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L’Allemagne a-t-elle engagé des soldats en Ukraine ? Info ou infox ?

L’Allemagne a-t-elle engagé des soldats en Ukraine ? Info ou infox ?

L’article de Lionel Rondouin, « Des soldats allemands engagés en Ukraine », a suscité beaucoup de vagues, info ou infox ? Contrairement aux certitudes des fact-checkers de Libération, gardiens autoproclamés de la « vérité » journalistique, les zones d’ombre n’ont nullement été levées. Certes, Éléments a été le seul à évoquer l’affaire en France, mais des journaux allemand et autrichien s’en sont fait l’écho. Toute la vérité est loin d’avoir été faite, comme elle ne l’était pas plus autour du sabotage du gazoduc Nord Stream avant que Seymour Hersh publie son enquête. Normalien, officier et ancien dirigeant d’entreprises, Lionel Rondouin fait le point.

L’article publié lundi 25 septembre par Éléments a soulevé de nombreuses polémiques à l’encontre de notre rédaction et des personnes qui l’ont repris ou s’en sont fait l’écho sur les réseaux sociaux.

Que penser de cette information relayée par des médias russes – fake news, bobard, infox ? – selon laquelle un char Léopard de l’armée ukrainienne aurait été détruit par un missile antichar russe, avec des personnels allemands à son bord ?

Peut-être… La vérité est toujours la première victime d’une guerre.

Ou peut-être pas, ou en tout cas pas complètement. C’est peut-être seulement un aspect d’une vérité plus complexe qui va se révéler plus précisément dans les jours ou les mois qui viennent.

Dès le dimanche 24 septembre, faisant suite aux articles russes, s’est érigé sur la toile un mur de dénégations d’autant plus véhémentes qu’elles ne reposent que sur des arguments d’autorité.

Faites une recherche : vous trouverez partout sous divers noms, par exemple sous l’étiquette Yahoo News en français ou en anglais, le même « article », qui n’est que la reprise textuelle d’un communiqué de l’agence officielle Ukrainskaia Pravda, à peu près aussi crédible aujourd’hui que l’était autrefois son homologue russe, la Pravda de Staline ou de Brejnev. Or, cet article ne rapporte que des déclarations officieuses d’un « représentant », non identifié, du ministère de la Défense allemand, déclarations verbales faites au téléphone à un journaliste, non identifié, de Deutsche Welle.

Deutsche Welle, c’est l’équivalent allemand de France 24, la voix internationale du gouvernement de Bonn, qui, sur ordre de son gouvernement, a seriné pendant des mois que c’étaient les Russes qui avaient saboté les gazoducs Nord Stream. Question crédibilité a priori, entre la RIA Novostni de Poutine et la Deutsche Welle d’Olaf Scholz, mon cœur balance…

Il n’y a pas que les Russes qui ont des « mercenaires »

Pendant ce temps, et malgré ce mur de dénégations érigé sur la toile, d’autres instances s’interrogent. Le München Merkur, quotidien allemand, reprend une analyse de l’agence autrichienne Exxpress (« Polémique sur les rapports : des chars Leopard 2 abattus par les Allemands en Ukraine ? »). Aux dernières nouvelles, München Merkur, grand quotidien depuis 1946, n’est pas une officine poutinienne créée pour les besoins de la cause, et Exxpress est une agence germanophone établie.

Cet article d’Exxpress donne une bonne synthèse de l’état actuel du débat.

Ce pourrait être une provocation délibérée des Russes à l’encontre de l’Allemagne. Mais alors pourquoi ? Et pourquoi en ce moment ? Alors que l’Allemagne a repris très discrètement ses affaires avec la Russie, nommément sur des expéditions de gaz liquéfié ; et que, parallèlement, les relations se tendent entre Kiev et Berlin à cause des récriminations agressives du président Zelenski concernant la prétendue mauvaise qualité et la vétusté des matériels fournis par l’Allemagne ?

Ce pourrait aussi être une mauvaise interprétation ou un mensonge partiel de la part des Russes. Le pilote serait effectivement allemand, un ancien militaire, pilote de char et mécanicien de la Bundeswehr, recruté dans le cadre d’un contrat de maintenance, soit individuellement, soit par l’intermédiaire d’une société « civile » de prestations de services techniques et militaires. Ce n’est pas la Russie qui a inventé le modèle du groupe Wagner…

Cette version a quelques aspects de vraisemblance. Il est de pratique usuelle que la livraison de matériels nouveaux et techniques, militaires ou non, soit accompagnée de prestations de services de mise en oeuvre, d’entretien, de réparation. On subodore par exemple que des spécialistes anglais, d’active ou récemment retraités, du Special Boat Squadron se trouvent sur la côte d’Odessa pour aider les Ukrainiens à mettre en oeuvre les vedettes télépilotées qui attaquent la Crimée et le pont de Kertch.

La présence de pilotes mécaniciens allemands serait d’autant plus crédible que les Ukrainiens, quoique excellents mécaniciens, rencontrent de nombreuses difficultés d’adaptation aux chars occidentaux (à quoi s’ajoute un manque de pièces détachées).

Alors, ce mort serait un pilote de char de dépannage ? Cela expliquerait peut-être que son véhicule se soit trouvé en zone de combat. Pourquoi pas ?

Quoi qu’il en soit, l’affaire n’est pas encore close et la vérité est loin d’avoir éclaté, n’en déplaise aux fact-checkers de Libération.

Erratum : dans une première version de l’article, nous avons écrit par erreur que le ministère de la Défense allemand reconnaissait « officiellement » la mort de quatre soldats. Dont acte.

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