Godard et Philippe Alméras, qui m’accompagnent depuis le début des années 90, sont à mes yeux des phares d’égale importance. Ce qui peut sembler surprenant, voire inimaginable, pour ceux qui estiment pareille cohabitation impossible. Rien n’est jamais simple avec Céline… S’il faut lire tout Godard et tout Alméras, il n’est cependant pas nécessaire de prendre parti pour l’un ou/contre l’autre. Le mieux est, me semble-t-il, de prendre le parti des deux. Est-il par ailleurs possible et pertinent de trancher entre « écrivain raciste » et « raciste qui écrit » ? Dans mon groupe Facebook “Actualité célinienne”, j’avais réalisé le sondage suivant : « Le racisme biologique de Céline, présent jusque dans son dernier ouvrage (Rigodon), est-il le fil conducteur de son œuvre ? » 82 % des sondés avaient répondu « non », 4 % « oui » et 14 % « la question mérite d’être posée ». Éric Mazet avait ajouté : « Le racisme biologique est un des fils mais pas le fil. » Une certitude toutefois : Céline, comme beaucoup d’autres de son temps, avait une vision racialiste du monde, une « mystique » mise en musique dans Bagatelles pour un massacre (1937), L’École des cadavres(1938) et Les Beaux Draps (1941).
LE BULLETIN CÉLINIEN : Compte tenu de ton énergie et de ton volontarisme, mes (autres) amis et moi avions pensé que c’eût été une chose positive que tu intègres le conseil d’administration de la Société d’études céliniennes afin de la dynamiser de l’intérieur. Comme le précise Jean-Paul Louis dans la dernière livraison de L’Année Céline, nous nous sommes heurtés à l’action de François Gibault qui a tout fait pour que ta candidature fût un échec. Mais cela ne semble pas avoir altéré tes relations avec lui. As-tu eu l’occasion de t’expliquer avec lui sur cet épisode ?
ÉMERIC CIAN-GRANGÉ. Il était question que je remplace Isabelle Blondiaux au poste de secrétaire de la SEC. Il faut toujours se méfier des belles idées qui, in fine, finissent par vous envoyer au casse-pipe. L’intention de vouloir modifier le processus de fonctionnement sectaire de la SEC était déjà, à bien des égards, totalement chimérique. Enfin, nous y avons tous adhéré à un moment donné… Compte tenu des réactions épidermiques provoquées par ma candidature, il est vite devenu évident que Cian-Grangé n’était pas le candidat idéal. Il faut dire que j’arrivais après d’autres qui avaient refusé de relever le défi (François-Xavier Lavenne, Pierre-Marie Miroux et Régis Tettamanzi, ce dernier présidant désormais aux destinées de la SEC), j’étais un candidat de quatrième choix, celui de la dernière chance. La première réaction de François Gibault fut toutefois assez encourageante puisqu’il t’avait dit au téléphone que cela ne lui posait aucun problème. Ça n’a pas duré, inutile d’en raconter davantage, tes lecteurs connaissent dans les grandes lignes le reste de l’histoire.
Mes relations avec François Gibault n’ont jamais été mauvaises : il m’a toujours bien accueilli chez lui, a répondu favorablement à certaines de mes invitations éditoriales (Céline’s Big Band et D’un lecteur l’autre), me fait l’honneur d’un tutoiement réciproque, tout en me trouvant, de temps à autre, des qualités intellectuelles. Avons-nous évoqué les coups tordus et l’assemblée générale de décembre 2020 ? À aucun moment. François Gibault a défendu ses intérêts et ceux de la SEC. Étant à l’origine d’un désordre formidable au sein d’une association au bord de l’implosion, la candidature de Cian-Grangé a fait l’objet d’un traitement adéquat, à la hauteur de ce qui semblait être l’enjeu principal du moment : éviter un renversement de table. Bref, François Gibault m’a sacrifié au profit d’un statu quo qui se désagrégera pourtant en quelques mois. Plus que l’homme, c’est le président de la SEC qui, acculé, s’est donné les moyens de me barrer la route. Quand on a conscience de cette réalité, on fait avec et on prend les choses avec légèreté, de biais pour ainsi dire. Je n’ai d’ailleurs aucun regret, c’est bien mieux ainsi.
