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Delon, ultime icône du cinéma

Delon, ultime icône du cinéma

Il était le dernier acteur majeur de la plus belle page du cinéma français. Il était l'ultime représentant d'une époque que de moins en moins de monde a connu, et qui est pourtant de plus en plus regrettée. Pas besoin d'être mélancolique au dernier degré pour avoir la nostalgie des périodes héroïques. Delon, dernier « monstre sacré », dernier héros, quand le cinéma faisait encore rêver...

Jef Costello ne se paye pas de mots. En félin, il se retire sur la pointe des pieds. C’est un peu le cas de Delon. Lui qui n’interprétait pas des personnages au cinéma, mais qui « était le personnage » à l’écran. Discrètement, à pas feutrés, en cette fin d’août 2024, le dernier des seigneurs s’est éclipsé de la scène. Le cinéma et la France disent au revoir à leur dernier fauve. Même pas froid, que déjà les flics idéologiques sont lancés. Analphabètes, incultes et moralisantes, ces hyènes ricaneuses se sont réjouies de la mort de l’acteur.

Pourquoi ? Car « homme de droite », affichant clairement des positions à rebrousse poils de son époque, proche de Jean-Marie Le Pen depuis l’Indochine, qui avait l’audace de se revendiquer « son ami » et qui, durant 60 ans, ne s’est jamais privé de cracher à la gueule des industrieux du cinéma. Et s’il y a bien une chose à garder de Delon, en plus des films, c’est cette attitude, cette élégance désinvolte, cette stature iconique !

Dés le début de sa carrière, Delon affiche une rupture. Il a 25 ans quand il incarne Tom Ripley dans Plein Soleil de René Clément, son premier grand rôle. Au delà du miracle génétique, du physique captant immédiatement la caméra et le spectateur, ces premiers rôles vont permettre à Delon de devenir une icône à contre-courant. Tel un Noureev anachronique, il hypnotise, il devient le cinéma, incarnant le chevalier, l’aristocrate. Il lui aura fallu très peu de temps pour se placer au dessus de ses contemporains : boxeur christique dans Rocco et ses frères, agent de change emporté par le tourbillon du monde moderne dans L’Eclipse, jeune braqueur révérencieux envers le « vieux » Gabin, son père putatif dans le métier, pour Mélodie en sous-sol, et bien sûr Tancrède Falconeri, le jeune et dernier félin de cette noblesse sicilienne finissante dans Le Guépard. Du grandiose, de l’innovation, des films aussi bien somptueux sur le plan formel que techniquement novateurs ; des histoires aux élans mythiques s’inscrivant dans un art encore audacieux, c’est la dernière grande époque du cinéma français qui se réalise durant les années 1960 et 1970. Une époque héroïque, où les ultimes héros de la modernité devaient devenir les dernières icônes d’un monde qui ne croyait déjà plus en Dieu. Delon le sait, le comprend, le vit. Il est une star, une étoile que le spectateur veut contempler. Un acteur qui n’a que faire des modes et tendances, car il est tendance, il est la mode. En devenant l’icône hexagonale, la star à la française, Delon va à contre-courant de la Nouvelle Vague des années 1960, faussement populaire dans ses penchants politiques, mais vraiment snobinarde dans ses films ; et l’engouement pour l’anti-héros des années 1970. Jusqu’au bout, il sera le héros, le descendant des dieux, celui qui ne transige pas avec l’époque. Attention, la filmographie de Delon n’est pas exempte de faiblesses, comme nous le rappellent, de-ci de-là, quelques uns de ses nanards (car un médiocre philosophe ne pourra jamais être qu’un exécrable réalisateur, cf Le Jour et la Nuit). Mais qu’importe les erreurs de parcours ! Car Delon est déjà devenu une source d’inspiration. Au même titre que son alter-ego, Belmondo.

Le soleil et la lune

Impossible de parler de Delon sans parler de son binôme, de son partenaire dans le crime : Jean-Paul Belmondo. Décédé à presque trois années d’intervalles, les deux compères sont de la même génération, démarrent ensemble, alors que tout les oppose. Belmondo, enfant d’une famille d’artistes, élevé dans la bohème, destiné à faire du cinéma. Delon, le petit bourgeois déclassé au cocon familial très tôt brisé, devenu acteur grâce à sa belle gueule, « par accident » comme il le disait. L’un rieur, pas très beau, l’autre mélancolique et magnifique. A Belmondo la dérision, à Delon le sérieux. C’est sans doute pour ça que Belmondo est l’acteur de l’enfance et Delon celui de l’âge adulte. Autrement dit, deux faces d’une même pièce chez un homme. Deux acteurs qui à l’orée des années 1960 seront le reflet de deux mondes : le nouveau avec A bout de souffle pour Belmondo, la tête d’affiche de la Nouvelle Vague, et Plein Soleil pour Delon, le classicisme romantique par excellence. Deux propositions qui finiront par perdre toutes les deux devant l’implacable machine industrielle américaine et l’idéologie française sans autre issue possible que son propre nombril. Pourquoi ? Parce que la France a choisi l’artistique Truffaut à l’industrieux Verneuil. Parce que la posture idéologique devait prévaloir sur le mythe. Aussi créatif un courant puisse-t-il être, un film ne peut s’enfermer dans la morale.

C’est le drame de la Nouvelle Vague, et désormais, du cinéma français tout court (l’innovation artistique de la Nouvelle Vague en moins). Belmondo s’est très vite diversifié, au point de devenir « l’ami des français » celui qui fait consensus, celui que tout le monde ne peut qu’aimer. Pas Delon. Car le consensus n’est pas pour les seigneurs. Les aristocrates n’en appellent pas à la démocratie pour réclamer de l’amour ! On pardonne à Belmondo d’avoir « trahi » la Nouvelle Vague. On ne pardonnera jamais à Delon d’avoir dit « merde » à l’idéologie !

Deux acteurs surfant sur le dernier moment de modernité du cinéma, avec une gouaille, une attitude, une « coolitude ». En un mot, des étoiles devenues cultes. Belmondo et Delon vont inspirer des dizaines d’artistes : cinéastes, acteurs, dessinateurs, musiciens… Et ce dans le monde entier. Malheureusement, la France ne fait que détruire les icônes. Deux cents ans que ça dure. A l’approche de la fin, la profession chouchoutera Belmondo comme un vieux papa gâteau, car au fond, tout le monde l’aime bien. Mais pour Delon, rien ne sera pardonner. Car il ne saurait être question de voir plus loin qu’une option politique pour un esprit binaire. « Crève charogne, personne ne te regrettera ! » Et pourtant, « tu le regretteras » comme le disait Gilbert Bécaud à propos de De Gaulle.

Discrètement enterré dans sa chapelle privée, Delon n’aura pas droit à l’honneur national, aux fleurs et à la musique de Morricone dans la cour des Invalides, comme Belmondo au moment de sa mort. Et pourtant il le méritait…

Quand Belmondo meurt, c’est le soleil qui s’éteint. Quand Delon disparaît, c’est la lune qui s’en va. Et là, tout le monde s’en fout. Ciao Samouraï !

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