De quoi sera fait demain ? C’est la question que s’est posée récemment la CIA, publiant un rapport dont les perspectives ne sont guère enthousiasmantes. Le Point s’en fait l’écho dans son édition du 6 mai : « Le “monde d’après” tant attendu se caractérise par des individus hyperconnectés mais des communautés fracturées, des identités à fleur de peau, des pressions migratoires inédites, un vieillissement accéléré, un endettement inouï, un système international fragmenté, des acteurs privés et étatiques puissants, un enrichissement généralisé mais inégal et, surtout, une mondialisation qui va se poursuivre de manière chaotique et qui va être de plus en plus marquée par la rivalité entre l’Amérique et la Chine. » Ces prévisions ne sont au fond que la traduction « sombre » de celles contenues dans les propositions prométhéennes de Klaus Schwaab et de sa théorie du Great Reset, que notre confrère Alexis Martinot avait exposé il y a quelques mois dans le n°188 d’Éléments. Dans un cas comme dans l’autre, dans sa version irénique comme dans sa version alarmiste, cette prophétie présuppose un développement continu et indéfini de l’infrastructure technologique sur laquelle repose notre civilisation – condition sur laquelle on pourrait, il me semble, faire preuve d’un peu plus de scepticisme.
Et après tout, me référer à la théorie du Great Reset ne ferait-il pas de moi un complotiste ? On peut le craindre, si on en croit le sociologue Gérald Bronner qui, interviewé dans L’Express du 15 avril, affirme que « la variable prédisant le mieux le fait d’être complotiste [est] l’identification au mouvement des Gilets jaunes, plus encore que le chômage ou d’autres facteurs ». A ce critère il faudrait ajouter le fait d’être encarté au Rassemblement national ou à la France insoumise, deux affiliations partisanes qui prédisposent, en plus, à croire aux vertus de l’hydroxy-chloroquine et aux thèses du Pr Raoult… Bronner parle à ce propos d’une « cartographie [électorale] aux relents de complotisme d’une vision paranoïaque du monde ». Comme quoi la sociologie bourgeoise a encore de beaux jours devant elle !
Dans L’Obs du 6 mai, ce sont les féministes qui se livrent au même petit jeu visionnaire, toujours en partant du principe que ni le capitalisme ni le développement technique ne connaîtront de coup d’arrêt. « A entendre France Ortelli, auteure de Nos cœurs sauvages (Ed. Arkhê), la ménopause ne sera plus une question en 2049 : “Elle n’existera plus. Puisqu’on pourra cloner des ovocytes, la femme ne sera plus reléguée comme le pilier de procréation du couple.” Elle table aussi sur des mariages “plutôt autour de 43 ans”, contre 38 ans de nos jours, des relations amoureuses aux allures de CDD et une explosion du nombre de célibataires : “Ils seront deux fois plus nombreux.” Finies les noces d’or, bienvenue dans un monde où le célibat est l’aboutissement d’une vie ponctuée d’histoires brèves tenant sur un seul fondement : l’amour. D’ici trente ans, la femme pourrait même disposer enfin d’une “chambre à soi”, comme l’écrivait Virginia Woolf en 1929. Et pourquoi pas le retour des lits séparés ? Des idées novatrices qui, laissant présager une généralisation du monofoyer, supposent un autre grand changement : une indépendance économique réelle. » Il y a de fortes probabilités que tout cela arrive – pour autant, bien sûr, qu’on fasse disparaître de l’équation quelques détails tels que la crise énergétique, la crise migratoire, l’épuisement des ressources fossiles, l’islamisation et la récession post-Covid.
Le Covid justement, parlons-en (histoire de faire comme tout le monde). La parole contestataire ayant un peu trop tendance à se libérer selon certains, Télérama a entrepris dans son numéro du 15 mai d’y mettre bon ordre en donnant la parole au philosophe Jean-Pierre Dupuy, qui engage une charge furieuse contre les nombreux intellectuels français qui, selon lui, ont manqué à leur devoir en critiquant la gestion sanitaire du gouvernement au lieu d’en faire la promotion auprès de l’opinion publique. Brodant sur la devise républicaine, il leur reproche d’avoir exalté outre mesure l’idéal de liberté aux dépens de celui de fraternité, lequel aurait nécessité au contraire de faire corps derrière les autorités au nom du bien commun. « Inciter à la défiance envers les gouvernements et les mesures “liberticides” me paraît grandement irresponsable » explique-t-il. Gérald Bronner, cité plus haut, ne dit pas autre chose : « Pour un homme politique, le simple fait d’exprimer en pleine pandémie des doutes sur un vaccin, comme l’ont formulé Le Pen et Mélenchon, n’est pas anodin. » Rentrez dans le rang !