LE BULLETIN CÉLINIEN : Par la suite, tu as donné ta démission de la présidence de la nouvelle Société des Lecteurs de Céline, estimant que tu n’étais pas suffisamment secondé. Nos amis n’ont pas compris que tu ne démissionnes pas uniquement de la présidence et qu’en outre tu sembles leur tenir rigueur de leur manque d’engagement alors que tes relations sont des plus cordiales avec l’ancien président de la SEC qui a tout fait pour te barrer la route. N’est-ce pas paradoxal ?
ÉMERIC CIAN-GRANGÉ. Je suis à l’initiative de la création de la Société des lecteurs de Céline, apparue le 1er juillet 2021, à l’occasion des soixante ans de la mort de Céline. Sa naissance découle de la mise en chantier d’un prix littéraire célinien. C’est en mai 2020 que j’ai eu l’idée de ce prix. Et c’est au détour d’une conversation électronique avec Alain de Benoist, un an plus tard, qu’il devint évident que ce prix devait être décerné par un organisme associatif. C’est ainsi que la SLC a vu le jour. Étoffée, elle s’est aussi fixé pour objet de réunir, sans passion partisane ni politique, les amateurs de l’auteur de Voyage au bout de la nuit, d’œuvrer pour la promotion et la diffusion de l’actualité célinienne et de contribuer à la recherche célinienne. Son ambition était de représenter le plus légitimement possible la communauté des lecteurs de Céline et de lui permettre de s’exprimer de façon décomplexée. La SLC n’a donc pas été conçue pour me venger de François Gibault ou pour concurrencer la SEC.
Ma décision de rompre avec la SLC fut le fruit d’un ras-le-bol qui couvait depuis déjà un certain temps, une lassitude dont je t’avais fait part à plusieurs reprises. J’en avais assez d’être une locomotive que personne, ou presque, prenait soin d’alimenter et d’entretenir, qui bouffait du Céline à chaque moment de la journée, sans se sentir épaulée et encouragée. Un conseil de François Gibault me revenait souvent en tête : « Émeric, travaille seul ! ». C’était d’autant plus douloureux qu’au sein de la SLC, j’avais l’impression que c’était déjà le cas, ou presque. On se manifestait parfois pour me glisser une peau de banane, ce qui était somme toute moins constructif que de travailler à la réalisation du site Internet de l’association… Quand les plaisirs laissent place aux déceptions, à moins d’être masochiste, on remballe les gaules. J’étais fatigué, lassé, déçu, le ressort était cassé. Nos échanges ont par ailleurs permis de crever des abcès et de mettre en lumière les ressentiments qui empêchaient la SLC de s’exprimer librement. Cela se traduisait par une absence d’enthousiasme, de dynamisme, d’engouement et d’initiative. Les propos tenus par certaines personnes m’ont évidemment blessé, surtout celles en qui j’avais placé toute ma confiance, mais j’ai pris ma part de responsabilité, conscient que mon départ serait un soulagement pour certains et une aubaine pour d’autres. Quant aux « amis », à l’exception de Marc van Dongen, Claude Beauthéac (démissionnaire quelques mois plus tard), Éric Neirynck, Éric Mazet, Sylvain Martin, Pierre Chalmin et toi, j’attends toujours qu’ils se manifestent. Même François Gibault m’a appelé : « J’apprends que tu as quitté tes fonctions au sein de la SLC… Chez moi aussi, j’étais le seul à bosser… Créons une société des anciens présidents de sociétés céliniennes ! » La vie est effectivement faite de paradoxes… Depuis cet événement, j’ai décidé d’utiliser mon « énergie » et mon « volontarisme » à bon escient. « Il faut vous dire mes potes ! Que la fête est finie ! Que le vent m’emporte ! Adieu feuilles mortes ! Trémolos et soucis ! »
LE BULLETIN CÉLINIEN : François Gibault ne fut pas le seul à réagir négativement. Plusieurs céliniens ont estimé que tu n’avais pas la carrure nécessaire pour devenir secrétaire de la SEC, n’ayant rien publié sur Céline hormis des notes de lecture et des livres où tu donnes la parole à des tiers. Que penses-tu de cette réaction ?
