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Enquête sur la fête celtique d’Imbolc et sur la ritualisation des Champs-Élysées

Enquête sur la fête celtique d’Imbolc et sur la ritualisation des Champs-Élysées

Voici une étude pour le moins originale. Thomas Dussolier, stagiaire de la promotion Saint-Exupéry de l’Institut Iliade, a exhumé les traces d’une fête celtique quelque peu oubliée en France, mais pas en Irlande, qui a décidé, en 2022, de créer un nouveau jour férié « en l’honneur de Imbolc/sainte Brigitte ». Ainsi l’Irlande fête-t-elle chaque 1er février, d’un bloc et tout ensemble, Imbolc et Brigitte, sainte protectrice de l’île. Tout indique qu’une telle fête pourrait être introduite en France, singulièrement à Paris, dans l’axe solaire des Champs-Élysées. Pourquoi ? Lisez l’enquête d’archéoastronomie de Thomas Dussolier ? D’aucuns diront que l’auteur avance des hypothèses, mais elles sont stimulantes et fertiles, comme Imbolc/Brigitte.

Avec Beltaine au 1er mai, Lugnasad au 1er août et Samhain à Halloween (veille du 1er novembre), toutes les fêtes celtiques sont maintenant fériées dans le calendrier irlandais ! Pour être précis les dates sont changeantes pour s’assurer que le jour férié soit un lundi ou un vendredi, ce qui assure un week-end de trois jours. Il nous faut prendre la mesure de cette décision, car le lobby celte se retrouve avec une influence comparable à BlackRock, le plus gros gestionnaire d’actifs au monde, à la sortie des années Covid, pour créer un tel jour férié… Que font les vrais Gaulois de Gaule pendant ce temps ?

En France, le calendrier de Coligny, vestige du calendrier gaulois, a été découvert il y a un siècle. Il nous a confirmé que ces pratiques festives remontaient à la plus haute Antiquité, bien avant la chute des Gaules. Ce n’est pas un calendrier solaire comme le nôtre, mais nous passerons ces détails.

Le calendrier gaulois découvert à Coligny en 1897. Il est luni-solaire.

En France, nous avons aussi la Toussaint chaque 1er novembre. Le 1er mai, établi en 1941 sous Pétain au prétexte étrange d’une tradition communiste, est censé être la Fête du Travail. Mais on s’y offrait aussi du muguet depuis le XVIe siècle. Rien en revanche, ni en août, ni au 1er février. Tout au plus peut-on penser à la Chandeleur le 2. Alors, que faire en France de cet obscur Imbolc ? Pouvons-nous donner un sens ? Les documents qui font état de cette fête celtique en Irlande datent de bien après la christianisation. Est-ce dans ces conditions une fête vraiment préchrétienne ? Oui, tant il est intuitif de confirmer son existence au regard des trois autres fêtes attestées :

– la fête du 1er novembre, Samhain (notre Halloween), est le plus gros événement du calendrier de Coligny ;

– la fête du 1er mai, Beltaine, est encore fêtée dans tout le monde gaëlique (c’est le May Day et l’occasion des May Pole) et même au-delà, puisqu’en Germanie c’est la Nuit de Walpurgis et chez nous ce fameux muguet ;

– la fête du 1er août, Lugnasad, fut l’occasion de l’Assemblée des Gaules à Lugdunum pendant l’occupation romaine : voilà de quoi justifier cette fête chez nous aussi.

On peut donc bien déduire l’existence d’une fête manquante au 1er février rien qu’au rythme trimestriel des trois autres. Ses sources documentaires en Irlande sont surtout le Glossaire de Cormac du IXe siècle, où Imbolc est mentionnée avec Beltaine et Samhain, et le conte de La Razzia des vaches de Cooley, principale source mythologique irlandaise dont le plus ancien manuscrit date du XIIe siècle, mais dont les faits pourraient se situer au Ier siècle. Il s’y trouve une mention d’Imbolc, souvent traduite en Chandeleur par les copistes. Comment cette fête mystérieuse a-t-elle survécu jusqu’en Irlande au XXIe siècle ?

