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Trump rencontre le Premier ministre Netanyahu

Droite américaine et Israël : vers le divorce ?

Le couple formé par la droite chrétienne américaine et Israël avait tout d’un mariage prospère. Mais le vernis se craquelle peu à peu, tant et si bien que la droite évangélique rompt doucement avec son allié historique. Un divorce qui pourrait rebattre les cartes du trumpisme.

L’alliance historique entre Israël et la droite chrétienne américaine semble battre de l’aile. Loin d’une idylle indéfectible comme semblerait le suggérer l’entourage de Donald Trump et son soutien à Israël, de nombreux signaux faibles signalent un éloignement progressif de la droite américaine du soutien de principe à Israël. Assiste-t-on aux prémices d’un divorce ?

L’alliance du Parti républicain et de la droite évangélique

Ce soutien est pourtant ancien. La droite chrétienne évangélique entra dans l’arène politique durant les années 70 en réaction aux évolutions sociétales qui ont vu entrer dans la loi le droit fédéral à l’avortement (arrêt Roe v. Wade de la Cour suprême en 1973) et l’égalité hommes-femmes (ERA, Equal Rights Amendment) en 1972. Ces militants de terrain ardents et bien organisés se sont structurés à partir de 1979, notamment sous l’égide de la « Moral Majority » avec le pasteur Jerry Falwell et ont été intégrés à la campagne présidentielle de Ronald Reagan en 1980. Ils étaient les parfaits alliés pour le Parti républicain, apportant avec eux un large segment électoral blanc et conservateur qui pesait à l’époque près d’un tiers des voix. Mais c’était aussi de fervents sionistes. Plus royalistes que le roi. Contrairement à l’image que l’on pourrait en avoir du fait du soutien indéfectible des États-Unis à Israël et de la puissance du lobby pro-Israël AIPAC, les Juifs américains sont largement des Juifs libéraux, progressistes, aussi bien pour les États-Unis que pour Israël. Ils votent environ à 80 % démocrate ; et plus le candidat républicain est pro-Israël, moins ils votent pour lui. Ils sont par ailleurs très critiques à l’égard de la politique de Netanyahou.

La mise à l’écart progressive des néoconservateurs

Aujourd’hui, la droite américaine est traversée par une lame de fond de mise à distance d’Israël. La première étape, qui avait permis cette mise à distance, mais ne l’avait pas provoquée pour autant, a été la chute des néoconservateurs. Ces intellectuels, souvent juifs, sont devenus incontournables dans la fabrique de la politique étrangère américaine côté républicain à partir de la première administration Reagan dont ils ont rallié les cercles stratégiques, notamment le NSC, National Security Council. Si leur combat en politique étrangère était avant tout la lutte contre l’URSS, avec la chute du bloc soviétique en 1991 la nouvelle génération de néoconservateurs change de sujet. Profitant du moment unipolaire voyant la superpuissance américaine devenir un hegemon incontesté durant la décennie des années 90, leur nouveau combat est devenu la promotion de la démocratie au Moyen-Orient et la protection d’Israël. Le désastre des guerres au Moyen-Orient de l’ère Bush fils, puis la défaite à la présidentielle de 2012 de Mitt Romney, enfin l’essor de Donald J. Trump a abouti à leur mise à l’écart définitive. Mis à la marge du Parti républicain, les derniers se sont rassemblés sous la bannière du journal anti-Trump The Bulwark de Bill Kristol, médiocre fils d’Irving Kristol, parrain du néoconservatisme, ou encore des Republicans against Trump, prenant la posture de vaillants résistants à un remake des années 30.

Le schisme dans la droite chrétienne : retour sur le drame en ligne de fin octobre

Mais la droite américaine était restée largement pro-Israël. Si Trump fut élu en 2016, puis en 2024, sur une ligne anti-interventionniste rompant avec les déboires des années Bush (on parle notamment de « puissance sans principe » pour qualifier la géopolitique du trumpisme) et sur une critique de la mondialisation, Israël faisait office d’exception : ambassade à Jérusalem, soutien total à Netanyahou, accords d’Abraham, larges responsabilités à son beau-fils Jared Kushner pro-Israël.

Un séisme discret a eu lieu cette semaine. Tout d’abord, le vice-président J. D. Vance s’est rendu le 23 octobre à Jérusalem pour un voyage diplomatique et est allé prier au Saint-Sépulcre avec des religieux. Chose incroyable : il ne s’est toutefois pas rendu au Mur des Lamentations, check-point traditionnel de tout politique occidental respectable, faisant jaser sur le sens de cette omission. Quelques jours plus tard, c’est le drame. Tucker Carlson, qui a pris ses distance le soutien à Israël, invita sur son plateau pour débattre Nick Fuentes, influenceur d’extrême droite assumant son antisémitisme obsessionnel.