S’il y a un mot qui revient souvent dans cette crise sanitaire, c’est celui de résilience. C’est peut-être le terme le plus approprié pour décrire l’initiative prise par certains citadins, de plus en plus nombreux, qui ont décidé de quitter la ville et de partir s’établir à la campagne à la faveur des périodes de confinement, histoire de reconquérir un peu d’autonomie et d’échapper au règne de la surveillance. A en croire un article de Megan Agnew paru dans le Times du 18 avril, en Angleterre l’année 2020 aurait vu une hausse de 126% des demandes de citadins désirant trouver un logement dans un village. Côté français, L’Humanité Dimanche consacre un dossier à cet exode dans son numéro du 6 mai, rappelant que lors du premier confinement, la population de Paris avait chuté provisoirement de 20%, 450.000 personnes ayant pris la clé des champs. L’hebdomadaire communiste y voit, à raison, une fracture de classe, cette population étant souvent privilégiée, spécialement pour ce qui est des propriétaires de résidences secondaires. « Ce phénomène massif peut s’analyser comme une manifestation supplémentaire – et spectaculaire – du processus de sécession des catégories supérieures à l’œuvre dans la société française, relevaient Jean-Laurent Cassely et Jérôme Fourquet dans une note publiée dès la fin mars 2020 par la Fondation Jean-Jaurès. » Néanmoins, ces mouvements de population pourraient aussi avoir du bon s’ils permettent de revitaliser une France périphérique de plus en plus déshéritée en matière d’infrastructures et de services publics. Interviewée par l’hebdomadaire, Marie-Christine Haillet, directrice au CNRS et spécialiste des questions d’habitat et de mobilité, l’explique : « Des transferts de population même modestes peuvent redonner une dynamique à des petites ou moyennes communes. On pourrait assister, dans les zones d’influence des métropoles, à un rééquilibrage entre la ville-mère et les petites cités alentour. » Encore faut-il pour cela, précise-t-elle, que ces nouveaux arrivants ne fassent pas exploser les prix de l’immobilier.
Si certains vivent cette crise sanitaire comme une opportunité (celle du retour à la terre par exemple), d’autres, moins favorisés, la vivent très mal. Dans le magazine Cerveau & Psycho du mois de mai, une brève se fait l’écho d’une étude de l’université Columbia de New York selon laquelle « les mesures anti-coronavirus rendent aujourd’hui 24% des êtres humains sur Terre dépressifs », avec un pic de progression en Europe (on serait passés, depuis le Covid, d’un taux de dépressifs de 1,4-3,9% à 26% !). Cela coïncide avec une observation publiée dans L’Express du 20 mai au sujet de la jeunesse : « Derrière la crise sanitaire, derrière la crise économique qui se profile, une autre, plus pernicieuse, est en train de tisser sa toile, et il est impossible d’en mesurer les conséquences à moyen terme : une crise psychiatrique, qui atteint en premier une jeunesse prostrée, sidérée, comme si les circonstances devenaient impossibles pour cette génération jusque-là surprotégée. » Cette situation inspire une réflexion intéressante à Patrick Buisson, interviewé le 6 mai dans Valeurs actuelles. « Ce que personne n’a relevé, dit-il, c’est que le Covid a mis un terme à cet invariant anthropologique qui voulait que le suicide, la mort autoadministrée, soit moins fréquent en période de guerre et de catastrophe qu’en temps ordinaire. Jusqu’ici, chaque fois que l’un de ces grands fléaux s’abattait sur l’humanité, la nécessité qu’il y avait de mobiliser son énergie pour survivre ne laissait pratiquement plus aucune place au mal de vivre. On l’a vu sous l’Occupation : on avait trop de difficultés à être pour s’abandonner au mal-être. Les mêmes médias qui s’inquiètent de la santé mentale des Français se félicitent de leur résilience. Le problème, c’est que de résilience il n’y a point. L’époque ne parle jamais tant des choses que lorsqu’elles ont disparu. Comme si les mots avaient le pouvoir de suppléer cette disparition. » Comment expliquer cette rupture du lien historique entre crise et résilience ? De deux choses l’une : ou notre instinct de conservation n’est plus ce qu’il était, ou la crise que nous traversons n’est en rien comparable à celles, beaucoup plus graves, qui l’ont précédée.
