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Du MSI à la guerre au Mozambique : tombeau pour Almerigo

Du MSI à la guerre au Mozambique : tombeau pour Almerigo

Daoud Boughezala, collaborateur de la revue « Éléments », revient sur l'incroyable destin d'Almerigo Grilz, ancien cadre du mouvement de jeunesse du MSI devenu grand reporter de guerre. Anticommuniste viscéral et éternel rebelle, il parcourra toutes les zones de conflits du globe, de la Birmanie à l'Afghanistan en passant par les Philippines, avant d'être fauché par une balle au Mozambique, à l'âge de 34 ans.

Sous le titre La marcia dei ribelli Diari 1986-1987. Storie di popoli dimenticati (Spazio Inattuale, 2023), les carnets de guerre du reporter triestin Almerigo Grilz (1953-1987) sortent enfin en Italie. Mort au Mozambique, ce cadre du mouvement de jeunesse du MSI fut le premier correspondant de guerre transalpin à périr sur le front depuis 1945. Portrait.

Le 19 mai 1987, une balle perdue fauchait Almerigo Grilz au Mozambique. Ce fut le premier reporter de guerre italien à mourir sur le front depuis la fin de la Seconde guerre mondiale.

Depuis, à Trieste, près des ramblas du Viale XX settembre, plane la silhouette longiligne d’un éternel trentenaire. Devant le 4 Via Paduina, une rose orne la grille de l’ancien siège du Fronte della gioventù triestin que Grilz dirigeait au tournant des années 70 et 80. Affublé de Ray-Ban Aviator, souriant, la barbe taillée de près, « Ruga » avait l’allure altière des grands orientaux. De souche italienne, il descendait d’une famille d’exiléschassés d’Istrie par Tito. En réaction, il développa un anticommunisme atavique qui le fit graviter dans l’orbite de la droite radicale.

Longtemps écarté des annales pour délit idéologique, Grilz donne désormais son nom au prix du meilleur jeune reporter de guerre. Jusqu’ici inédits, ses carnets de guerre viennent d’être publiés dans la péninsule sous le titre La marcia dei ribelli. Diari 1986-1987. Storie di popoli dimenticati (Spazio Inattuale, 2023).

Rebelle sur tous les fronts

Favorable au divorce et à l’avortement, Ruga raillait « le Papyrus » du Vatican. Loin de la vieille garde conservatrice du MSI, il était de la génération des Camps Hobbit, ces Woodstock de la droite italienne durant lesquels cheveux longs, joints et concerts rock voisinaient avec la croix celtique.  Occidentaliste et anglophile, Grilz rencontre une italo-américaine de neuf ans sa cadette en avril 1977. Laura Castellani sera l’amour de sa vie. Lors d’une marche contre les concessions de l’Italie à la Yougoslavie, Ruga se présente à cette blonde de 14 ans et tracte tous les jours devant son collège. « De moi à moi, j’ai pensé “Qu’est-ce qu’il me veut, le vieux ? “ », confesse-t-elle à Éléments. Puis le coup de foudre éclate comme une grenade dégoupillée. Voilà une ravissante recrue – et pas simplement pour le Fronte ! Dix ans durant, dans le cœur d’Almerigo, Laura n’a qu’une rivale : la guerre. Elle hante d’ailleurs La marcia par son absence.

Des estrades aux Karen

Président du conseil national du Fronte, conseiller municipal de Trieste, Grilz choisit l’aventure au début des années 80. Las des ronds-de-cuir, il s’adonne au journalisme militant dans la presse de droite (Candido, Il Secolo d’Italia, Dissenso) avant d’élargir son public (NBC, Antenne 2, L’Express, International Herald Tribune). Avec deux camarades du Fronte, Gian Micalessin et Fausto Biloslavo, il crée en 1982 l’Agence Albatross. Ils sillonnent l’Afghanistan, la Birmanie, le Laos, le Cambodge… « En 1984, nous fûmes les premiers en Italie et parmi les seuls au monde à couvrir la guerre des rebelles Karen en Birmanie », glisse Micalessin à Éléments.

D’autres oubliés – Philippins, Mozambicains, Afghans et Ethiopiens – peuplent La marcia dei ribelli. Au fil de ce making of du reportage de guerre, Almerigo Grilz traverse les banlieues du monde déchirées par l’affrontement Est/Ouest. Le recueil démarre début 1986. Almerigo Grilz s’embarque alors aux côtés des guerilleros maoïstes philippins. Tenaillés entre le dictateur Marcos et la future présidente Cory Aquino, ils se disent chrétiens pour s’attirer les bonnes grâces de l’arrière. Pour un ennemi des rouges, cotoyer une guérilla marxiste tient de la joyeuse transgression. Les petits-déjeuners à base de chien cuit ne gâchent pas la fête. Et Gian Micalessin de se souvenir : « Déjà plusieurs années auparavant, à Milan, Almerigo avait participé à des manifestations de Lotta Continua. Il voulait comprendre comment la gauche organisait les cortèges pour s’en inspirer ».

