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Décence commune sous COVID-19

« Les chroniques d’une fin du monde sans importance » vous manquaient ? Xavier Eman reprend du service, coronavirus ou pas. Le confinement tel que vous ne le verrez jamais au journal télévisé…

Les gyrophares de police bleuissaient la tombée de la nuit. Quelques fonctionnaires aux mines graves, alertés par un honnête et vigilant citoyen, dressaient les procès verbaux de deux mères de famille qui s’étaient attardées à discuter en bas de l’immeuble, entourées de leur marmaille excessivement nombreuse et non respectueuse des distances de sécurité. Dans quelques minutes, les électeurs de Macron allaient applaudir à leur fenêtre les personnels soignants qu’ils trouvaient outrageusement payés il y a trois mois. Tout était pour le mieux dans le meilleur des mondes confinés.

François, lui, revenait du supermarché, assez satisfait de sa récolte du jour. Il était en effet parvenu à devancer sur le fil une petite vieille en déambulateur qui allait se saisir de l’ultime paquet de coquillettes Lustucru cuisson 8 minutes. Grâce à ce trophée, il disposait désormais d’un stock de pâtes de 50 kilos, de quoi raisonnablement voir venir. Il avait également raflé trois boîtes de thon, aliment qu’il exécrait au plus haut point, mais dont la presque totale disparition des rayons démontrait l’impérieuse nécessité de stockage. Il avait ensuite admonesté un pauvre hère totalement inconscient (ou un nihiliste criminel ? Il n’avait pas tranché…) qui tâtait différents fruits pour tenter de discerner lesquels étaient les plus mûrs, puis avait réglé ses achats à la caisse automatique pour éviter au maximum tout contact humain inutile.

François n’avait jamais beaucoup aimé sa vie, ni bien compris à quoi elle servait, mais, curieusement, l’idée que celle-ci fût soudainement abrégée l’inquiétait beaucoup. À vrai dire, cette perspective lui était même franchement insupportable. Il entassait donc précautionneusement la nourriture et les rouleaux de papier toilette depuis que le gouvernement avait affirmé qu’il n’y aurait aucune rupture de ravitaillement de quelque ordre que ce soit.

Lui qui fumait deux paquets de Gauloises par jour portait un masque chirurgical acheté hors de prix sur Amazon, cette plateforme mondialiste et esclavagiste qu’il dénonçait avec vigueur dans une récente diatribe postée sur les réseaux sociaux. Ses mains brunies par le tabac étaient maintenant également crevassées par les innombrables et énergiques frictions au gel hydro-alcoolique.

Il a la gastro, votre putain de clébard ? 

En pénétrant dans le hall de l’immeuble, il croisa Madame Huguette, sa voisine du 7e, qui sortait son chien. Cette salope utilisait ce prétexte pour aller se balader au moins 4 ou 5 fois par jour, bravant ignominieusement toutes les recommandations. François lui jeta un regard noir avant de lui demander rageusement : « Il a la gastro ou quoi, votre putain de clébard ? » Apeurée, la petite vieille accéléra le pas pour quitter les lieux…

– « Ha les gens… les gens ! » se lamenta François en se dirigeant vers sa boîte aux lettres dont il retira, de sa main gantée, le journal du jour et quelques factures. Une fois rentré chez lui, il passerait  tout cela quelques minutes, au four, thermostat 1, afin de tuer les éventuelles bactéries, profitant de ce temps pour frotter ses semelles de chaussures au vinaigre blanc. Une fois ces diverses opérations réalisées, il pourrait se faire réchauffer un des plats surgelés qui encombraient son congélateur (les pâtes c’était vraiment « au cas où… ») et reprendre la lecture de son ouvrage favori : Le traité du rebelle d’Ernst Jünger.

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