Du côté du Monde Diplomatique, on ne veut plus en entendre parler de cette satanée résilience ! Et si, derrière ce nouveau mot à la mode, se cachait une manœuvre politique destinée à nous enseigner la résignation et à nous faire accepter l’inacceptable ? C’est ce que pense Evelyne Pieillier qui, dans un article brillant intitulé Résilience partout, résistance nulle part paru dans le numéro de mai du mensuel, s’en prend à l’omniprésence de ce terme dans les discours de Biden (qui parle même de « résilience de la Constitution américaine » !) et de Macron. Ce dernier nous la sert à toutes les sauces. « Ainsi, pour le cinquantième anniversaire de la mort du général de Gaulle, le 9 novembre 2020, il salue son “esprit de résilience”. Il baptiste la mobilisation de l’armée en mars 2020 opération “Résilience”. Au Forum économique mondial de Davos, le 26 janvier dernier, il se déclare “pour un capitalisme résilient”. Un récent projet de loi s’intitule “Climat et résilience”. […] Manifestement, être résilient, c’est bien. C’est peut-être même le bien. » Mais évidemment, il y a anguille sous roche… « On voit assez vite l’intérêt de mettre en avant cette émouvante notion, poursuit-elle. D’abord, elle a le charme de pouvoir s’appliquer de façon équivoque à l’individu et au collectif, comme si étaient superposables les chocs intimes et les crises sociales. Et puis, c’est quand même autre chose que le courage, la chance, l’entraide, la lutte, tous les éléments qui permettent de fait de “s’en sortir”, mais qui, franchement moins “psy”, n’ont pas ce beau mystère du processus mental qui vous sauve et vous recrée. Il s’agit là d’une opération très réussie de célébration de la magie de nos ressources, qui maquille “l’adaptation permanente du sujet au détriment de la remise en cause des conditions de sa souffrance”, comme le formule Thierry Ribault dans un livre précis et emporté. »
C’est en effet exactement la thèse de Thierry Ribault, économiste et chercher au CNRS, auteur de l’essai Contre la résilience (L’Échappée, 2021). Interviewé par Marianne le 14 mai, il développe sa critique. « Avec les appels à la résilience, la pandémie devient un problème de traumatisme psychologique de telle ou telle partie de la population, autrement dit de sa capacité à encaisser le choc, explique-t-il. Cette injonction à “tenir ensemble” revient également à assujettir les individus à une organisation collective dont il n’est même plus possible d’interroger le sens, ni les causes profondes. Cela accroît davantage la soumission à l’ordre établi. […] Un des reproches adressés, à juste titre, à la résilience, c’est de mettre l’accent sur les “capacités” et l’“autosuffisance” des gens, et donc de légitimer le désengagement de l’État au profit d’une responsabilisation individuelle. […] Les appels ardents à la “résilience nationale” face au Covid-19, ou ceux du Haut Comité français pour la résilience nationale visant à “développer la culture du risque chez les Français” font partie de ce nouvel outillage idéologique. En fait, ce qui conduit véritablement les institutions à privatiser le risque, c’est-à-dire déléguer aux populations la gestion des conséquences, c’est surtout la démesure des désastres en question face à laquelle les institutions se retrouvent impuissantes. […] On amène ainsi les populations à consentir aux nuisances en rendant incontournable, voire nécessaire, le fait de “vivre avec” le désastre et ses suites. La population devient obligée d’expérimenter de nouvelles conditions de vie induites par le désastre. On l’amène également à consentir à participer à la cogestion des dégâts, ce qui, au passage, exonère de leurs torts les responsables. Cela revient enfin à la forcer à consentir à l’ignorance, c’est-à-dire à désapprendre à être affectée par ce qui la touche au plus profond, sa santé. » Nous aurions donc tout intérêt, face à cette crise et à celles qui suivront, à être un peu moins résilients et un peu plus résistants !…
A propos de Résistance (avec un grand R cette fois), il y en a un qui, dit-on, n’était pas très porté sur la chose, c’est François Mitterrand. Ce qui ne nous empêche pas, cette année, de commémorer les quarante ans de 1981, qui vit son élection à la présidence de la République. Voici deux unes parues ces dernières semaines à ce propos. Un de ces titres de presse est de gauche. Vous l’identifierez facilement : c’est celui qui applaudit à la trahison du socialisme.
Ce devoir de mémoire (appelons ça comme ça) est l’occasion de tirer un bilan de l’action du PS durant ces dernières décennies. Dans un entretien accordé le 1er avril à L’Obs, l’économiste Thomas Piketty rappelle que durant les années 1990 ce sont avant tout les représentants des partis de centre gauche (Clinton, Blair, Schröder, Mitterrand, etc.) qui ont porté des réformes en vue de déréguler les marchés financiers. « En France, explique-t-il, les socialistes, déçus des politiques qu’ils avaient menées en 1981, étaient à la recherche d’une nouvelle identité politique. Ils l’ont trouvée dans le projet européen, dans la monnaie unique, mais sans prendre en compte les conséquences inégalitaires d’une Europe uniquement centrée sur les échanges de capitaux et de marchandises, alors qu’il aurait fallu mettre au préalable des mesures fiscales et sociales redistributrices. » Dans Le Point du 6 mai, Jacques Julliard évoque sa nostalgie d’une gauche jaurésienne, qui avait encore une définition de classe. « La gauche, rappelle-t-il, était un ensemble de valeurs non discutées. C’était la défense de la République par l’école. C’était la laïcité. C’était l’attachement à la valeur travail, l’émancipation par le travail », soit l’opposé du projet de revenu universel tel que défendu par Benoît Hamon. « Il y a donc là, conclut-il, un changement considérable qui explique un déclin électoral sans précédent. »
Cette commémoration permet en effet aussi de prendre acte des évolutions de la gauche française. « La gauche universaliste a perdu la bataille, regrette Alain Finkielkraut dans un entretien accordé le 8 avril au Point. Mediapart a vaincu Charlie. La gauche intellectuelle et politique critique la laïcité républicaine, se range majoritairement sous la bannière de l’écriture inclusive, célèbre la suppression des chiffres romains et défend un antiracisme sans queue ni tête. » Et d’ajouter, désenchanté : « J’aurais honte d’être membre de la gauche du point médian, de la GPA et du clientélisme électoral déguisé en lutte contre l’“islamophobie” ! » Un constat confirmé par Saïd Mahrane qui, dans l’édition du 6 mai du même hebdomadaire, remarque : « Il n’est que de jeter un œil sur les vitrines des librairies du quartier Latin pour se convaincre que la gauche a changé de nature. Les études sur les violences policières y côtoient les témoignages de victimes du racisme. Les livres sur l’écologie décroissante concurrencent ceux prônant un féminisme qui fait de l’homme, par atavisme, un loup pour la femme. Certains de ces ouvrages se lisent comme des évangiles, tant ils sont moraux et se veulent salutaires. Et la lutte des classes, dans tout ça ? Et Marx ? Proudhon ? Vallès ? Jaurès ? Clemenceau ? […] À ces pères fondateurs la nouvelle gauche préfère Pierre Rabhi, Greta Thunberg, Assa Traoré, Joan Scott et Caroline De Hass, des militants spécifiques (écologie, antiracisme, féminisme…) qui ont abandonné la critique de l’organisation de l’économie, renonçant également à toute crédibilité scientifique, pour mettre leurs forces dans l’élaboration d’une nouvelle organisation sociale reposant sur l’ethnie, le genre ou la nature. » Si nous partageons le triste constat de M. Mahrane, nous lui recommandons toutefois, la prochaine fois qu’il viendra faire des emplettes au Quartier latin, une très bonne librairie dans laquelle il pourra trouver sans problème des titres de Marx et de Proudhon.
