Bien souvent, par réflexe intellectuel et philosophique, les lois de la morale s’imposent à celles de la politique qui s’en trouve dès lors dépolitisée et paralysée. Avant toutes considérations éthiques ou doctrines idéologiques, le politique repose sur certaines bases qu’Antoine Dresse tente de poser dans un court et dense essai coédité par La Nouvelle Librairie et l’Institut Iliade dans l’élégante collection Longue Mémoire : le Réalisme politique. Face à l’omniprésence de la morale, l’auteur nous rappelle que le politique est une réalité autonome et distincte et que sa finalité doit s’extraire de la tension constante entre morale et politique.
La fin et les moyens, la guerre de tous contre tous, la distinction ami/ennemi, Antoine Dresse convoque Machiavel, Hobbes et Schmitt afin d’exposer les fondements du politique dans lesquels s’exerce la politique. Le réalisme politique ne forme pas une école de pensée, mais est une disposition d’esprit qui nous invite à appréhender les choses telles qu’elles sont, plutôt que telles qu’on voudrait qu’elles fussent.
Machiavel est le premier auteur à faire une distinction entre morale et politique. Cette approche nouvelle permet d’appréhender la politique en tant qu’objet propre, allégée des analyses morales. Il tente de comprendre comment la politique fonctionne, quels sont ses mécanismes et règles. En étudiant les exemples historiques – issus de l’antiquité grecque jusqu’aux princes italiens du XVIe siècle – il tente de définir les lois immuables qui s’appliqueraient à tous les peuples et à toutes les époques. Il nous rappelle que toute théorie politique doit être opérationnelle : les idées, aussi belles soient-elles, doivent se matérialiser dans une action concrète.
Obéissance et sécurité
D’où provient le pouvoir de quelques-uns sur les masses ? Le philosophe anglais Thomas Hobbes nous renseigne sur l’origine du pouvoir en introduisant la notion d’obéissance. Les hommes obéissent et aliènent une partie de leur liberté pour se soumettre au Léviathan, par crainte de la mort et besoin de sécurité. Pour Hobbes, la méchanceté règne dans l’état de nature, et c’est la crainte qui meut chaque homme. De cette crainte naît le besoin de protection et l’obéissance au pouvoir. Marqué par les guerres de Religion qui ont frappées l’Europe au XVIe et XVIIe, Hobbes souhaite la limitation de l’exercice du pouvoir aux seules fins politiques (préservation de l’ordre intérieur et protection vis-à-vis des menaces extérieures) purgées de toutes considérations morales.
Avec Carl Schmitt, Antoine Dresse fait émerger la notion d’autonomie du politique. Sa prépondérance est contestée depuis que l’état moderne s’est transformé en « grande entreprise », sous l’effet du libéralisme et du marxisme-léninisme qui ont unis leurs forces pour éliminer la domination du politique sur la vie économique. Face à la négation du politique, Schmitt réaffirme « la vérité du politique » en le dissociant de l’État. Le politique préexiste à l’État ; et tant qu’il y aura des hommes il existera, à travers l’opposition ami/ennemi. Le philosophe allemand définit le fondement du politique comme le produit de cette antinomie, mise à mal par les théories humanistes, égalitaristes et cosmopolites qui invisibilisent les rapports de conflictualité.