Bien qu’il ne reste qu’une vague indication de cette fête dans les sources, la christianisation y a placé la sainte Brigitte. C’est la plus importante de toutes les saintes, à égalité avec saint Patrick. Mais elle est plus mystérieuse que lui. Les premières « Vies » de sainte Brigitte, écrites presque deux siècles après sa mort, en parlent comme d’une fille de druide, protectrice des arts et de l’industrie ainsi que des femmes enceintes. Plus tard, le Glossaire de Cormac du IXe siècle contient une entrée pour un terme irlandais « Brigit » : « Poétesse, fille du Dagda [le chef des dieux, druide]. Brigit est le sage féminin, ou femme de la sagesse, Brigit la déesse que les poètes adoraient, car grande et illustre était sa protection. C’est pourquoi ils l’appellent déesse des poètes par ce nom. Ses sœurs sont Brigit la guérisseuse, Brigit la femme forgeron, dont de ces noms par toute l’Irlande la déesse fut appelée Brigit. » Faute de savoir d’où vient le prénom de la sainte, nous voilà en pleine mythologie irlandaise. Ses deux premiers attributs sont la poésie et la guérison. Si on en faisait une lecture tripartite indo-européenne, il s’agirait d’une fonction religieuse, non régalienne ou productrice. Mais le dernier attribut est la forge, activité artisanale productrice. Ses premières attestations chrétiennes l’associent souvent à cette activité de forgeron, mais aussi d’enluminure. Elle est aussi protectrice du feu : l’abbaye qu’elle aurait fondée à Kildare a longtemps détenu le temple d’un feu sacré, jusqu’à la Renaissance. Aujourd’hui les croix de sainte Brigitte sont exposées dans les cuisines pour se protéger du feu.

La croix de sainte Brigitte en jonc

            Il y a cette autre dimension maternelle chez sainte Brigitte : associée à son rôle de guérisseuse, elle aide les femmes enceintes, ce qui ramène à la production encore. Notoirement, elle aurait aidé la Vierge Marie elle-même à accoucher. On peut comprendre l’association chrétienne, car le lendemain 2 février est le jour de la Chandeleur. Arrêtons-nous un instant sur cette fête chrétienne.

La Chandeleur fut introduite en 472 par le pape Gélase Ier. C’est l’époque même où aurait vécu sainte Brigitte. Le prétexte du pape était de fêter la Purification de Marie au Temple : faute de sacrifier son aîné à Yahvé, les Judéens doivent offrir un sacrifice au Temple. Mais, la femme étant dite impure, elle doit attendre un délai pour ce sacrifice. Pour un aîné mâle, d’après le Lévitique, ce délai est de quarante jours après la naissance. L’Évangile de Luc rapporte aussi ce délai de quarante jours. On ignore la date de naissance de Jésus, mais l’ancien solstice, Noël, avait été choisi par la papauté, sur le modèle de la renaissance du soleil mithraïque. Décalé d’une journée par siècle avec le solstice réel à cause du calendrier Julien, les nouvelles autorités ont conservé la date du 25 décembre pour le solstice, alors qu’il en était arrivé au 21. Un détail troublant reste qu’en comptant quarante jours après le 25, on arrive non pas au 2, mais au 3 février. La date fut bizarrement posée au 2. Des processions aux chandelles sont annoncées : c’est la Chandeleur. En tout cas, malgré des justifications différentes, Chandeleur et Imbolc se retrouvent toutes deux théoriquement placées quarante jours après le solstice d’hiver. Le pape voulait-il effacer une fête gaëlique, voire celtique ?

