Cher Jean Montalte,
Vous commencez votre réponse en m’objectant que « l’identité est la condition nécessaire d’une politique vraiment française ». Autant dire que je me range derrière une telle proposition. Il ne peut y avoir d’État souverain s’il est dépossédé de son identité, car la liberté d’action et de décision d’une entité politique – à l’intérieur de ses frontières (contrôle étatique) ou sur la scène internationale (diplomatie, indépendance nationale) – dépend directement de sa population (composition, natalité, pyramide des âges, diversité, nombre). Et pourtant, est-ce suffisant pour faire de la question identitaire un programme de gouvernement ? Je ne le crois pas…
L’identité seule n’est pas une politique
Tout comme démocratie libérale est un oxymore, il ne saurait exister de France africaine qui soit souveraine. Pourquoi cela ? Eh bien parce qu’une politique souverainiste appréhende avec la plus grande attention les différences démographiques entre groupes humains de façon à ce qu’elles n’entraînent pas de conséquences dommageables pour la communauté nationale. Lorsque des ensembles diasporiques acquièrent un certain « poids » – que ce soit par le nombre ou par les réseaux de puissance (économique, médiatique, politique) –, il existe un risque pour que ces mêmes groupes exercent une pression sur la politique nationale (exemple : importation sur le territoire de conflits extérieurs ou ingérence par utilisation des diasporas)1.
Toute ingérence étrangère (politique, économique, sociale, culturelle, religieuse) est inconcevable pour un souverainiste. Voilà pourquoi je reviens, dans mon livre, sur cette préoccupation « identitaire » de tout faire pour maintenir le peuple historique – c’est-à-dire blanc et d’origine européenne – comme peuple majoritaire en France. Conserver l’identité du peuple historique français est une des conditions sine qua non pour une politique souverainiste. Et concernant le Brexit, je ne connais aucun souverainiste qui ne regrette pas l’absence de politique migratoire de la part des Britanniques. Mais nos voisins d’Outre-Manche sont autres, et surtout ils sont souverains et maîtres chez eux. En tant que Français, je n’ai donc pas mon mot à dire – sauf si la situation touche aux intérêts de mon pays.
C’est pour cela que je préfère me présenter, avant de me déclarer souverainiste ou identitaire, comme un nationaliste français. Si un identitaire s’intéresse à ce que les peuples sont et le souverainiste à ce que les peuples font, un nationaliste se concentre sur la manière dont les nations, en tant qu’entité politique souveraine et peuple historique, se maintiennent. Seule la défense des intérêts de mon pays conditionne mon positionnement politique, et la dimension de l’Europe ne m’intéresse que dans le cas où cela me paraît bénéfique pour la France – même si, à titre personnel, je revendique l’importance des influences européennes concernant mes goûts esthétiques et mes références intellectuelles. Si une autre nation décide de se « suicider » par l’invasion migratoire, d’abandonner sciemment sa souveraineté ou de se ranger dans la main d’un tiers (ce que fait actuellement la France), cela ne me regarde pas – même si je peux avoir de l’affection pour le peuple ou le pays en question.
Comme l’a démontré Pierre-Romain Thionnet, dans un article pour Éléments2, la volonté de se maintenir s’incarne parfaitement dans la dimension stratégique du domaine militaire. Même si nous avons des problématiques communes entre nations européennes (hiver démographique, situation géopolitique, submersion migratoire, etc.), chacun doit régler ses problèmes selon son état présent, ses intérêts (économiques, énergétiques, industriels ou de souveraineté alimentaire), ses volontés et ses lois propres. Les souverainistes doivent-ils se taire quand l’Allemagne sabote intentionnellement notre politique énergétique3 ? Doivent-ils accepter sans broncher l’entrée dans l’Union européenne de l’Ukraine qui signerait la mort de l’agriculture française ? Doivent-ils continuer de rêver à l’Europe-puissance quand l’Allemagne, dans le cadre de son projet de « bouclier du ciel » (European Sky Shield Initiative, ESSI), préfère le Patriot PAC-3 (américain) au SAMP/T franco-italien ?
