« Éducation minimum », ce n’est pas seulement une des répliques du cultissime Dikkenek (2006), le film belge le plus drôle depuis C’est arrivé près de chez vous (1992), monument du seul surréalisme génétiquement déjanté – le bruxellois –, où François Damiens, alias Claudy Folcan, impayable beauf brabançon, photographe de charme à ses heures perdues, cloue le bec à deux grosses vaches qui s’empiffrent de chips la bouche ouverte, en leur claquant un tonitruant « Compris ! Éducation minimum ! »
Eh bien désormais, Éducation minimum, c’est aussi un livre paru aux éditions Magnus signé Arnaud Florac (les textes) et Romée de Saint Céran (les dessins). Il y avait le « minimum vieillesse », il faudra maintenant compter avec le « minimum jeunesse ». Le premier est une pension qui s’adresse aux personnes à faibles ressources financières (les plus de 65 ans), le second aux personnes à faibles ressources culturelles (les moins de 25 ans). Depuis que l’épreuve de culture générale a été supprimée pour entrer à Sciences Po, on sent comme une petite faiblesse dans le riche legs de souvenirs cher à ce grand-père de la nation que fut Ernest Renan. Même le niveau des jeux télévisés a baissé. Les questions portent sur le vainqueur de The Voice ou la publicité pour une marque d’assurance, pas sur la bataille d’Hernani ou la guerre de Cent Ans.
Le style, c’est l’homme
Éducation minimum a été écrit pour repêcher les malheureux qui ont pris quinze ans d’Éducation nationale, du CP à la terminale, vétérans de l’ignorance et longues peines du lavage de cerveau. Alors, comment fabriquer l’honnête homme du XXIe siècle ? En assurant un service minimum civilisationnel, nous disent Florac et Saint Céran, qui ont opté pour la formule cour du soir dispensé dans la seule école de liberté qui vaille : l’école buissonnière. Une session de rattrapage en 250 pages illustrées de dessins. Public : les générations Y et Z. L’antidote à la fabrique du crétin, comme l’a joliment appelée Jean-Paul Brighelli. Un mélange de culture savante, sans jargon, et de culture populaire, sans démagogie. Un livre écrit expressément pour les jeunes gens, mais qui agira sur les vieux messieurs à la façon d’un produit détox. Ils s’y promèneront comme dans un catalogue du style français : léger (voir l’entrée « Plutôt mort que gros ») et punk (voir « Le savoir-vivre est punk »).
Au fil des pages, on retrouve la verve nerveuse et mordante d’Arnaud Florac, chroniqueur à Boulevard Voltaire, et le coup de crayon de Romée de Saint Céran, que les lecteurs de L’Incorrect, de La Furia et de Conflits, connaissent bien. Le chantre du sartorialisme (voir ses impeccables croquis sartoriaux sur Instagram). Le sartorialisme ? L’art de s’habiller comme George Brummel, l’élégance, la classe, la surmode – qui n’est pas la mode (ce qui se démode, selon Jean Cocteau, qui aurait eu toute sa place dans ce tableau). Étonnant de voir combien on peut posséder un style pictural en propre, reconnaissable entre tous, alors qu’on dessine via Photoshop, ce qui est le cas de Saint Céran. Le trait est net, sans bavure, dans un mélange de classicisme et de modernisme qui enlumine ce dictionnaire amoureux de la France.
Le patrimoine national
Jacques Laurent – dont il est question ici – avait écrit une petite histoire du Nu vêtu et dévêtu. C’est un peu comme cela que se présente au lecteur Éducation minimum, dans une sorte de déshabillé aussi artistique qu’alphabétique. Plus d’une cinquantaine d’entrées qui dessinent les contours de ce qu’il faut bien appeler un anarchiste de droite, à la croisée du populo et de l’aristo. Il suffit de prendre un peu de recul, comme devant un tableau, et ce qu’on voit, c’est un visage, celui d’une France dentelée et colorée. Au beau milieu de cet inventaire du patrimoine national : le pays central, celui qui est à la périphérie de la France périphérique, entre les chemins noirs de Sylvain Tesson, les routes de Compostelle et les anciennes voies romaines. Le monde d’à côté, d’hier et de toujours. Actuel et inactuel. Un monde où Dominique Venner côtoie la messe en latin ; Léon Bloy se glisse dans les habits d’Arsène Lupin ; Michel Audiard fait la courte-échelle à Roger Nimier et aux Hussards ; Brigitte Bardot donne la réplique à Fanny Ardant ; le génocide vendéen prélude le souterrain dostoïevskien ; Julius Evola apprend la « métaphysique du sexe » à Marie-Antoinette ; Jean Raspail y devise avec Vladimir Volkoff dans les studios de Radio Courtoisie.
Les choix littéraires de Florac sont irréprochables. Bloy, Bernanos, Raspail, Venner, Volkoff, Dumas père – à eux tous, c’est une salle de musculation. Ils nous apprennent à soigner notre jeu de jambes et à parfaire notre art de la répartie. Paraphrasant Marc Bloch, Florac écrit qu’il y a deux sortes d’homme qui ne comprendront jamais la culture populaire : « ceux qui trouvent Johnny vulgaire ; et ceux qui trouvent Jean-Pax [Méfret] facho ».
Et les animaux de compagnie ? Si le chien est plutôt de gauche (obéissant) et le chat de droite (impertinent), qu’en est-il des propriétaires ? Celui du chien ne serait-il pas de droite et celui du chat de gauche ? À voir.
Souriez, vous êtes photographié
Même si Éducation minimum remonte jusqu’à 1314, la fin du Moyen Âge selon les auteurs, Moyen Âge qu’ils célèbrent par ailleurs – 1314 étant le « début du bordel » (la mort sur le bucher de Jacques de Molay, mise en branle du centralisme et levée de la taille sur l’ensemble du territoire…) –, c’est d’abord un arrêt sur images de la France des Trente Glorieuses, le véritable âge d’or pour Florac et Saint Céran, avec son acmé : les années 1960 (voir « En cabriolet sur la corniche »). En ce temps-là, tout le monde souriait sur la photo – en polaroid. Aujourd’hui, tout le monde tire la gueule.
Florac/Saint Céran, Éducation minimum, Magnus, 256 p., 21 €.