Quoiqu’il en soit, cette histoire explique pourquoi après des siècles de christianisme, sainte Brigitte la guérisseuse s’est retrouvée associée aux jeunes mères. Une interprétation des fêtes celtiques est de les associer aux trois fonctions indo-européennes de Dumézil : si nous mettons à part la fête de Samhain le 1er novembre, qui est le nouvel an celte pour toute la société, et dédié aux âmes des ancêtres (Halloween, aussi Dia de Muertos mexicain depuis la colonisation), les trois fêtes restantes peuvent être associées à ces fonctions. Le 1er août est clairement associé à la fonction régalienne avec le dieu-roi Lug, puisque par son nom Lugnasad et l’Assemblée des Gaules à Lugdunum, tout y converge. Le 1er mai pourrait être vu comme la fête de la fonction religieuse par son insistance sur le feu, et son nom Beltaine serait lié au dieu solaire Bélénos, Apollon solaire gaulois dont nous avons encore l’adjectif « bel ». Resterait alors le 1er février pour la fonction productrice, que l’Irlande nous transmet sous cette forme de sainte Brigitte, assistante des artisans et des femmes enceintes via son syncrétisme chrétien. N’y aurait-il pas là un grand outil de communion sociale ?

Quelque intérêt qu’il y ait à sonder ces profondeurs, elles n’en sont pas moins étrangères pour un Français du XXIe siècle, et de telles recherches ne devraient pas suffire pour créer un élan en vue de se rassembler pour Brigitte… Nul n’est surpris d’apprendre qu’Halloween ou le 1er mai ont des origines antiques, tant ces fêtes ont traversé le temps, mais Imbolc ne nous parle pas. Comment alors expliquer la motivation du gouvernement irlandais, vu de France ?

Surprise : nous allons changer de registre pour découvrir comment l’avenue des Champs-Élysées, la plus célèbre et la plus ritualisée de France, fait écho à cette date. Pour cela, nous allons faire un bond dans diverses disciplines de façon à introduire brièvement une jeune science passionnante et peu connue : l’archéoastronomie. Essentiellement promue par des amateurs sur Internet, elle postule que les constructeurs de mégalithes, de temples, de cathédrales, de bâtiments, ou les aménageurs urbains, organisent parfois leurs ouvrages pour y inscrire des rapports mathématiques, géométriques, ou des orientations astronomiques. L’exemple le plus intuitif est Stonehenge, construction mégalithique vieille d’au moins quarante siècles, alignée sur le levant du solstice d’hiver. Une autre, construite quelques siècles après Stonehenge, est le temple de Karnak en Égypte. Il est aussi aligné sur le levant du solstice d’hiver, dont les rayons sont accueillis par une longue allée de sphinx. Au solstice, ces monuments attirent les foules tant en Angleterre qu’en Égypte.

On comprend que les « lois » qui ont présidé à ces constructions permettent, physiquement, de façonner un espace qui relie l’« ordre céleste » avec « notre plan », au sens littéral. L’émotion, le sentiment ou la superstition ne sont pas nécessaires pour expliquer le but de ces constructions : par elles, ceux qui les ont pensées affirment leur puissance co-ordonnatrice du monde, en montrant qu’ils possèdent le pouvoir d’inscrire l’ordre céleste dans la pierre, par-delà leurs générations. De fait, on s’étonne encore aujourd’hui de ce que leur civilisation a pu être.

Rassemblements à Stonehenge et Karnak pour le levant du solstice d’hiver.

            Si ces exemples paraissent exotiques et fort éloignés de sainte Brigitte, rapprochons-nous de notre époque en monarchie très chrétienne, à Versailles, pour initier le lecteur à cette vision. La perspective du château, son plan, sa séparation entre la ville, à l’orient, et son désert forestier, à l’occident, sont bien connues.

La perspective de Versailles sous Louis XIII.