Le 28 avril, c’est au tour de Charlie Hebdo de régler ses comptes avec la gauche et de rappeler, avec ironie, ce qui distingue les fondamentaux socialistes des dérives progressistes.
Analysant la crise de la gauche sous l’angle de la critique théorisée par Jean-Claude Michéa, Pierrick Serpinet explique, dans un article publié sur le site du Comptoir le 11 mai, qu’« en se penchant au chevet des SDF, des sans-papiers (désormais “exilés”), et des “jeunes de banlieue”, puis en leur conférant le “monopole de la souffrance légitime”, les classes dominantes adopteraient une posture qui confère un “double avantage” : elle entretient l’illusion que la réelle souffrance n’est partagée que par un petit nombre de personnes, et permet de préserver la bonne conscience de ceux qui se focalisent sur ces groupes de populations marginaux ». Difficile de ne pas y voir un portrait type de l’encarté PS de 2021 ! Il est peut-être temps, si l’on en croit François-Guillaume Lorrain dans Le Point du 6 mai (le titre de son article, Gauche : histoire d’un long et irrésistible déclin, annonce d’emblée la couleur), d’établir un constat d’autopsie. « Siphonné à droite par la montée en puissance de Macron, pilonné à gauche par un Mélenchon qui jette de l’huile sur le feu, le PS s’est retrouvé en état de mort clinique. » Prenant à partie Marcel Gauchet, il ajoute : « La perte du peuple a été compensée par un libéralisme des mœurs. Deux manières de clouer le cercueil des valeurs traditionnelles de solidarité et de collectivité. » Dans le Marianne du 30 avril, Jean-Pierre Le Goff estime que « la droite a pris le relais de la gauche du point de vue des idées sur des défis essentiels » et qu’ainsi par exemple « elle reconnaît les défis que posent l’islamisme ou l’immigration quand la gauche finit tant bien que mal par les reconnaître à reculons ».
Le 7 mai, dans une brève intitulée Vive la CGT parue dans le même hebdomadaire, Guy Konopnicki regrette l’aggravation des divisions syndicales, sous l’effet – encore et toujours – de « la promotion de toutes sortes d’identités supposées, fondées sur l’âge, la génération, l’origine, quand ce n’est pas sur la religion supposée, ou, pis encore, sur la couleur ». Il y voit un signe de la régression sociale qui s’annonce et l’explication de la récente agression de la CGT par les Black Blocks le 1er mai dernier, laquelle « s’inscrit dans un contexte où les crises sociales désordonnées se substituent aux luttes des travailleurs organisés ». Dans le même numéro, un article en guise de réquisitoire contre Olivier Ferrand et la fondation Terra Nova[19] porte le coup de grâce au tournant libéral du PS. On peut y lire le témoignage de Jean-Christophe Cambadélis, à l’époque principal lieutenant de Dominique Strauss-Kahn : « Pour en avoir discuté avec Ferrand, l’idée d’un prolétariat qui portait l’émancipation des travailleurs était terminée. A ses yeux ils avaient basculé dans le lepénisme, et il était vain d’essayer de vouloir les récupérer. Il pensait qu’il fallait en tirer les conséquences en abandonnant la résistance pour tenter de séduire les couches urbaines des métropoles. » Anecdote éloquente : lors de la mort de Ferrand, Alain Madelin fut le seul homme de droite à se rendre à son enterrement. « Il était l’un des rares à avoir conscience qu’il y avait un héritage libéral à gauche » aurait alors expliqué Madelin, donnant sans le vouloir raison aux thèses de Michéa. Comme l’ont démontré les résultats des dernières élections présidentielles, cet enterrement bien réel d’une figure de la gauche libérale française n’a fait qu’annoncer, symboliquement, l’enterrement du PS – ayant justement succombé à son libéralisme.