300 spartiates mozambicains

Dans ce théâtre d’ombres qu’est la guérilla, le Mozambique fournit un décor de choix.  Douze ans plus tôt, l’ex-colonie portugaise intriguait déjà Dominique de Roux : « la philosophie de la conquête du pouvoir (…) qu’en faire au milieu du tumulte d’insectes, de leur trépan, crapauds-buffles, la forêt fous rires ? » (Le Cinquième Empire) En 1986, Grilz relaie les offensives des combattants de la Renamo contre les positions du gouvernement marxiste de la Frenamo. Au milieu de soldats aussi dépenaillés que leurs églises, la troupe s’achemine vers Morrumbala, mortiers et roquettes sur la tête, traverse le Zambèze sur des esquifs en troncs d’arbre et s’éclaire au briquet. L’armée mexicaine du Renamo ébahit Almerigo Grilz. Ses officiers de 19 ans, son camp d’instruction pour orphelins de guerre, les trois cents spartiates du général Bob qui défient mille pioupious de la Frenamo… comment croire à ce fado africain ? Son acolyte Michael s’en tire avec cent trente suçons de moustiques sur les jambes. Le réel, ça pique !

Apocalypse Now à dos d’âne !

Chez les « chouans d’Allah » (Jean-Gilles Malliarakis), Grilz arpente le cimetière des impérialismes. En un siècle, les Afghans auront bouté Anglais, Soviétiques et Américains. Dans les années 80, les Occidentaux jouissent d’une grande popularité chez les seigneurs de la guerre révoltés contre le gouvernement pro-communiste. En quête de scoop, Grilz part avec son preneur d’images Peter sur les traces des missiles américains Stinger. Personne n’a encore aperçu ces engins livrés au Hizb-islami (Parti islamique) du redoutable Hekmatyar, qui saignera Kaboul puis s’alliera aux talibans quelques années plus tard.

Enfoui dans une faille de l’histoire, le pays tribal guerroie comme au temps de Tamerlan, les missiles sol-air en prime. De la frontière pakistanaise à la route de Jalalabad, Grilz saisit l’archéofuturisme afghan avec force détails – des roquettes charriées par des chevaux et des mulets au remplissage des bidons d’eau douce dans les rivières. C’est Apocalypse Now à dos d’âne ! Par ses descriptions au jour le jour, Almerigo croque les paradoxes de ces moujahidine superstitieux qui saluent chaque tir de mortier d’un “Allah Akbar !” mais fument le haschisch avec la grâce des Assassins.

Trieste-Kaboul, même combat

L’associé de Grilz Gian Micalessin perçoit une étonnante fraternité d’armes entre Afghans et Triestins. A dix kilomètres du rideau de fer, ces Italiens blanchis sous le harnais austro-hongrois côtoyaient la menace d’une invasion yougoslave. « Raconter la résistance armée d’un petit peuple prêt à tout pour s’opposer à l’Armée rouge reflétait nos choix politiques. Surtout à l’époque où la gauche italienne véhiculait le slogan “Plutôt rouges que morts“ contre le déploiement des missiles américains en Europe », estime-t-il. En cas d’attaque yougoslave, l’OTAN n’aurait jamais défendu Trieste, argue Micalessin. L’alliance atlantique avait fixé sa frontière stratégique deux cents kilomètres plus à l’ouest, aux environs de Vicence. L’incursion des chars de Tito aurait donc dégénéré en guerre civile entre Triestins pro-yougos et pro-Gladio. Un conflit afghan au vent de l’Adriatique.

Faute de guerre à domicile, Almerigo cherchait l’adrénaline aux antipodes. Lors de leurs derniers instants ensemble, Ruga « m’avait acheté une bague de fiançailles et m’avait demandée en mariage. Pour toute réponse, je la lui avais jetée à la figure en lui disant qu’il me voulait veuve. Je ne me pardonnerai jamais de l’avoir laissé mourir tout seul », regrette Laura. On rate toujours ses adieux lorsqu’on ignore devoir les faire. Au fond de sa tombe mozambicaine, Almerigo Grilz repose avec la photo de Laura. Et l’ardeur de ses 34 ans.


Entre deux guerres

Quand le journalisme de guerre a-t-il débuté ? Dans un beau livre collectif[1], Emmanuel Mattiato fait remonter ses premières formes imprimées aux batailles de Lépante (1471) et de Vienne (1483). Passionnant les foules, le récit épique tenait plus de la chanson de geste que de l’analyse journalistique. Au XIXe siècle, le lectorat des illustrés étanche sa soif de romanesque mais exige aussi de comprendre les enjeux géostratégiques du conflit. Tout reportage digne de ce nom parle au cœur et à la raison.

Avec la modernité, comme l’observe Carl Schmitt, l’équilibre européen institué lors du traité de Westphalie (1648) vacille. Dans les guerres modernes, le combat se mène au nom de la morale et de l’idéologie, justifiant l’éradication totale de l’ennemi, civils et militaires confondus. D’où la nécessité de mobiliser l’opinion publique. Dans l’entre-deux-guerres, après la saignée de 1914, tous les totalitarismes ont d’ailleurs leur porte-voix – Capa en Espagne, Malaparte et Montanelli en Ethiopie…   Recensant 150 envoyés spéciaux en Ethiopie, l’historien Olivier Dard distingue deux attitudes. Si Pierre Héricourt de l’Action française fait œuvre de pure propagande franquiste, certaines plumes nationalistes bousculent leurs préjugés. Ainsi du maurrassien Jérôme Tharaud, reporter de Paris-Soir, qui évoque l’usage de l’ypérite en Ethiopie par l’armée italienne et rapporte les exactions des deux camps en Espagne. Grilz en reprendra le flambeau. D.B.

1 Correspondants de guerre 1918-1939. Maroc-Ethiopie-Espagne, E. Mattiato, M. Peloille et O. Dard (dir.), Presses Universitaires Savoie Mont Blanc, 2021.

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