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Éléments n° 187 : dans la tête des indigénistes

Éléments plus que jamais offensif, avec une grande enquête d’Alain de Benoist sur la pensée indigéniste, un débat entre trois des auteurs les plus stimulants du monde anglo-saxon : Matthew Crawford, Richard Sennett et David Goodhart, et une intervention exclusive de Jean-Marc Jancovici.

ÉLÉMENTS. Vous aviez dans un numéro hautement polémique déjà épinglé les faux dissidents du climat et autres climatosceptiques de tout poil, voilà que vous récidivez et que vous aggravez votre cas, avec l’interview de Jean-Marc Jancovici, membre du Haut Conseil pour le climat, auprès du Premier ministre, qui plus est promoteur de la taxe carbone… Encore un écolo qui veut nous confisquer les clés de notre voiture et nous interdire de manger de la viande rouge ?

PASCAL EYSSERIC : Bon… Du calme et du sang-froid… Tout d’abord, avec Jean-Marc Jancovici, nous sommes très loin des idioties bêtasses d’Europe Écologie Les Verts… Ce n’est pas le maire de Bordeaux, il ne vous piquera pas votre sapin ! C’est un ingénieur, polytechnicien, partisan d’une maîtrise des politiques industrielles et des frontières, il n’oublie jamais que le réchauffement climatique, ainsi qu’il le dit dans notre entretien, crée « des migrations importantes (et déstabilisatrices) et autres joyeusetés ». Ce qui est passionnant avec lui, c’est qu’il a retenu le meilleur de l’écologie, sans jamais tomber dans les fadaises et les gémissements plaintifs de certains écolos. Il rallie autour de lui tout une jeune génération d’ingénieurs soucieux de sortir l’Europe de la dépendance aux énergies fossiles. Engagé dans la lutte contre le réchauffement climatique, il explique dans cet entretien au long cours mené par Fabien Niezgoda pourquoi il est favorable au nucléaire, ce qui a le don de hérisser certains écolos mais annonce aussi que la société de consommation sans limites a vécu, ce qui exaspère les droitards. Plus largement, les travaux de son groupe de réflexion The Shift Project sont parmi les plus stimulants pour qui s’intéresse aux politiques publiques de transformation de l’économie.

ÉLÉMENTS. Deuxième temps fort de ce numéro, la grande enquête d’Alain de Benoist sur l’idéologie indigéniste. Pourquoi s’y intéresser aujourd’hui ?

PASCAL EYSSERIC : Ce courant identitaire racialiste – appelons-le « indigéniste » (ou « décolonial ») – est un fait de première importance dans le paysage politique contemporain que nous documentons depuis longtemps. Comme à notre habitude, plusieurs de nos collaborateurs ont travaillé en parallèle sur le sujet, des universitaires comme Éric Maulin (« Et si on lisait les penseurs décoloniaux ? » (Éléments n° 185), des journalistes comme Pierre Bérard (« Le retour inattendu de la race ! ») ou Marie Chancel (« Le capitalisme au secours de Black Lives matter »). Il y a deux ans déjà, en 2018, nous avions publié une première grande étude très fouillée d’Alain de Benoist (« Comment la gauche devient racialiste »).

         Pour autant, cette racialisation de la gauche française n’est pas nouvelle. Avec l’art de la formule qu’on lui connaît, François Bousquet a coutume de dire qu’en trente ans, la gauche est passée du déni du réel (« Les races n’existent pas ») au délire du réel (« Les races sont partout ») !

         La mort de George Floyd aux États-Unis et les gesticulations du Comité Adama en France ont placé sous le feu des projecteurs médiatiques les thèses indigénistes, qui étaient jusque-là confinées, dans les départements des sciences sociales des grandes Universités. Ces thèses ne sont guère connues du grand public, sinon de manière anecdotique, au travers des polémiques extravagantes, des dénonciations hystériques et des revendications délirantes qui accompagnent ses manifestations et ses prises de position. Menée avec tout le sérieux et toute la précision d’Alain de Benoist, Éléments publie la première grande enquête de critique intellectuelle de l’idéologie indigéniste, en décrivant ses origines, sa généalogie et sa situation présente.

ÉLÉMENTS. Venons-en à la couverture d’Éléments avec Matthew Crawford, David Goodhart et Richard Sennett, trois auteurs anglo-saxons. C’est devenu une habitude depuis quelques années. Pourquoi ce tropisme ?

PASCAL EYSSERIC : Tout a commencé avec le regretté Roger Scruton, merveilleux philosophe britannique conservateur, décédé il y a quelques mois, que nous avait fait découvrir Thomas Hennetier. Le « virage » opéré par notre revue vers le monde anglo-saxon, nous le devons en grande partie à sa curiosité et son enthousiasme, sans oublier Guillaume Travers ainsi qu’Ethan Rundell, notre correspondant à New York. Pour nous, ils défrichent des chemins inconnus. Nous y avons fait des rencontres marquantes comme Angus Deaton, le Prix Nobel d’économie qui a travaillé sur la vague de « morts de désespoir » au sein de la classe blanche ouvrière aux États-Unis, mais aussi et surtout le philosophe américain Matthew Crawford, l’auteur de L’éloge du carburateur, qui nous a tous, je crois, durablement marqués… peut-être aussi parce qu’il s’est impliqué, en devenant un fervent défenseur de notre revue outre-Atlantique. C’est d’ailleurs grâce à lui et à sa force de persuasion auprès du sociologue Richard Sennett et du journaliste David Goodhart que nous avons pu réunir ce plateau exceptionnel pour évoquer un thème qui lui tenait à cœur : la grande faillite de la transmission et le sens du travail dans les sociétés modernes. Cet entretien avec trois des penseurs les plus importants du monde anglo-saxon met le doigt sur un phénomène qui touche l’ensemble du monde « occidental » : la faillite de l’éducation, la sur-diplomisation et l’impasse de l’économie managériale. Pour Goodhart et Crawford, le système universitaire occidental est devenu aujourd’hui nocif et « contre-productif ».

ÉLÉMENTS. Impossible de ne pas évoquer également l’enquête que vous publiez sur la vague de suicides qui touche actuellement les économistes…

PASCAL EYSSERIC : L’article de Guillaume Travers puise aux meilleures sources et s’appuie sur plusieurs études, notamment celle de l’Université d’Harvard sur la santé mentale des doctorants en économie, comparable aux populations carcérales (!), mais aussi et surtout sur l’impressionnante liste d’économistes qui ont mis fin à leurs jours depuis deux ans : Emmanuel Farhi, Alain Krueger, Martin Weitzman, William H. Sandholm, etc. Travers décrit une discipline à vau-l’eau, des économistes collectivement traumatisés par leur incapacité à prévoir la crise financière de 2008, qui rétrospectivement paraissait inévitable. À lire, si vous avez un ami économiste…

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