Ce naufrage de la social-démocratie française rend plus aimable encore le souvenir de la Commune, dont nous célébrons cette année les 150 ans. « La Commune de Paris, qui s’est terminée dans les incendies, le sang et la répression, demeure à l’échelle mondiale un des rares événements qui conjugue l’idée socialiste et l’idée de liberté, rappelle Jacques Julliard le 7 mai dans l’éditorial de Marianne. On aurait du mal à comprendre la nature des relations sociales en France sans faire référence à cet événement qui marqua une rupture durable entre l’idée que le peuple se faisait de son histoire et l’idée républicaine elle-même. » L’occasion pour l’agrégé de philosophie Jean-Loup Bonnamy de rappeler, dans une tribune parue le 24 mai dans Le Figaro, que cet événement révolutionnaire fut une des premières jonctions modernes entre la lutte sociale et la lutte nationale. « La Commune est une insurrection patriotique, écrit-il, celle d’un peuple qui a enduré toutes les souffrances et préféré la lutte à outrance plutôt que d’accepter de voir la France humiliée et le territoire national mutilé. La Commune, c’est le refus de la soumission de la France à l’Allemagne. Le social et le patriotique s’articulent dans l’idée – nous parlons ici de représentations, pas de faits avérés – que ce sont les élites qui, pour sauver leurs intérêts, pactisent avec l’étranger. » La discrétion des commémorations officielles interroge et semble révéler un malaise du côté du gouvernement mais également du côté de certains camps politiques qui auraient pu puiser un peu de force dans ce souvenir. Selon Yannick Haenel, chroniqueur à Charlie Hebdo, ce silence s’explique par la phrase de Simone Weil selon laquelle l’histoire officielle consiste à croire les meurtriers sur parole. « Entendre des responsables politiques français se gargariser à propos d’une révolution dont ils ne cessent chaque jour d’enterrer les principes donne envie de vomir, écrit-il le 12 mai dans l’hebdomadaire satirique. On sait que l’Histoire est toujours racontée par les vainqueurs, en l’occurrence les fossoyeurs de la Commune ; mais aujourd’hui, comme au printemps 1871, la politique continue à exercer sa domination sur chacun de nous en nous spoliant du droit à disposer de notre liberté. La “démocratie” n’est jamais qu’un mensonge tant qu’elle n’est pas directe. » On ne saurait mieux dire.
Autre commémoration cette année : celle de Napoléon. Médiapart, qui donne régulièrement la parole à des historiens et à divers érudits, aurait sans doute pu trouver dans son carnert d’adresses quelqu’un de compétent pour en parler. Las : il était plus simple de faire appel à un pigiste de la maison, en l’occurrence le youtubeur Usul, critique de jeux vidéo très populaire chez les adolescents et passé au gauchisme il y a quelques années à la faveur des largesses patronales d’Edwy Plenel. Le 10 mai, Médiapart publie donc une tribune intitulée Pourquoi il faut absolument cancel Napoléon. Ironie de l’histoire : jadis c’était les trotskistes qu’on effaçait des photos officielles (Staline peut à bon droit être considéré comme un des précurseurs de Photoshop), aujourd’hui ce sont eux qui, invoquant à leur secours la cancel culture, voudraient invisibiliser de larges pans de notre histoire. La réflexion de fond d’Usul, qui s’étend sur deux paragraphes (le garçon ne ménage pas ses efforts et est plutôt du genre laborieux), reproche à Macron d’avoir rendu à l’Empereur « un hommage particulièrement appuyé » et « un éloge verbeux » très malvenu à l’heure où des généraux factieux menacent de renverser le régime… Hélas c’est trop tard, conclut-il, car à présent « le mal est fait ». Merci Usul pour ce sursaut citoyen et cette mise en perspective historique !