Même si nous avons à réaliser des alliances circonstanciées, des actions conjointes et des projets entre Européens, la France ne sera sauvé que si des Français le décident. De la même manière, l’Espagne sera sauvé par des Espagnols, l’Allemagne par des Allemands, l’Italie par des Italiens, etc. Partout en Europe, j’espère voir de mes propres yeux un nouveau Printemps des peuples et le réveil des nationalistes. Voilà pourquoi les souverainistes privilégient le principe des nationalités à la théorie de l’État-continent, et qu’ils en appellent – avec la venue du monde multipolaire – au retour d’un ordre westphalien fondé sur des alliances et la reconnaissance d’intérêts différents en Europe.
De quelle Europe parle-t-on ?
Vous reprenez Pierre-Yves Rougeyron qui déclare : « Pour moi, l’Europe ça n’a pas de sens. » Ces mots sont les siens. Dans mon cas, je reconnais qu’il existe plusieurs liens entre Européens. Les Français de souche sont, comme les autres peuples autochtones du continent, les héritiers biologiques de trois souches ancestrales (chasseurs-cueilleurs, populations anatoliennes, conquérants venus du Caucase et du nord de la mer Noire), qui se sont mêlées dans des proportions variables d’une région à l’autre de l’Europe. Aussi la plupart de ces peuples appartiennent à une même famille ethnolinguistique (à l’exception du basque, du hongrois, du finnois et de l’estonien), et nous savons, notamment par les travaux de Georges Dumézil, que la mythologie comparée confirme ce « socle » partagé. Donc oui, il existe bien une unité biocivilisationnelle entre les différents Européens.
Mais pour en revenir à la dimension stratégique du combat politique, il y a une maxime qu’il faut garder en tête : « C’est le terrain qui commande la manœuvre. » Or, quel est l’état des nations européennes ? D’un point de vue des populations, l’hiver démographique persiste : d’ici 2050, la population totale va reculer de 3,3 % en France, de 7 % en Espagne, de 7,5 % en Allemagne et de 14,2 % en Italie (sans parler des différences du nombre d’enfants par famille entre Européens et extra-Européens). Concernant la population en âge de travailler, les chiffres s’aggravent avec un recul de l’ordre de 7 % en France, 14 % en Allemagne, 26 % en Italie et 28 % en Espagne. Si le Grand Remplacement est une chose, le Grand Vieillissement de l’Europe en est une autre (peut-être encore plus préoccupante !), et la tranche des plus de 65 ans l’emportera de plus en plus nettement sur celle des moins de 20 ans.
Alors je veux bien qu’on me parle, comme vous le faites, d’une Europe aux grands artistes, aux origines glorieuses et à la supériorité éclatante sur le reste du monde. Vous avez raison de le faire, et, moi aussi, j’aime cette Europe qui allait de l’avant. Mais pouvons-nous encore nous montrer si arrogants4 ? De mon côté, je ne vois qu’une Europe vieillissante, un « continent vassal » (Yanis Varoufakis) qui n’a plus la volonté de vivre par lui-même. Partout la même marginalisation politique, économique et sociale des jeunes adultes européens, car comme l’écrit Pierre Vermeren : « Notre société âgée a fait le choix d’occulter ses jeunes hommes, de passer outre leur avenir. Que l’on songe à la crise du Covid-19, qui a aggravé leurs maux, notamment la déprise éducative, alors qu’ils n’ont jamais couru de péril mortel ; à la réussite scolaire et universitaire des filles, qui, à situation comparable, surclassent partout les garçons, sauf en sciences (seul ce second sujet n’est pas tabou) ; à la déliquescence de leurs domaines professionnels traditionnels, l’artisanat, l’industrie, l’agriculture et la chose militaire ; et, plus généralement, à l’abandon des activités productives, transférées à l’étranger, au profit des services qui sont plus propices aux femmes ; enfin, à la désintégration de la famille comme structure de protection, de transmission culturelle, mais aussi de responsabilisation et d’amour. »
Aussi me fait-on souvent le reproche de confondre « Europe » et « Union européenne ». Sur ce point, il s’agit d’être un minimum honnête et de reconnaître que, dans l’imaginaire commun, l’Union européenne est désormais l’Europe réellement existante. Quand Sébastien Béraud, un agriculteur participant à la dernière révolte des paysans, prend la parole sur CNews, il fait automatiquement l’amalgame entre les deux5. Et au Salon de l’agriculture, les paysans ont pris d’assaut le stand de l’UE en criant des slogans anti-européens. Comme l’URSS a condamné le mot de communisme, l’Union européenne est en train de faire de même avec l’idée d’Europe. Et si je reprends la formule de Dominique Venner que vous citez6, vous, les identitaires, devriez être avec nous dans notre lutte à mort contre l’UE – même si les raisons de l’engagement peuvent diverger.