ÉMERIC CIAN-GRANGÉ. Il s’agissait d’un prétexte, d’un argument fallacieux. Deux exemples suffisent à comprendre les motivations réelles de mon rejet. En décembre 2020, alors qu’il était trésorier de la SEC, Émile Brami craignait que je ne sois trop connoté, raison pour laquelle il hésitait beaucoup à me voir secrétaire. Il lui paraissait en effet difficile de passer d’Isabelle Blondiaux, qui se réclamait de l’extrême gauche universitaire et qui a œuvré en ce sens, à moi, qu’il considère comme faisant partie de l’extrême droite. Il préférait par ailleurs « à ne pas avoir à choisir entre la peste et le choléra », en affirmant ne voter ni pour l’une ni pour l’autre. Il était par ailleurs certain, selon lui, que des gens comme Christine Sautermeister ou Pierre-Marie Miroux refuseraient de travailler avec moi, sans compter tous les universitaires américains ou canadiens, à une ou deux exceptions près. Le deuxième exemple est l’initiative de Régis Tettamanzi qui, en amont de l’assemblée générale, prit soin de contacter d’anciens collègues pour obtenir des procurations afin de « contrer une OPA d’extrême droite orchestrée par M. Cian-Grangé ». On me reprochait également « d’aimer faire parler de moi », de « signer des livres écrits par les autres », d’être « un éléphant dans un magasin de porcelaine » et de risquer de donner « une image détestable de la SEC, voire permettre à ses détracteurs de l’attaquer de façon légitime » à cause de ma supposée appartenance à l’extrême droite. Les motivations étaient donc avant tout idéologiques. Chacun jugera mon activité célinienne en fonction de ses attentes et aspirations. Une chose est cependant indiscutable : « Elle est bien défendue la Science, je vous le dis, la Faculté, c’est une armoire bien fermée. Des pots en masse, peu de confiture. »
LE BULLETIN CÉLINIEN : Ta page Facebook « Actualité célinienne » rend compte, comme son nom l’indique, de tout ce qui se fait sur Céline. En quoi ton initiative se différencie-t-elle des autres initiatives comparables sur les réseaux sociaux ?
ÉMERIC CIAN-GRANGÉ. J’ai créé le groupe « Actualité célinienne » le 2 décembre 2015. J’essaie, autant que possible, d’être exhaustif et de faire preuve de réactivité, tout en citant mes sources. Des rubriques existent, ce qui facilite les éventuelles recherches. Je sollicite également les membres d’« Actualité célinienne », en leur proposant de répondre à des sondages (le groupe en compte une quarantaine) ou de participer à des projets. Il est parfois malaisé de créer une dynamique, ce qui me désespère un peu, mais c’est ainsi. Aucun groupe Facebook ne remplacera jamais un véritable site Internet, à l’image de celui qu’Henri Thyssens a consacré à Robert Denoël.
LE BULLETIN CÉLINIEN : Comment juges-tu le petit monde des céliniens ? Ne penses-tu pas qu’étant tellement attaqués par certains, tous ceux qui s’occupent de son œuvre (à quelque niveau que ce soit) devraient constituer un front relativement uni face aux détracteurs rabiques de l’écrivain ?
ÉMERIC CIAN-GRANGÉ. Ce petit monde est hétérogène. Ce qui rend totalement illusoire toute aspiration à l’unité. Pour reprendre les propos d’Éric Mazet, que j’avais interviewé en 2012 : « La Célinie est une véritable auberge espagnole. Chacun a son Céline et y met ses fantasmes. C’est du chacun pour soi et à couteaux tirés. Chez les proustiens ou les bloyens, il paraît qu’il en est de même, en plus feutré ou plus rageur. Les délires de Céline incitent à l’hyperbole. […] Les céliniens ! Que de fois j’ai entendu vitupérer “les céliniens”… C’est fort mal les connaître. Car “les céliniens”, ça n’existe pas. Chacun a sa motivation, son chemin, sa spécialité. Chacun apporte sa pierre, fait part de sa lecture. Aucun ne se ressemble. […] Mais chacun a son Céline. Et c’est tant mieux ! L’œuvre est tellement riche qu’on peut l’aborder sous des centaines d’angles. Le grammairien n’est pas forcément intéressé par le biographe. Et entre biographes les divergences existent. Il nous arrive bien sûr de nous entraider, de faire appel à tel ou tel, spécialisé dans un domaine, à passer des semaines pour trouver un renseignement. Travailler à plusieurs demande beaucoup de tolérance et d’humilité. Des petits groupes y arrivent. Ils sont les plus modestes. » Tout est dit. Et j’ai déjà donné : chat échaudé craint l’eau froide.