Puisque nous parlons de cancel culture, il semble bien que cette nouvelle peste d’exportation états-unienne n’en finisse pas de défrayer la chronique. Interviewé dans Le Figaro Vox du 14 mai, Philippe de Villiers voit une parenté idéologique entre Great Reset et cancel culture. « La coïncidence n’est pas seulement chronologique, assure-t-il. Entre les deux assauts éradicateurs, il y a une relation idéologique et militante : on nettoie de toute trace de lien avec “l’ancien monde”, l’individu, son identité, son langage, sa mémoire et ses pensées. Avec le reset, on fait la pause, on réinitialise, on repart à zéro. Avec la cancel culture, on annule, on “déplate-forme”, on bannit. C’est la même idée de l’homme générique et de la table rase. » Frédéric Beigbeder, de son côté, y voit un rapport avec l’actuelle crise sanitaire, les deux phénomènes ayant selon lui un rapport avec l’hypersensibilité. « Nous sommes entrés dans une ère douillette, confie-t-il au Figaro Magazine le 7 mai. Non seulement nous n’acceptons plus d’être malades, mais nous refusons même d’être vexés. Tout le monde s’improvise flic : dans la rue si un passant ne porte pas son masque, et sur Twitter si quelqu’un écrit une phrase qui nous déplaît. Nous critiquons l’État-policier alors que le problème c’est nous : les citoyens policiers. Pourquoi tout le monde est-il devenu si susceptible […] On finit par exiger l’interdiction d’œuvres dont l’auteur n’est pas un citoyen exemplaire, ou dont la biographie ne correspond pas au sujet dont il parle, et élaguer les manuscrits comportant des passages susceptibles de froisser une minorité. » Clamant son amour des moralistes et sa haine des moralisateurs, rappelant avoir donné lui aussi « bien des gages à la bien-pensance », l’écrivain s’interroge sur cette hostilité persistante de la gauche à l’égard de la liberté : « Pourquoi les êtres les plus humanistes et progressistes finissent toujours par réclamer la censure, l’effacement, l’interdiction ? »
Denis Collin (dont on peut lire un très bel article dans le dernier numéro de Krisis) explique le 20 avril sur le site du Comptoir que le wokisme, le transgenrisme et le décolonialisme ne sont que « l’aile marchande du capital, son extrême gauche et rien d’autre ». C’est en comprenant cela que « la véritable opération de destruction de la culture menée par une fraction de la “classe capitaliste transnationale” prend ainsi son sens ». Face à cela il en appelle à la défense des acquis sociaux, au conservatisme des « gens ordinaires » et à la nation comme « ultime refuge des classes populaires ». James Poulos, le réacteur-en-chef de The American Mind, y voit plutôt un phénomène d’ordre religieux. « Cet “éveil” à la justice sociale, à la lutte contre les discriminations raciales et sexuelles, a beaucoup d’une “religion” institutionnalisée, explique-t-il au Figaro le 7 mai. Les élites essaient d’apaiser cette bouffée de sentiments religieux extrêmes, mais c’est difficile. […] À gauche, des groupes puissants estiment que la solution aux défis actuels est d’adopter le “wokisme” comme guide. » Les deux hypothèses, loin de s’exclure mutuellement, pourraient bien au contraire se conjuguer pour expliquer un phénomène qui semble tenir à la fois d’un idéalisme presque mystique et de l’expression d’une certaine mutation du capitalisme et de la bourgeoisie.
Qui dit cancel dit censure (c’est plus ou moins synonyme) et le domaine de l’édition est en droit de s’inquiéter de cet étau qui semble se resserrer chaque jour davantage sur la liberté d’écrire et de publier. Bénédicte Martin, dans le Marianne du 30 avril, s’inquiète : « N’allons-nous pas droit, pire qu’une autocensure, vers une création conventionnelle sans grâce, une littérature pasteurisée et insipide, une conformité gentillette proche d’un dangereux “art officiel” ? » Elle met en garde contre l’intervention des sensitivity readers, ces relecteurs engagés par certaines maisons d’édition, « piqués de moraline, effectuant en amont un travail de garde-fou, garants du politiquement correct et gommant toutes les aspérités de ce qui peut être jugé offensant, humiliant, diffamant pour un lecteur ou une communauté ». Pour Élisabeth Philippe, qui signe dans L’Obs du 29 avril un papier intitulé L’édition est-elle trop blanche ?, toute mesure est bonne si elle peut amener de la « diversité » dans le milieu littéraire. Elle s’en explique : « En France, pays de l’universalisme, l’idée d’insuffler plus de diversité à la vie littéraire commence à faire son chemin. Les succès des romans de Leïla Slimani, Gaël Faye, Fatima Daas ou, côté littérature étrangère, ceux de Chimamanda Ngozi Adichie et Colson Whitehead, ont prouvé qu’il y avait un marché pour des livres qui ne racontent pas forcément la vie d’un trentenaire parisien en pleine crise existentielle. » Si on suit ce raisonnement, la seule alternative au anti-héros houellebecquien bourré d’anxiolytiques c’est un héros… non-blanc. Tous les autres ? Cancelled !
Certains pensent néanmoins que nous aurions tort de nous alarmer. C’est le cas d’Elisabeth Lévy qui, dans le Causeur du mois de mai, considère qu’« il y a des raisons de penser que la vague woke refluera devant le village gaulois et sa détermination à persister dans son être ». Rappelant qu’il existe encore de nombreux titres de presse qui refusent ce chantage identitaire et usent de leur liberté pour le soumettre à la critique (elle cite entre autres Éléments), elle pense qu’il faut faire la part des choses et que « la France n’est pas, loin s’en faut, épargnée par la pulsion de censure et d’effacement, mais [qu’]on peut y survivre à une accusation de racisme ou de baisers volés, et se remettre d’un lynchage numérique et même de plusieurs ». Nous ne vivons pas en terre américaine ou scandinave et nous pouvons nous en réjouir, mais il n’empêche que ces acquis civilisationnels doivent être défendus pied à pied et ne pas être simplement considérés comme des évidences. Le mensuel présente, à titre d’exemple encourageant, quelques exemples où la résistance a fonctionné :
« La pensée woke contient en elle-même le germe de sa destruction, analyse Frank Dedieu dans le Marianne du 23 avril. Ces minorités agissantes se disloquent et se fragmentent au fil de leur combat. » Rappelant le cas de féministes excluant des « transactivistes » de leurs réunions non mixtes et de safe spaces interdits aux Blancs, il prophétise qu’« à force de vouloir rencontrer strictement leurs semblables, ils finiront par ne plus se réunir ». Cet auto-anéantissement est pour ainsi dire déjà programmé dans cette logique d’atomisation. « De degré en degré, d’exclusions en exclusions, l’obsession identitaire se réduit à une préoccupation de soi-même, écrit-il. Dans le monde vivant, la division des cellules leur permet de se multiplier presque à l’infini. Pas dans l’univers woke, où le fractionnement tend vers zéro. Passer du pluriel au singulier condamne forcément à l’échec. Le culte du woke suprême finira par ne rassembler que quelques fidèles. Quand leur intimidation ne fonctionnera plus, ils essuieront d’abord de vives critiques, puis ils feront rire, et les prétendus “éveillés” s’endormiront. » C’est en tout cas tout le bien qu’on peut leur souhaiter !