L’expression « lutte à mort » est-elle exagérée ? Jugeons sur faits. Sur le site du Grand Continent – véritable laboratoire d’idées européistes animé par des normaliens –, la nouvelle année s’ouvrait par une tribune de l’écrivain Javier Cercas7. Dans ce texte, les objectifs sont clairs : dépassement des « vielles nations », « impératif de l’élargissement » et reconnaissance de ce « besoin de réfugiés » pour l’économie. Et Giorgia Meloni, qui avait promis de stopper l’immigration illégale, ouvre désormais comme jamais depuis dix ans les vannes de l’immigration de travail. Après l’annonce des 450 000 titres de séjour aux travailleurs étrangers, Andrea Prete, le président des Chambres de commerce en Italie, affirmait que si « ça ne suffit pas, le gouvernement reconnaît lui-même qu’il en faudrait 800 000. Mais c’est certainement plus d’un million. » Encore un exemple ? Le jour de l’adoption de la loi Immigration, le 19 décembre 2023, le président du Medef Patrick Martin déclarait sur Radio Classique : « D’ici à 2050, nous aurions besoin, sauf à réinventer notre modèle social et notre modèle économique, de 3,9 millions de salariés étrangers. » Il concluait en assurant que « ce ne sont pas les patrons qui demandent massivement de l’immigration, c’est l’économie ».
Comme il n’y a pas eu d’Europe sociale, il n’y aura pas d’Europe identitaire. Seule différence : cela fait plus de dix ans que les penseurs radicaux de gauche en ont fini avec cette chimère8. Combien de temps la droite perdra-t-elle en rêvant d’une réforme de l’UE par l’intérieur ? Combien de fois devra-t-on encore répéter ce mensonge du « couple franco-allemand » ? Combien de « bijoux de famille9 » la France devra-t-elle céder pour complaire à Bruxelles ? L’Europe ne se sauvera que par ses nations, ou elle crèvera. La sortie de la dormition se fera par le bas et non par le haut, par les nations qui auront décidé de ne pas mourir. S’il n’y a plus de volonté de vivre chez les Européens, en appeler à la « refondation civilisationnelle » ne changera strictement rien.
Peuple en soi et peuple pour soi
La mention de votre parcours personnel m’a touché, car, comme vous le rappelez, nous sommes proches sur bien des aspects (classe moyenne déclassée, faible capital culturel de base, etc.). Aussi, vous avez raison de mentionner cette tragédie des jeunes Blancs européens pris au piège dans cette tenaille des « banlieues métissés » et des professeurs prônant des thèses ethnomasochistes. Et sur la « solidarité de classe entre prolétaires blancs et extra-européens », j’avais déjà critiqué, dans un autre article10, cette idée d’une convergence entre « Beaufs et Barbares » (selon les termes de Boutelja).
Vous pouvez railler – à raison – les « camarades [extra-européens] de classe à chaussures Nike, dévoreurs de kebab », mais dans quel état sont les jeunes populations blanches ? Comme vous, l’arrachement à mon déterminisme social s’est fait par la découverte de la culture française et européenne. Mais nous sommes des exceptions. Les jeunes Blancs des classes populaires – tous chaussés en Nike11 – sont aussi des « dévoreurs de kebab ». Ils préfèrent Dysneland au Puy du Fou, C8 à CNews, et le rap à la musique classique12. Ancien lauréat du prix Goncourt (Leurs enfants après eux, 2018), Nicolas Mathieu a décrit, dans les territoires de la France postindustrielle, l’ampleur de la dévastation économique et ses effets sur la jeunesse : effacement des héritages culturels ; fracturation des familles ; arrivée de la drogue ; recomposition d’une culture par « fragments de mondialisation » (culture rap, sabir mêlant des mots arabes et africains, américanisation du mode de vie, etc.) ; mortalité grimpante chez les hommes.
