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Démographie

Démographie : chaque enfant né est-il un désastre écologique ?

Surpopulation : le trop-plein, le titre du dossier d’Éléments n° 184 en kiosque actuellement est sans équivoque. Entre ceux qui choisissent d’ignorer la bombe P et les autres qui en tirent la stupéfiante conclusion que les Européens devraient cesser d’avoir des enfants, Éléments a choisi une tierce voie. Fabien Niezgoda qui a dirigé ce dossier polémique s’il en est, s'en explique.

ÉLÉMENTS : Allons droit au but : peut-on dire avec Corinne Maier, apôtre de la doctrine childfree et auteur de No Kid : quarante raisons de ne pas avoir d’enfants (Michalon), que « chaque enfant né est un désastre écologique pour la planète toute entière » ?

FABIEN NIEZGODA. Ce type d’interpellation, assez classique, est doublement problématique. D’une part, comment juger de la valeur d’une naissance : parle-t-on d’un futur nihiliste qui déboulonnera la dernière statue de Colbert ou d’un compagnon qui achèvera de restaurer la charpente de Notre-Dame ? D’autre part, la question associe deux dimensions fort différentes : la vaste échelle géographique où se mesure l’impact effectivement désastreux du nombre, et l’échelle familiale et individuelle où toute perspective d’ingérence suscite méfiance ou scandale, comme une atteinte aux droits fondamentaux. Être malthusien n’implique pas plus de jugement sur le bonheur d’une famille nombreuse que sur le choix d’un célibataire ou d’un couple sans enfant ; ce ne sont pas les personnes qui sont en cause, mais les pyramides des âges ou les courbes de population.

ÉLÉMENTS : « La planète croule sous le nombre », écrivez-vous en présentation du dossier d’Éléments consacré à la surpopulation. Notre avenir démographique peut-il se résumer aux chiffres et statistiques que l’on s’envoie à la figure à chaque polémique ? 

FABIEN NIEZGODA. Notre entretien avec l’historien Georges Minois montre bien que la question de la surpopulation ne relève pas tant de la comptabilité statistique que de l’histoire culturelle. L’approche comptable, qui mesure l’empreinte écologique ou tente de planifier l’alimentation de milliards d’hommes, est incontestablement nécessaire – on ne gagne rien à vouloir ignorer les limites physiques du monde – mais n’en est pas moins très réductrice et évacue trop souvent des questions essentielles : quelle organisation de la société, quel rapport au monde, quelle conception de la liberté restent compatibles avec tel niveau de population ? Gaston Bouthoul le soulignait : il ne s’agit pas tant de fixer de façon normative un optimum que d’admettre l’existence même d’une limite à ne pas dépasser.

ÉLÉMENTS : Il n’en reste pas moins que ce sont dans les pays ayant le solde démographique le plus bas que les thèses néo-malthusiennes ont le plus d’adeptes…

FABIEN NIEZGODA. En effet. On peut d’ailleurs considérer comme un signe de sagesse le fait que certaines civilisations comprennent la leçon d’Aristote : « Une grande cité et une cité populeuse, ce n’est pas la même chose » (Politique, VII, 4). Mais il est vrai que le néo-malthusianisme peut prendre des aspects plus inquiétants, dont toute sagesse est absente. D’une part, il peut muter en nihilisme, devenir cette « pulsion de mort » qu’épingle justement David L’Épée à propos du mouvement childfree ; or la sagesse écologique, au fond, ce devrait être celle de Cicéron : « Demandez à un laboureur, quelque vieux qu’il soit, pour qui il plante ; il n’hésitera point à répondre : c’est pour les dieux immortels, qui ont voulu non seulement que je reçusse ces biens de mes ancêtres, mais aussi que je les transmisse à mes descendants » (De la vieillesse), ou encore celle de Colbert planifiant la futaie de chênes de Tronçais ; quel sens peuvent avoir ces gestes sans les générations qui doivent nous succéder ? Malthus lui-même, réfléchissant à son « principe de population », cherchait à éviter des malheurs (miseries) aux générations futures, pas à éviter l’existence même de ces générations ! D’autre part, la question qui se pose évidemment est celle du déséquilibre entre zones de pression démographique différente : si la modération démographique n’est pas généralisée, rien ne justifie que les peuples qui la pratiquent voient leurs territoires livrés au trop-plein des autres, et leurs efforts ruinés par le jeu des vases communicants. Une vision globale de la question démographique ne peut que mettre en lumière l’importance cruciale des frontières

ÉLÉMENTS : De toutes les contrevérités sur la démographie que vous avez exposées et démontées dans ce dossier d’Éléments, quelle est selon vous la plus pernicieuse ? 

FABIEN NIEZGODA. L’évacuation du facteur population par la question du niveau de vie : une démarche qui, tout en relevant d’une approche étroitement comptable, contient en elle-même plusieurs erreurs. Erreur mathématique : « Distinguer la consommation de la population, c’est comme prétendre que la surface d’un rectangle dépend davantage de sa longueur que de sa largeur », écrit Paul Ehrlich, l’auteur de La Bombe P. Erreur analytique ensuite : croire que la réduction généralisée du niveau de vie (objectif qui, sous le prétexte de la justice sociale, revient en fait à promouvoir le modèle de la pauvreté) permettrait de nourrir harmonieusement des milliards d’humains pratiquant l’agriculture vivrière, c’est ne pas comprendre que notre nombre inédit repose sur les interactions, les avantages comparatifs, la spécialisation des tâches, bref, que l’effectif pléthorique et le capitalisme sont liés par une étroite corrélation.

ÉLÉMENTS : Pourquoi faire figurer le point de vue catholique, celui d’Olivier Rey, sur l’explosion démographique en cours ? Comment un catholique peut-il craindre la bombe démographique ? 

FABIEN NIEZGODA. Sur la question démographique, le point de vue le plus souvent entendu chez les catholiques est celui d’un anti-malthusianisme étroit, voyant dans la multiplication des hommes un bienfait. Un regard historique comme celui que porte Georges Minois sur la période médiévale montre toutefois que la pensée catholique a été parfois capable de dépasser une interprétation littérale et décontextualisée de la fameuse parole de la Genèse, « Soyez féconds et emplissez la Terre ». Plutôt que de réduire l’opinion catholique à la caricature facile et injuste d’un lapinisme bigot, il nous a donc semblé utile de dépasser les clichés et les postures. Olivier Rey, nourri notamment par la pensée d’Ivan Illich, était sans doute le plus à même de montrer que l’on peut concilier intelligemment la foi catholique et un regard lucide sur le désastre écologique et démographique. 

Propos recueillis par Pascal Meynadier

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