A en croire le numéro de Stratégies daté du 29 avril, on n’en est pourtant pas encore là et les woke ne se sont toujours pas endormis ! Le « média des nouveaux modèles », comme il se définit lui-même, nous propose un numéro « spécial inclusion » avec une illustration de couverture qui fait la part belle à toutes les minorités imaginables (on y trouve même un roux et un intermittent du spectacle, c’est dire !)
Ce numéro s’apparente à un véritable festival du wokisme. On y apprend, entre autres, que lors de ses assises de 2019, France Télévisions s’est engagée à mettre place dès 2020 des quotas de personnages minoritaires ou « racisés » dans ses fictions. Un certain Amaury de Rochegonde – un journaliste dont le patronyme fleure bon l’opprimé et l’exploité – écrit : « Le CNC est un appui précieux puisqu’il a imposé, dès la fin 2018, des bonus pour ses aides à condition de décrocher 5 points sur 10 dans un film : à chaque fonction féminine – cheffe opérateur ou productrice par exemple – un point, une réalisatrice comptant pour deux points. En 2018, 15% des films sont éligibles à ce bonus. C’est 22% en 2019 et 34% en 2020. » C’est bien, ça progresse, encore un effort et les prénoms masculins défilant au générique ne seront plus qu’un mauvais souvenir ! Après un portrait de Lénaïg Bredoux, la nouvelle gender editor de Médiapart (je vous laisse imaginer en quoi consiste son travail…), on replonge dans le monde impitoyable de la libre entreprise qui est bien décidée à rivaliser avec le service public en termes d’application du wokisme. « Parce que l’inclusion est un passage obligé pour donner un nouveau souffle à notre métier, il est essentiel d’ouvrir nos portes à des personnalités issues notamment de formations ou de parcours non conventionnels, confie Céline Veyrard, cofondatrice de l’agence Sweet Spot. Élargissons nos esprits pour écouter leurs histoires avec un œil neuf et enjoué, sans idée préconçue. En leur donnant la place qu’ils méritent, nous serons tous gagnants. » Élargissons, élargissons, ça finira bien par rentrer… Ce n’est pas Cédric O, secrétaire d’État au numérique, qui la contredira, lui qui se désole dans les pages du magazine du fait que « le startupper français est un mâle blanc sorti d’HEC »… Un festival vous dis-je !
Sur un tout autre créneau (celui du cinéma) le numéro de mars-avril de So Film consacre son dossier à… l’explosion des genres (ça alors, quel sujet original, c’est audacieux !).
Au sommaire, un long passage en revue des films ayant mis en scène ou exploité la thématique du « trouble dans le genre », du travestisme, du transformisme, du transgenrisme, du transsexualisme… Le sujet aurait pu être intéressant si le ton n’était pas aussi militant. Ce qu’on retiendra surtout de cette série d’articles, c’est que même les films les plus progressistes ayant tenté de démocratiser des figures transgenres sont aujourd’hui considérés comme affreusement réactionnaires par les activistes de la cause. Le cas de Mme Doubtfire (Chris Columbus, USA, 1983), cette comédie dans laquelle Robin Williams se déguise en femme pour pouvoir voir ses enfants à l’insu de son ex-épouse, est en cela emblématique. L’Australienne Naomi Lauren s’est sentie offensée, considérant que le jeu de l’acteur est « l’équivalent transgenre du blackface », nous explique l’article. « Son souhait ? Que les médias accompagnent le public de manière plus sensible en classant par exemple ces films dans la catégorie des comédies grinçantes ou scabreuses, sans pour autant exercer une quelconque censure ou interdiction. » D’autres ne sont pas aussi magnanimes, à l’instar de l’artiste américain Eli Blodgett qui, pétitionnant contre le retrait à New-York d’un spectacle théâtral inspiré du film, déclare que « les clichés éculés et transphobes de Mrs. Doubtfire devraient continuer d’appartenir au passé ». Eh bien vivement le futur !