Au vu de l’invasion migratoire, de la chute des populations autochtones et de l’insécurité grandissante, il y a rien de plus normal à vouloir, comme les identitaires le souhaitent, faire émerger une conscience européenne, un sentiment national européen et ethnique. Et concernant cette idée, nous ne sommes pas loin de la fameuse transition marxiste de « classe en soi » à « classe pour soi » ; c’est-à-dire une situation où des individus partagent des conditions de vie identiques, et où ils prennent conscience qu’ils peuvent agir ensemble pour défendre leurs intérêts et améliorer leur situation en s’organisant. Mais ce passage du « peuple en soi » en « peuple pour soi » me paraît déjà difficilement réalisable en France, et ne parlons même pas de l’échelon européen ou même, comme le désirent certains racialistes (que je prends soin de distinguer des identitaires), au niveau occidental – notamment pour les raisons d’intérêts stratégiques évoqués précédemment.
Tout en étant conscient des menaces qui planent sur l’effacement des Européens, je réaffirme, comme dans mon livre, qu’il faut en finir avec les rêveries, pour les décennies à venir, d’une Europe de l’Ouest uniquement blanche – bien que cela n’empêche pas qu’il fasse tout faire pour maintenir les peuples autochtones majoritaires. De même que les marxistes étaient persuadés que la dynamique du capitalisme allait conduire à exacerber la lutte des classes en ne laissant face en face que la bourgeoisie et le prolétariat, les identitaires pensent, sauf erreur de ma part que, avec le renforcement de l’immigration et des tensions interethniques, l’opposition entre les populations de souche et extra-européennes va augmenter. Cela n’est pas forcément faux, et les nombreux sondages sur l’immigration, le sentiment d’insécurité et le rejet de l’islam démontre cette idée du « choc de civilisation ». Mais comme l’émergence d’une nouvelle classe moyenne (ingénieurs, fonctionnaires, avocats, journalistes, employés, etc.) a empêché la constitution de ces deux pôles sociaux « étanches », l’apparition d’un beurgeoisie et l’action – même résiduelle – du métissage et des mélanges sur plusieurs générations brouillent la conscientisation d’un clivage identitaire « pur et parfait ». Aussi faudrait-il mentionner la pression et le lavage de cerveau médiatique faisant la promotion du métissage, du « vivre ensemble », de l’antiracisme, du rejet de la discrimination, de la culpabilisation des Français de souche, etc.
Point pour les identitaires : ce constat est à relativiser avec l’aggravation des problématiques d’intégration, le renforcement des flux migratoires, la radicalisation des conflits ethniques et la désassimilation des jeunes générations. Évidemment que le souverainisme de demain aura sa part identitaire. Mais si les identitaires appuient sur la dimension ethnique (être blanc), les souverainistes lui préfèrent la dimension politique (être patriote) – encore une fois, c’est une différence stratégique. Sans tomber dans la naïveté de l’exemple des légionnaires ou d’un service militaire qui ferait de tous ces extras-Européens de bons Français, force est de constater que nous ne pouvons pas nous payer le luxe d’exclure les non-Européens sincères dans leur engagement pour le combat national. D’ailleurs, les renégats et les traîtres « blancs » sont légions – il suffit de voir les manifestations contre l’AfD, en Allemagne. Et si nous arrivons au pouvoir et mettons en place certaines politiques (préférence nationale, remigration, fermeture des frontières, etc.), il y a de grands risques pour qu’émergent, non pas des centaines ou des milliers de « porteurs de valises » de type européen de souche, mais bien des centaines de milliers, voire des millions…
Nationalisme illibéral contre européisme libéral
Cela fait plusieurs décennies que le mot « nationalisme » subit une compagne de réprobation morale et d’accusation méthodique. À la tête de ce mouvement de contrebande intellectuelle, on retrouve tout un complexe médiatico-universitaire devenu coutumier du fait de vomir sur toutes les idées politiques censées défendre la patrie, la souveraineté nationale et le peuple historique français. Depuis la « France moisie » de Sollers jusqu’à ces « Français qui fument des clopes et roulent au diesel » de Benjamin Griveaux en passant par les « Gaulois réfractaires » du président Macron, la haine de la France et de son peuple est certainement la chose la mieux partagée par la classe dirigeante politique, financière et culturelle.