Contre toute attente, Kevin D. Roberts, patron de la très influente Heritage Foundation (think tank conservateur issu de l’ère Reagan et proche du pouvoir trumpien) et père du Projet 2025 appliqué par Donald Trump depuis son retour au pouvoir, a défendu sans réserve Tucker Carlson, proche de la Heritage et ex-star de Fox News, dans une vidéo mise en ligne sur X le 30 octobre. Il y a affirmé le droit de critiquer Israël sans être antisémite pour autant, affirmant qu’en tant que chrétien sa loyauté va au Christ et aux États-Unis et à rien d’autre, et refusant de céder aux pressions de la « globalist class ».

Les réactions tantôt de soutien tantôt de dégoût ne se sont pas fait attendre. John Mordecai Podhoretz, intellectuel néoconservateur et fils du ponte du néoconservatisme Norman Podhoretz et de sa femme Midge Decter, a affirmé sur X que cette vidéo souillait sa mère (ancienne membre du bureau de la Heritage pendant plusieurs décennies), traitant au passage Kevin D. Roberts d’amibe répugnant. C’était un soutien sans faille de George W. Bush et de la guerre en Irak, du début à la fin, favorable à une politique d’immigration ouverte.

Le sénateur du Texas Ted Cruz a attaqué de manière virulente Kevin D. Roberts sur la scène des quarante ans de la Republican Jewish Coalition, voix « officielle » du Parti républicain dans la communauté juive, le rendant complice d’Hitler. Le rabbin Jonathan Greenberg, ancien de l’AIPAC, a appelé sur X les Juifs à s’armer, car personne ne viendrait à leur rescousse, en postant la vidéo de Kevin D. Roberts. Ce ne sont qu’une poignée des nombreuses réactions. Randy Barnett, membre du Cato Institute (le think tank des libertariens) et prof de droit, a déclaré que le mouvement conservateur se distançait de Kevin D. Roberts, et Mike Pompeo, ancien secrétaire d’État de Trump (l’équivalent de notre ministre des Affaires étrangères), a déclaré que les intérêts fondamentaux de l’Amérique étaient liés de façon innée à Israël et le sénateur Mitch McConnell, un Républicain plutôt modéré, l’a aussi attaqué.

De nombreux comptes en ligne ont fait appel à l’image de Pat Buchanan, la fameuse figure de proue des « paléoconservateurs », célèbre pour son discours de 1992 sur les « guerres culturelles », partisan d’un État régulateur de la mondialisation et d’une restreinte dans la politique étrangère, critique virulent des néoconservateurs taxé d’antisémitisme pour son scepticisme sur la guerre en Irak. C’est le cas de Kevin DeAnna, figure de l’alt-right, sous son pseudonyme James Kirkpatrick, répondant par une photo de Pat Buchanan à une attaque sur X de Mark R. Levin, célèbre commentateur politique ancien de l’administration Reagan, qui appelait à « cancel » (annuler) les racistes et les antisémites comme le faisait William F. Buckley, un des pères du conservatisme moderne étatsunien.

Un changement de société plus profond

Cette scène de drame, révélant un changement profond dans l’état d’esprit de la droite américaine, était prévisible. Il y avait la distance progressive prise par Charlie Kirk avec Israël peu avant son assassinat, ce qui avait valu à Netanyahou de publier deux vidéos pour assurer qu’il n’avait pas commandité son assassinat, signe d’une certaine fébrilité liée à la perte de soutiens outre-Atlantique. Ce qui semblait n’être cantonné qu’à l’élue républicaine radicale Marjorie Taylor Greene serait une vague plus profonde de ras-le-bol dans la droite américaine, à comprendre en observant en parallèle les chiffres en berne du soutien de l’opinion publique américaine à Israël. Il y a deux ans, 47 % des Américains soutenaient Israël. Aujourd’hui, ils ne sont plus que 34 %, tandis que 35 % soutiennent les Palestiniens. Une évolution à la fois conjoncturelle mais aussi plus profonde : les jeunes Américains, notamment issus de l’immigration récente non-européenne, plus anti-impérialistes, sont nettement moins pro-Israël.

© Photo : Brian Jason / Shutterstock – Le président Trump rencontre le 7 avril 2025 le Premier ministre Netanyahou à la Maison Blanche pour discuter des nouveaux droits de douane américains. 

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