Quand Louis XIII établit le premier château dans cet endroit lugubre, marécageux, inhabité, au sommet d’une hauteur venteuse dans le vallon de Gal, en sacrifiant des milliers d’ouvriers à l’insalubrité du lieu, c’était officiellement pour célébrer la grossesse de la reine Anne d’Autriche, et consacrer le royaume à la Vierge Marie le 15 août pour lui avoir offert un héritier, le futur Roi-Soleil. Or, toute la perspective de Versailles et des jardins est celle du soleil couchant du 15 août. À cette date, le soleil se couche dans l’axe du Grand Canal, derrière le bassin du dieu solaire Apollon, qui dirige son quadrige pour ramener l’astre rayonnant vers l’aube du lendemain, à travers les profondeurs océaniques.

Bassin d’Apollon, aligné au couchant du 15 août à Versailles.

      Malheureusement aucune photo du quadrige dans le soleil couchant du 15 août ne semble disponible sur Internet. Pour être honnête avec le lecteur et qu’il puisse vérifier par lui-même, indiquons le site suncalc.org où il peut saisir l’exactitude de l’orientation : sur la copie d’écran ci-dessous, la ligne rouge, alignée dans l’axe de Versailles, est celle où pointe le soleil couchant depuis le point central.

Plan de l’alignement de Versailles.

          

  La date de cette orientation est visible dans le panneau en haut à gauche : c’est celle du 15 août. Cet alignement n’est plus valable le 14 ou le 16 août. Ce jour du 15 août est toujours férié en France, bien que rares soient ceux qui pensent encore à l’Assomption de la Vierge Marie ou à Louis XIV et sa mère Anne d’Autriche. Le 15 août a-t-il pu représenter autre chose pour Louis XIII ou son architecte ? Vaste sujet.

Aujourd’hui de nombreux monuments présentent de pareils indices, soulignant la préoccupation des élites vis-à-vis de l’ordre du ciel. Mitterrand a lui-même fait construire plusieurs monuments à dimension solaire : commençons par la barque solaire égyptienne dans les jardins de Rambouillet regardant vers le solstice d’hiver, qu’il commanda personnellement. Puis l’arche de la Défense, qui révèle à son toit un gigantesque zodiaque, et s’inscrit dans l’axe des Champs-Élysées.

L’arche de la Défense a un gigantesque zodiaque sur son toit.
L’arc de Triomphe divise l’Étoile en douze avenues.

            Ce zodiaque est un dallage en marbre blanc et granit noir, appelée Carte du Ciel, par l’artiste Jean-Pierre Raynaud. On y distingue quatre signes astrologiques. Rappelons que le zodiaque est à l’origine un calendrier antique chaldéen, adopté par les Perses. Le plus ancien exemplaire connu a été découvert dans le temple égyptien de Dendérah et se trouve actuellement au Louvre. Il était l’objet d’une grande polémique sur son possible caractère antédiluvien et les débats d’exégètes bibliques interminables. Le sultan donna son accord pour l’envoyer en France et il fut amené à Paris en 1822 pour examen. On peut imaginer le symbole qu’il a représenté pour les scientifiques d’alors, dans une ère de triomphes rationalistes face aux dogmes plurimillénaires. Il se trouve positionné dans un coin des Antiquités égyptiennes du Louvre. Il manque vingt mètres à son lieu d’exposition pour être placé dans le prolongement exact des Champs, mais il reste un symbole à une extrémité, quand le zodiaque de l’arche de La Défense, sans doute le plus grand du monde, se retrouve à l’autre.

Le Zodiaque de Dendérah, exposé au Louvre comme il était en Égypte, au plafond d’un temple.

            Nous comprenons qu’avec Stonehenge, Karnak, Versailles ou La Défense, les orientations solaires ont constitué l’essentiel de la motivation des hommes qui ont ordonné ces travaux titanesques. Cependant, les Champs ne sont pas orientés en fonction d’un solstice ; et rien n’indique un lien avec une date, tel le 15 août pour Versailles. Peut-on trouver des dates significatives auxquelles le soleil s’aligne dans cet axe ?