Partout dans les démocraties occidentales, la défiance des populations augmente envers les « partis de gouvernement » et la classe politique en général. Contre l’« alternance unique » d’un système bien rodé, ce qu’on pourrait appeler des « troisièmes forces », souvent caractérisées par leurs dimensions populistes, patriotes et souverainistes, se présentent comme des alternatives sérieuses. Sur l’irruption et la consolidation de ce mouvement national-populiste, les amalgames et les condamnations pleuvent du côté des commentateurs de médias de grand chemin, qui ont parlé tour à tour de « pathologie », de « maladie » ou même de « lèpre populiste » (Emmanuel Macron).
Le premier coup de semonce fut la victoire du « non » au référendum de 2005, suivie de la confiscation du même vote avec l’adoption du traité de Lisbonne par le Parlement. Ce vote traduisait l’ampleur du fossé (sociologique et idéologique) qui sépare dorénavant une classe dirigeante européiste, urbaine et « gagnante » au jeu de la mondialisation, contre des catégories populaires patriotes, habitant la France périphérique et toujours plus précarisées. Le peuple ressentit aussi cette confiscation de la « souveraineté populaire » sur la question de l’immigration, qui, en l’espace de deux générations, passa – par le regroupement familial (décret de 1976) et le renforcement des flux – d’une immigration de travail à une immigration de peuplement. Confrontées à l’arrivée de ces masses extra-européennes (insécurité, délinquance, vie quotidienne en voie d’islamisation, etc.), les catégories populaires ont ressenti ce phénomène comme un abandon de la part des élites. Le populisme n’est que le cri d’une nation contre un système cherchant à la détruire culturellement, démographiquement et sociologiquement.
À cause du libre-échange, des délocalisations, de la mise en concurrence, de la métropolisation, de la tertiarisation du marché et de l’entrée des masses salariales et sous-payées du tiers-monde ou de l’Europe de l’Est, les travailleurs, agriculteurs et ouvriers français sont les grands perdants de la mondialisation. Et la fin de la lente ascension des classes moyennes est un autre signe inéluctable de la crise terminale de la démocratie libérale. Si ce système cache de moins en moins son caractère antidémocratique, c’est parce qu’il voit que la crise organique du régime s’accentue. Tout cela pousse la classe gouvernante traditionnelle à rassembler ses différents représentants en un parti unique, à réorganiser le pouvoir d’une manière – de plus en plus ouvertement – autoritaire, dictatoriale.
Avoir une vision sociale de notre situation politique n’élude absolument pas la question identitaire. Un vrai mouvement national-populiste défend autant le mode de vie (identitaire) que le niveau de vie (social). Son but est de répondre à ces fractions du peuple toujours plus grandes qui se sentent incomprises, grand-remplacées, exclues, moquées. Dans un récent sondage Ifop pour Valeurs actuelles13, la possibilité d’une victoire de Marine Le Pen, aux élections de 2027, confirme la « montée en puissance du bloc populaire14 ». Et la différence d’accueil, au Salon de l’agriculture, entre Macron et Bardella, démontre que la possible victoire du Rassemblement nationale devient un fait social.
Fait intéressant, alors qu’il était empêché d’inaugurer ce même salon pendant plusieurs heures à cause du chaos, Macron, en s’en prenant au RN, a craché sa valda sur le clivage de fond : l’opposition Europe/France. Le chef de l’État déclarait donc : « Il y a des gens qui sont venus pour mener une campagne politique et faire monter le Rassemblement national. Le RN c’est le parti du Frexit. S’il n’y a pas d’Europe, il n’y a pas d’agriculture. » Ces paroles nous rappellent celles d’Alain Minc, le 4 décembre 2023, sur France Culture, qui rappelait que si Marine Le Pen « veut accéder au pouvoir », la vraie question qui importe serait de savoir si elle accepte de « dire comme Mme Meloni : l’Alliance atlantique est fondamentale, la construction européenne est fondamentale, et la politique budgétaire doit demeurer raisonnable. »
Le clivage politique de demain opposera les nations illibérales à l’Europe libérale. Si les premières se présenteront comme les garantes de la fermeture des frontières, du protectionniste, du souverainisme, du patriotisme et du principe de souveraineté populaire, la seconde prendra le contre-pied en continuant de défendre la notion d’indidivu, les quatre libertés fondamentales, l’État de droit, l’ouverture des frontières, l’accueil des immigrés, les traités de libre-échange, le régime parlementaire et le cosmopolitisme. Messieurs les identitaires, à vous de faire votre choix !