Et ce n’est certes pas en zappant sur Netflix que l’on risque d’entendre un autre son de cloche. Dans un article paru le 7 avril sur Figaro Vox, Ronan Planchon nous résume la série Dear white people, disponible sur la plateforme américaine : « Samantha White, une étudiante afro-américaine, profite de son temps de parole dans une émission de radio de son campus pour s’en prendre aux comportements racistes dans son établissement où ses camarades s’adonnent au blackface (le fait de se grimer en noir), s’attirant ainsi la haine et la rancœur des blancs. » Ça fait envie, non ? Le même article nous apprend que le magazine féminin belge L’Officiel a listé « six séries pour s’éduquer/lutter contre le racisme systémique », que le site Buzzfeed a noté « 16 séries à regarder sur Netflix quand vous en avez marre du patriarcat » et que le site Konbini a recensé « dix séries pour comprendre le racisme systémique ». Pour Netflix il y en a pour tous les goûts – ou presque.
Le contenu de la célèbre plateforme audiovisuelle a également fait réagir Hadrien Mathoux qui, dans le numéro de Marianne du 14 mai, nous apprend que ces séries observent des quotas de Noirs, d’Hispaniques ou de gays, lesquels devraient être augmentés dans les années à venir. « Le défilé de minorités de séries Netflix semble parfois davantage tenir du cahier des charges conformiste que de la créativité artistique, déplore-t-il, et l’attention portée aux minorités serait avant tout une stratégie marketing. » Quelle est la politique d’entreprise qui préside à ces choix en termes de représentation ? « Netflix organise des dizaines d’ateliers avec les pontes américains du “privilège blanc” et de l’“intersectionnalité”, écrit-il. En 2019, dans une réunion publique, tous les vice-présidents de la firme ont été invités à “se situer sur le spectre du privilège, qu’il s’agisse d’être cisgenre, hérérosexuel, blanc ou valide”. » Bonne ambiance dans la boîte ! Mathoux se pose la question de savoir si on peut parler, en l’état, de propagande de gauche. Oui et non… « Le progressisme à la sauce Netflix […] semble systématiquement négliger le critère social. Si les LGBTQI+, Noirs et autres Latinos se fraient un chemin sur les écrans des séries, les personnages issus des classes populaires en sont souvent absents. “Car ce n’est pas sexy ! grince une source introduite dans le milieu. Les séries doivent comporter une part de glamour.” Résultat, les séries nord-américaines sont bien “de gauche”… tant qu’on n’y inclut pas le critère économique ! » Quant à savoir pourquoi les scénaristes marchent ainsi au pas sans regimber, peut-être est-ce dû au fait qu’ils « évoluent dans des milieux aisés et urbains très perméables à la pensée woke », conclut le journaliste. Et une de ses confrères, Laureen Ortiz, de mettre en garde, dans le même numéro, sur une stratégie commerciale qui viserait avant tout « la collecte des données personnelles, afin d’assurer la captation de l’attention des consommateurs par tous les moyens ». Reed Hastings, le patron de Netflix, le reconnaît lui-même : « Quand j’observe un groupe de gens, je vois des chiffres et des algorithmes. » Pour en savoir plus sur les mécanismes de la propagande Netflix, je vous renvoie à l’article que j’ai consacré à la série The Politician dans le dernier numéro d’Éléments.
Restons, pour terminer, dans le domaine du cinéma. Au chapitre des curiosités, Slate nous apprend le 6 avril qu’on a retrouvé une adaptation soviétique du Seigneur des anneaux datant de 1991. Dans son numéro du 8 mai, Télérama nous réjouit en nous annonçant la sortie prochainement d’une version restaurée de Napoléon, le chef-d’œuvre d’Abel Gance. L’occasion de rappeler l’énorme ambition de ce cinéaste d’avant-garde, aussi passionné d’innovation technologique qu’habité par son sujet. « La gigantesque fresque mouvante sur Napoléon, disait-il, fera plus pour sa mémoire que tous les livres d’histoire. J’ai l’intuition que l’ombre de l’Empereur ne reste pas indifférente à mon effort, car vivant, il eût employé cette merveilleuse dynamite intellectuelle qu’est le cinéma pour se faire aimer là où il ne pouvait être lui-même. » En juin 1925, en plein tournage dans les studios de Boulogne-Billancourt il harangue ainsi ses acteurs (parmi lesquels Antonin Artaud) et ses techniciens : « Il faut retrouver en vous la flamme, la folie, la puissance, la maîtrise et l’abnégation des soldats de l’an II ! » Gance, c’est tout de même autre chose qu’Usul ! Dans un tout autre registre, le numéro de mai de Mad Movies consacre un dossier aux films de claustration. Un thème idéal pour se distraire du confinement !
Concluons cette revue de presse sur une devinette. Vous avez sûrement tous vu passer cette vidéo sur les réseaux sociaux : Mélenchon, le jour de la réouverture des terrasses, s’empressant de commander un lait-fraise pour inviter les larges masses populaires à soutenir de leur écot les vaillants limonadiers. Pourquoi le choix d’un tel breuvage ? On a trouvé la réponse :
En épluchant la presse à votre place, j’espère vous avoir fait gagner du temps – que vous saurez mettre à profit en lisant de bons livres !