Pour déterminer une orientation, il faut prendre en compte le relief, car si une colline élève l’horizon à l’est, le soleil se lèvera plus tard à cet endroit, selon un angle différent. De même le soir, si une colline élève l’horizon à l’ouest, le soleil se couchera plus tôt qu’ailleurs. Sollicitons de nouveau l’outil suncalc.org, en acceptant les orientations fournies si on se trouve sur un promontoire dégagé : c’est le cas aux Champs-Élysées quand on est placé à l’Arc de Triomphe, son point le plus élevé. Mais ce n’est pas le point de vue historique de cet axe, les Tuileries, et en particulier la Concorde et son obélisque aujourd’hui, qui sont 25 mètres en contrebas de l’Arc de Triomphe.

L’Étoile est le point le plus élevé sur la trajectoire de l’Avenue.

            Commençons par la partie simple : depuis l’Arc de Triomphe, regardons vers le levant, en direction de l’Obélisque. À quels jours le soleil se lève-t-il exactement à cette orientation ? Jouons avec les dates sur suncalc.org : le 1er février s’y aligne parfaitement, quarante jours après le solstice !

La barre jaune représente le levant, la date en haut à gauche est le 1er février.

            Voilà de quoi s’interroger. N’y aurait-il pas un motif de rassemblement – exceptionnel – pour des Franciliens blasés que d’observer le soleil se levant derrière l’Obélisque et le Louvre, le long des Champs-Élysées, le 1er février ? Voire, depuis l’Arche de la Défense, nous pourrions le voir se lever à l’intérieur de l’Arc de Triomphe ! Le jour même d’une fête celtique qu’on pourrait dire dédiée à la petite production et à la fertilité…

Mais terminons d’abord l’examen des autres alignements solaires possibles, avant de revenir plus loin au 1er février.

Reconstitution d’un levant au 1er février à l’Arc de Triomphe.

            Si le soleil est aligné quarante jours après le solstice d’hiver, il l’est aussi nécessairement quarante jours avant. Or, il nous faut ici marquer notre surprise : il s’agit du 11 novembre. La présence du chef de l’État au matin de cette date pour allumer une flamme en devient plus étonnante encore. Mentionnons ici le fait que le défilé militaire du 14 juillet, établi à partir de 1880, avait lieu à l’hippodrome de Longchamp jusqu’à l’Armistice de 1918, à partir duquel la célèbre procession se déroula aux Champs, comme le rituel de la flamme le 11 novembre. Les armées y défilent de l’Arc à l’Obélisque : du couchant vers le levant. À noter que le défilé n’eut jamais lieu sur la vaste esplanade du Champ-de-Mars, où se déroula pourtant la fête originale du 14 juillet, la Fête de la Fédération, en 1790. Ces faits sont troublants : la République s’est approprié cet axe pour y effectuer ces cérémonies, dont l’éphéméride du 11 novembre, qui en constituait déjà une des dates-symboles. Pour rappel, Napoléon avait commandé l’Arc de Triomphe pour célébrer ses victoires d’Austerlitz et d’Ulm. Si l’explication du lieu n’est pas solaire, il commémore des guerres intra-européennes, bien éloignées de nos préoccupations en 2024. Le nom même de La Défense provient d’une statue à Neuilly, personnifiant la défense de la France après la défaite de 1870.

Mais qu’en est-il pour l’observateur à l’autre extrémité de l’axe ? À quelles dates le soleil se couche-t-il au pied de l’Arc de Triomphe quand celui qui l’observe se trouve au pied de l’Obélisque ? Passons les calculs : avec un dénivelé de 25 mètres sur 2 123 mètres, l’horizon s’élève de 0,7 degrés.

Profil de dénivelé entre la Concorde (à gauche) et l’Arc de Triomphe (à droite) : 25 mètres sur 2 125 mètres.