1. Un exemple parfait est celui de la diaspora turque en Allemagne. Voir l’article du Figaro intitulé : « Comment la communauté turque à façonner l’Allemagne contemporaine ». https://www.lefigaro.fr/international/comment-la-communaute-turque-a-faconne-l-allemagne-contemporaine-20231117.
2. https://www.revue-elements.com/pierre-romain-thionnet-souverainete-versus-identite-une-opposition-factice-lapport-theorique-du-general-poirier/
3. Le dernier rapport de l’École de guerre économique (EGE) : Ingérence des fondations politiques allemandes et sabotage de la filière nucléaire française, met en lumière les intérêts économiques divergents de la France et de l’Allemagne.
4. Jeudi 13 octobre 2023, lors d’un discours au Collège d’Europe, à Bruges, le chef de la diplomatie européenne Josep Borrel a décrit l’Union comme un « jardin » face au reste du monde qui serait pour lui « une jungle ». « L’Afrique est-elle encore une jungle destinée uniquement à meubler le jardin de quelqu’un d’autre comme elle l’a douloureusement été ? », a réagi sur Twitter Redwan Hussein, conseiller principal du Premier ministre éthiopien. L’analogie est d’autant plus contre-productive que le Kremlin n’a pas manqué de détourner la formule de Borrell, sur le thème du « jardin » construit par le pillage de la « jungle ».
5. Sur YouTube, voir la vidéo : « Stupeur sur Cnews. Sébastien Beraud, agriculteur en Haute-Loire, balance tout. »
6. « Exister c’est combattre ce qui me nie. »
7. La tribune s’intitule : « Notre seule utopie raisonnable » : https://legrandcontinent.eu/fr/2024/01/01/notre-seule-utopie-raisonnable-cercas/
8. François Denord et Antoine Schwartz, L’Europe sociale n’aura pas lieu, Paris, Éditions Raisons d’agir, 2009.
9. Prenons le cas des barrages hydroélectriques. Première source d’énergie renouvelable, la France envisage depuis plusieurs années de réformer la régulation de son parc hydroélectrique, Bruxelles l’ayant mise en demeure à plusieurs reprises d’ouvrir à la concurrence ses concessions, aujourd’hui très majoritairement exploitées par EDF.
10. L’article en question : « Réponse d’un “beauf” à Houtia Bouteldja. L’indigène, c’est moi », pour Éléments.
11. Dans un entretien pour La Croix, Jérôme Fourquet, alors qu’il revient sur son livre La France sous nos yeux, explique ce phénomène : « Que voit-on ? L’américanisation du pays. Le développement de la société de consommation. La désindustrialisation. La montée d’un modèle économique post-productif, de logistique et de consommation, d’immobilier, de tourisme. L’avènement d’une société de loisirs et du temps libre. L’ouverture des références culturelles. »
12. Comme l’an dernier, Spotify, la plateforme de streaming musical, a divulgué les artistes et les titres les plus écoutés, et le rap français truste les meilleurs places. Autre fait intéressant : le samedi 27 janvier 2024, lors du lancement de la campagne européenne organisée par Les Jeunes avec Bardella, l’entrée du président du Rassemblement national se fit sur le tube « Bande organisée » (chanson chantée par plusieurs rappeurs marseillais).
13. Valeurs actuelles, « [Exclusif] Présidentielle 2027 : Marine Le Pen l’emporterait au second tour face à Gabriel Attal selon un sondage Ifop ». 14. Sur le site de la revue Livre Noir, l’article de Jérôme Sainte-Marie intitulé : « On assiste à la montée en puissance du bloc populaire ! »