Le magazine des idées
Anna Novikova, aujourd’hui incarcérée, et Christian Rol.

De SOS Donbass à Fresnes : l’invention de l’« espion russe »

L’ironie du sort n’est pas toujours drôle. Surtout lorsque la réalité rejoint la fiction. Tandis que je mettais un point final à mon roman intitulé « Boulette russe », l’histoire vaudevillesque d’un reporter russophile empêtré dans un coup monté par les services français, j’apprends l’arrestation d’Anna Novikova et Vincent Perfetti par la DGSI qui, sans autre forme de procès – c’est bien le mot –, les a placés en détention à Fleury et Fresnes.

Le lundi 17 novembre 2025, à 6 heures du matin, la porte des domiciles respectifs d’Anna Novikova et de Vincent Perfetti est enfoncée. La presse fait état de quinze à vingt agents armés, gilets pare-balles, fusils-mitrailleurs.

Le 20 novembre, après quarante-huit heures de garde à vue sans avocat ni nouvelles pour les familles, ils passent devant un juge d’instruction dont on ignore encore le nom jusqu’à ce jour. Anna est écrouée à la maison d’arrêt de Fleury-Mérogis (bâtiment Peupliers, écrou n° 494701), Vincent Perfetti, lui, est envoyé à Fresnes.

Outre que j’ai dressé le portrait de ces deux personnages dans un numéro d’Éléments, les présentant comme des volontaires humanitaires de l’association SOS Donbass, ils sont également les personnages de ce roman vrai, inspiré de faits réels.

Récit d’une cabale programmée

Vincent est surtout un ami personnel rencontré dans le cadre de nos activités en faveur de la Russie au point que quelques jours avant ce coup de grisou, je l’entretenais encore de l’opportunité pour lui de m’accompagner dans le Donbass où je devais me rendre. Séjour que j’annulai au dernier moment tant il est vrai que l’annonce de son arrestation me fit penser que la mienne n’était pas lointaine. Mon interpellation à Roissy, de retour du Donbass, n’était pas complètement exclue.

Quant à Anna, j’ai écrit avec elle un livre (non publié) dans lequel elle revient sur sa vie en Russie et son arrivée en France où elle vivait sereinement jusqu’en 2022 avant de prendre fait et cause pour la paix et l’aide humanitaire en fondant SOS Donbass.

Nos rôles respectifs sont donc bien modestes. Je suis un mémorialiste, un reporter dilettante qui se rend parfois en Russie pour rendre compte de la réalité. Vincent et Anna, eux, acheminent des camions de marchandises destinés aux estropiés, aux enfants et autres civils du Donbass victimes des offensives de l’armée ukrainienne. Et parfois, ainsi que cela fut monté en épingle, ils collent des affiches stipulant que la Russie n’est pas notre ennemi.

Je pourrais dresser ici la liste des preuves qui attestent que mes amis ne sont pas des « espions » ni même des agents d’influence mais, sans nullement parler en leur nom, il m’apparaît que se justifier ou s’expliquer, c’est déjà accorder à l’ennemi une part de crédibilité.

Quant au « droit », arguties juridiques et autres justifications oiseuses, j’ai prié mes amis juristes de m’en épargner la litanie. Anna, Vincent et leur « complice » (Vyacheslav P., un Russe de 40 ans) sont otages de la raison d’État, ni plus ni moins. Et aucun avocat, fût-il brillant et combatif, ne les libèrera de l’arbitraire puisque les lettres de cachet ne sont pas, dans ce cas, une vue de l’esprit.

Car la seule explication valable à ces incarcérations, explication que m’inspirait un ami français vivant à Moscou, tient au fait qu’un certain Laurent Vinatier, chercheur français et « spécialiste de l’espace post-soviétique », est détenu en Russie depuis un an et demi pour des activités pas très nettes d’après les Russes. Ce Français croupit dans la prison moscovite de Lefortovo, connue pour accueillir des détenus visés par des affaires à résonance politique. Au moment où la DGSI arrêtait nos amis à la mi-novembre, l’avocat français de Vinatier s’inquiétait, le mercredi 26 novembre dernier, que son procès prévu pour février ne soit celui d’un « agent français » ; auquel cas il risquerait dix ans au bas mot.

Voici donc le contexte qui invite à en conclure que l’arrestation d’Anna, Vincent et le troisième homme est ni plus ni moins un bras de fer diplomatique entre la France et la Russie et que les deux ressortissants russes détenus en France sont la monnaie d’échange pour faire libérer Vinatier.

Kompromat

Une fois qu’on a établi cette évidence, on comprend mieux les enjeux de ce Kompromat qui, n’en doutons pas, sera monté en épingle lorsque les circonstances le commanderont. Alors, les journalistes mis à contribution, ceux-là même qui nous expliquaient il y a quelques semaines que SOS Donbass est un nid d’espion et Anna une dangereuse Mata-Hari, iront de nouveau au front pour convaincre madame Michu et les boomers invertébrés que nous sommes la cinquième colonne du Kremlin en France. Deux ou trois images innocentes montrant Anna et Vincent en train de coller des affiches à la gloire de France-Donbass alimenteront une psychose initiée et entretenue par les services ukrops et français, main dans la main. Chaque jour passant révélera une nouvelle « information » concernant nos amis, désormais « espions ». Les preuves manqueront ? Et alors ?

Même les voisins du couple, sollicités par les télés, débineront à la demande. Comme la dernière fois. « Ils disaient bonjour mais étaient distants. On sentait bien qu’ils n’étaient pas très nets », confiait une ménagère bête à bouffer du foin, le regard fuyant, la bouche tordue par la méchanceté gratuite de la délation. Ses quelques secondes de gloire à la télé étaient l’apothéose d’une vie de grisaille et de médiocrité. La même bonne femme, dans d’autres circonstances, eut pareillement balancé les aristos sous la Révolution, les Juifs sous l’Occupe et les collabos durant l’Épuration. La haine gratuite défigurait la face revêche de cette ordure ordinaire. Les médias et l’air du temps lui soufflaient la réponse en sachant qu’elle ne rechignerait pas à collaborer puisqu’elle n’avait que ça à foutre.

Ils sont des millions comme elle, plein les patelins du pays réel. Dupont Lajoie for ever !

Décidément, vive la Russie !

© Photo : Anna Novikova, aujourd’hui incarcérée, et Christian Rol.

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