            Sur suncalc.org, il nous faut chercher les dates où l’alignement est exact quand le soleil est à environ à 0,7 degrés d’altitude (élévation). Nous tombons sur les dates du 6 mai et du 5 août. Ces dates ne font écho à rien de connu. Une photo du soleil couchant du 8 mai sur place serait fort utile pour vérifier ces calculs. Peut-être le couchant est-il aligné au dernier rayon du soleil, lorsque le centre du disque solaire arrive à l’horizon ? Peut-être faut-il aussi considérer l’insertion du soleil exactement au haut de l’ouverture de l’Arc ? Sur Internet, on trouve des photographes et astronomes qui se sont déjà intéressé à ces sujets. Voici par exemple une photo prise au 8 mai 2016 : on y voit un spectacle étonnant, qui se reproduit probablement vers le 2 août.

Couchant 8 mai 2016.

            Ces rituels du 11 novembre et du 8 mai ont quelque chose de troublant. Mais laissons ici ces considérations, car l’Arc de Triomphe fut commandé en 1806 par Napoléon, bien avant ces deux armistices. Napoléon ne faisait que choisir le point le plus élevé de l’axe, sachant que celui-ci était déjà établi. Quelles furent les intentions originelles des constructeurs ? Pensaient-ils à un alignement solaire ? Les fêtes celtiques pouvaient-elles avoir un sens important pour des initiés de la cour des rois ?

Catherine de Médicis fut la première à décider l’orientation des Champs en commandant le palais des Tuileries à l’architecte le plus en vue du royaume, Philibert Delorme. Le palais implanta l’axe dans Paris, sans lien avec le palais du Louvre, ni avec la Seine. C’est cette construction et ses premiers jardins attenants qui créèrent ce qu’on appelait alors l’avenue des Tuileries, longeant une clairière appelée Champs-Élysées. Nous voilà devant le constat étonnant que l’Arche zodiacale de l’ère mitterrandienne fait aussi écho à Catherine de Médicis, l’amatrice d’astrologie, qui avait Nostradamus à sa cour. Plus encore, l’architecte de Catherine de Médicis déclarait qu’on ne peut faire d’architecture sans s’y connaître en astronomie : voilà bien une clé d’interprétation. Mais aucun témoignage d’époque ne nous renseigne sur le choix qui a présidé à cette orientation (du moins rien d’accessible depuis Internet). Y avait-il un celticisme fervent à la cour ? On en voit la trace dès le XIIe siècle avec le succès de la matière de Bretagne, sponsorisée par les princes. Pour la période de Catherine de Médicis, mentionnons que le roi Henri II fit représenter François Ier, son père, en statue d’Hercule de la mythologie gauloise, Oghmios, lors de son intronisation, en 1547 : les Antiquités non ou pré-chrétiennes n’étaient pas ignorées des érudits, mais nulle trace de celtomanie calendaire. Peut-être l’axe était-il un chemin antique préexistant ? Sur ce point les plans peuvent répondre simplement.

Vues des Tuileries avant et après la construction du Palais, avec le Louvre en haut et l’ouest en bas.

            Un des plus anciens plans de la ville et des environs est le plan de Saint-Victor, daté de 1550, juste avant la création du Palais. Rien de visible ne justifie la future orientation. Seule la rue de Saint-Honoré ondule maladroitement vers Neuilly, vers l’ancien Port Neully d’où Henri IV et la famille royale furent renversés le 9 juin 1606 au passage du bac. La construction du pont de Neuilly y fut alors décidée : il est placé en prolongement de l’avenue des Tuileries, créée à peine quelques décennies avant avec le Palais. Cette avenue avait déjà été prolongée au-delà de la Seine, jusqu’à à Neuilly. On lit sur Wikipédia que l’orientation du Palais des Tuileries fut choisie pour viser exactement le trajet royal vers l’ancien Port Neuilly et son bac. Était-il bien nécessaire de briser toute harmonie géométrique avec le Louvre, les anciennes fortifications d’alors, sans reprendre le bord de Seine, ni la rue Saint-Honoré qui y menait déjà ? L’explication semble insuffisante.