LE BULLETIN CÉLINIEN : Le fait que tu collabores à la rédaction de la revue Éléments, ainsi que de manière régulière à Radio-Courtoisie ou à TV Libertés ne donne-t-il pas à ton initiative une coloration que tu n’as pas forcément souhaitée ?
ÉMERIC CIAN-GRANGÉ. De quelle initiative parles-tu ? Donner la parole aux lecteurs de Céline ? Promouvoir l’œuvre de l’auteur de Mort à crédit ? Ta question me rappelle un échange télématique que j’ai eu avec Henri Godard à qui je demandais si, à l’occasion, il accepterait de préfacer un ouvrage publié dans la collection « Du côté de Céline ». En substance, il répondait ne pas remettre en cause mon travail, tout en affirmant que l’œuvre de Céline est telle que publier sur elle dans des publications ou chez des éditeurs qui sont politiquement marqués contribue à la rendre prisonnière de ce courant, même quand le sujet est autre. Il disait également que tout son travail avait tendu au contraire à définir la valeur littéraire des livres de Céline, indépendamment des positions de l’auteur qu’il regrette. C’est pourquoi il ne pouvait me suivre sur ce terrain. Il continuait cependant à penser que Céline’s Big Band était une bonne idée, bien réalisée, et que nous avons en commun notre appréciation de l’œuvre romanesque. Ce à quoi j’avais répliqué : « Je ne partage pas votre point de vue : peu importe où vous écrivez, l’important est ce que vous écrivez. Il est par ailleurs illusoire (ou artificieux) de (laisser) croire que Le Monde ou Le Figaro sont des médias neutres et intègres. Porteurs d’une idéologie, ils ne vous ouvrent leurs pages que si vous montrez patte blanche. Tout comme la SEC qui compte au sein de l’équipe dirigeante une universitaire d’extrême gauche, un universitaire de gauche à la retraite et un journaliste ayant pour employeur Le Canard enchaîné. Céline n’appartient à personne, et assumer la position qui est la vôtre favorise ce que vous redoutez, à savoir l’appropriation de l’écrivain par une mouvance idéologique. Je m’efforce quant à moi, à mon petit niveau, d’équilibrer la balance, avec les armes qui sont les miennes : mes travaux, mon indépendance, mon libre arbitre et ma gratuité. […] Soyez néanmoins assuré que ma loyauté vous reste acquise, en dépit des divergences de vues qui, en somme, nous caractérisent. Bien fidèlement. » Depuis cet échange, Henri Godard n’a jamais plus répondu à mes courriels, ni accusé réception de mes envois. « C’est énorme la vie quand même. On se perd partout. »
Outre les cinq volumes de la collection « Du côté de Céline », Émeric Cian-Grangé a édité Céline’s big band (D’un lecteur l’autre), préfacé par Henri Godard (Éd. Pierre-Guillaume de Roux, 2015) et D’un lecteur l’autre (Louis-Ferdinand Céline à travers ses lecteurs),préfacé par Philippe Alméras (Éd. Krisis, 2019). Il a coordonné le dossier « Céline. Abécédaire et compagnie » pour la revue Livr’arbitres, n° 33, mars 2021, pp. 21-119). Il a aussi signé plusieurs articles dans le BC, dont des entretiens avec Éric Mazet (n° 342), Philippe Alméras (n° 346), Jean Guenot (n° 354), et Nicole Debrie (n° 368).