Christian Harbulot œuvre depuis longtemps à la popularisation du concept de « guerre économique » au sein des élites françaises. L’ouvrage collectif qu’il vient de codiriger donne un panorama brillant, et très richement illustré, des travaux qu’il a conduits ou inspirés ces dernières années. L’ouvrage pose une question fondamentale : si la désignation de l’ennemi est le critère du politique, celle-ci est devenue de plus en plus difficile ; Qui est l’ennemi ? Difficile de répondre, tant l’ennemi se masque désormais partout – notamment dans les champs économiques et culturels. Ou, pour le dire autrement : l’ennemi n’est plus seulement politique ; les guerres sont des « guerres hybrides », contre lesquelles nous sommes mal préparés. L’ouvrage résume clairement certains des plus grands enjeux auxquels la France, ou l’Europe, sont confrontés. Citons seulement quelques-uns des chapitres les plus intéressants.
Un premier domaine de guerre est celui de l’opinion : on renverse de moins en moins un régime hostile en fomentant un coup militaire, mais davantage en subvertissant et en remodelant son opinion publique. Y songeons-nous lorsque nous lisons la presse ou allumons notre ordinateur ? Ce que nous lisons est peut-être le produit d’une stratégie d’influence étrangère. « La “morale” de la société civile se substitue à la confrontation idéologique », écrit Harbulot. Très liée à la guerre des opinions est la guerre des données, dominée très largement par Google et Meta (la maison-mère de Facebook) : à elles seules, les deux entreprises engrangent 47 % de toutes les dépenses publicitaires dans le monde. Ce qui leur confère tant de valeur aux yeux des annonceurs est l’information qu’elles collectent sur chacun d’entre nous à chaque clic, et qui font de leurs bases de données une cartographie très précise de nos goûts, de nos préférences, de nos intérêts, de nos personnalités. On comprend que ces données soient d’un intérêt majeur pour les États, en l’occurrence les États-Unis.
Agro-alimentaire, énergie…
Un autre domaine d’affrontement hybride trop méconnu est celui de l’alimentation. La France, par exemple, jouit traditionnellement, via son système agricole, d’une grande autonomie en matière alimentaire. De plus en plus, l’agriculture française est attaquée par la food tech californienne : nourriture produite en laboratoires, substituts végétaux à la viande et au lait, etc. Dans un contexte de vieillissement de la population agricole, il s’agit là d’un risque majeur : si la France était, par facilité, tentée d’abandonner son agriculture pour s’en remettre à des multinationales de l’agro-alimentaire, elle perdrait considérablement en indépendance stratégique (sans même parler des implications culturelles ou sanitaires). En la manière comme dans d’autres domaines, certaines ONG jouent un rôle majeur de combattants idéologiques : souvent subventionnées par de grands intérêts étrangers, elles instillent le doute sur des pans immenses de l’économie française, et contribuent à accélérer leur abandon. La même chose vaut en matière d’énergie, où les associations anti-nucléaires sont financées par les fabricants d’éoliennes allemands.
On ne saurait rendre justice en quelques lignes à un ouvrage aussi riche. Parmi les autres éléments d’intérêt, notons encore une passionnante « chronologie des manœuvres américaines d’affaiblissement de l’économie française ».
Guerre économique. Qui est l’ennemi ? Christian Harbulot, Lucie Laurent et Nicolas Moinet, Nouveau monde, 2022, 228 p, 25,90 €
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