Catherine de Médicis avait-elle une idée en tête ? Philibert Delorme relayait-il un projet particulier ? Sa biographie est étonnante : fils d’un grand entrepreneur lyonnais, il fut envoyé à vingt ans à Rome pour étudier auprès de Jean du Bellay, évêque de Paris, cardinal et ambassadeur de France. Jean du Bellay prit le jeune Lyonnais sous sa protection tout comme il le fit avec Rabelais. Pour saisir l’atmosphère dans laquelle grandit le jeune Delorme, mentionnons que ce du Bellay manqua de peu l’élection pour devenir pape vingt ans plus tard. Henri II commanda à Philibert Delorme le tombeau de son père François Ier à Saint-Denis, et le château d’Anet pour sa maîtresse Diane de Poitiers. Cinq ans après la mort du roi, le palais des Tuileries lui est commandé en 1564 par la régente Catherine de Médicis. Il ne nous reste que deux ouvrages littéraires de sa part, notamment un Premier tome de l’architecture (il mourut avant d’écrire la suite), mais il est exempt de considérations astronomiques. Tout au plus ne devait-il pas les ignorer car les études de l’époque étaient basées depuis l’Antiquité sur le quadrivium, ou arts libéraux, qui incluent l’astronomie. Pouvait-il ignorer l’importance des fêtes celtiques dans les pays au nord du Royaume ? De telles fêtes, comme Noël (solstice d’hiver), la Saint-Jean (solstice d’été), le 1er mai (Beltaine), la Toussaint (Samhain/Halloween), la Chandeleur (Imbolc), sont des fêtes basées sur le soleil et qui ont traversé le temps, même en France ; et on a vu combien, quelques décennies plus tard, l’orientation solaire avait compté dans la construction de Versailles. On peut d’ailleurs trouver en France d’autres orientations qui correspondent à un 1er août ou un 1er mai. Le choix de l’orientation des Tuileries a-t-il été motivé par une telle date ?

L’enquête butte là sur un mystère, mais nous avons vu comme les différents régimes ont privilégié les Champs-Élysées par rapport aux autres grands axes parisiens, sans qu’on puisse trouver d’explication à ce choix et à son orientation solaire. La profusion de symboles solaires montre que ce thème est ouvertement affiché, du zodiaque de l’Arche de la Défense au zodiaque originel égyptien dans les Antiquités du Louvre, en passant par l’Obélisque de Louxor. Peut-être n’était-ce dû qu’à la mode égyptienne en vogue au début du XIXe siècle ? Si l’Irlande a remis au goût du jour la fête d’Imbolc à partir de sa tradition chrétienne, de ses fêtes celtiques et de son ancienne mythologie, la France ne pourrait-elle en faire de même à partir de l’exceptionnelle perspective des Champs : le 1er février serait ainsi l’occasion d’observer le soleil se lever le long de cette avenue ; et le 1er août offrirait peut-être de son côté un spectacle pas moins intéressant.

Il se trouve, enfin, que le 1er février est vierge de toute symbolique, en France du moins ; il pourrait trouver là une riche occasion de célébrer la fonction productrice, à l’artisanat et la fertilité, guère fêtée en ce début de XXIe siècle – et donner à voir un événement digne des spectacles de Stonehenge et de Karnak sur la « plus belle avenue du monde » – qui, pour le coup, pourrait prétendre à un tel titre.

Reconstitution d’un levant au 1er février ou au 11 novembre depuis l’Arche de la Défense.
Soleil levant depuis le parvis de l’Arche de la Défense, début février 2012
(l’alignement est passé : c’est peut-être le 2 février ?). Crédit Michel Lalos.

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