On avait déjà connu à Constantinople la querelle sur le sexe des anges, alors même que les troupes ottomanes se massaient sous les murs de la capitale assiégée du très chrétien empire romain d’Orient. L’assaut final devait déboucher sur l’instauration de la Sublime Porte musulmane qui, durant 470 ans et plus, règnerait – brièvement abolie en 1923, avant de renaître dans les années 2010 sous le règne du sultan Erdogan Premier.
À Canterbury, donc, dans le sein même de la Rome anglicane, on phosphore dur sur la manière de répondre aux défis auxquels est confrontée la société britannique. Et la priorité, c’est de surfer sur la vague woke et donc d’interroger, comme on dit aujourd’hui, le genre du/de la créateur⸱rice du/de la ciel⸱le et de la/du terre mère/père.
Certes, tout ne va pas pour le mieux dans la société britannique (ça n’a rien à voir d’ailleurs avec le Brexit). On va atteindre les 25 % de taux de pauvreté ce trimestre. Quinze millions de personnes arbitrent chaque jour entre manger et se chauffer. À 16,7 % sur un an (à la fin janvier), l’inflation des prix alimentaires est galopante. Les prix de l’énergie électrique, du fuel domestique et du pétrole lampant sont devenus tellement inaccessibles que l’on se chauffe au bois avec de vieux poêles ou des braseros bricolés. Le phénomène est si préoccupant que le gouvernement vient de réactiver une amende de 300 livres sterling pour les citoyens qui chauffent au bois leur logement dans les ZFE britanniques (oui, ils ont ça aussi chez eux, des zones à faible émission énergétique ; l’important c’est de sauver la planète, même si on se pèle les miches. Comme a dit Anne Hidalgo au maire de Kiev, l’important quand vous reconstruirez la capitale, ce sera de faire toute sa place à la mobilité douce et en particulier au vélo). En revanche, il y a un espoir : rouvrir les mines de charbons tuées par Margaret Thatcher il y a quarante ans.
Dieu est-il un escargot ?
C’est vrai aussi que, question troupes ottomanes sous les murs, les Brits sont déjà au stade post-1453 de Constantinople. Les Paki occupent le terrain et il n’y a plus qu’eux au gouvernement.
C’est vrai aussi qu’une Église, a fortiori autocéphale donc nationale, pourrait manifester une inquiétude légitime devant les risques humains et matériels qu’entraîne la folie guerrière du Royaume. C’est bien joli de s’amuser à poser des pétards sur les gazoducs, mais l’armée est à l’os, peine à recruter (la France et les États-Unis aussi, on se console comme on peut), et n’a plus ni armement terrestre ni munitions. Le Premier Ministre vient de promettre à Zelenski trente canons chenillés de 155 mm de plus que ce que l’Angleterre immortelle avait déjà fourni, et il a fallu qu’un officier désigné de corvée par ses supérieurs aille murmurer à l’oreille du chef : « M’sieur, je vous demande pardon si je m’excuse, mais on a un problème ; on n’en a plus aucun en stock, zéro, nib, que dalle ; on a déjà tout donné et l’armée n’a plus d’artillerie automotrice. Si vous voulez, on peut essayer de restaurer les canons en bronze de Buckingham Palace… »
Mais foin de ces billevesées ! Revenons à nos priorités, le genre de Dieu !
Portons en premier lieu au crédit de l’Église anglicane une grande ouverture d’esprit sur la question de l’égalité des sexes. Il y a longtemps que des femmes peuvent être pasteurs. Il est vrai que l’égalité homme-femme a été reconnue par la société il y bien longtemps à travers les droits politiques, grâce aux suffragettes. Certains esprits chagrins diront qu’on observe quelques réticences « sociétales » au phénomène, car, si l’on en croit Paul Morand, rien en Angleterre n’est prévu pour les femmes, rien, vous dis-je, même pas les hommes (comprenne qui pourra…).
Enfin bref, la question est : comment va-t-on dorénavant dire Good Lord ?
Une personne peu au fait de l’étiquette et des usages opterait pour Good Lady. Mais cela serait une hérésie, car la Lady est l’épouse d’un Lord, et l’on ne peut raisonnablement accepter que Dieu soit l’épouse de Dieu, car l’on trouverait confronté à une aporie logique, au moins dans le monde des espèces mammifères. Le problème serait plus simple à trancher si Dieu était un escargot. Après tout, c’est peut-être une piste ?
Donc, on pourrait appeler Dieu Dame, le titre que porte un citoyen britannique de genre femelle honoré du statut de Lord à titre personnel, héréditaire ou viager.
Question : peut-on être simultanément Lord et Dame ?
Sauf à retenir l’hypothèse du Dieu gastéropode à coquille qui a des mœurs changeantes en fonction du partenaire, c’est délicat. Mais voilà que le wokisme états-unien nous ouvre une piste encourageante : la fluidité sexuelle divine. Femelle à matines, mâle à grand-messe, trans à vêpres, et fluide à chaque récitation du chapelet (un grain noir, mec ; un grain blanc, nana).
Question subsidiaire : quid de l’Église catholique romaine, car, après tout, les anglicans ne sont pas des hérétiques, mais de simples catholiques schismatiques du fait de leur statut d’Église autocéphale ; et les questionnements anglicans pourraient sans difficulté être soumis à la sagesse pontificale romaine !
Là, un obstacle surgit. Depuis le XIe siècle et en réaction contre le précédent scandaleux de l’élection de la papesse Jeanne, le droit canon prévoit une condition à la validité de l’élection d’un nouveau pape appelé à régner (araignée, quel drôle de nom pour un pape…). Avant toute proclamation d’un résultat promis par l’émission d’une fumée blanche, il est prévu un examen probatoire visant à vérifier que duos habet et bene pendentes. Pour ceux qui ne maîtrisent pas les subtilités de la langue de Cicéron et de saint Thomas, ça veut dire qu’il lui en faut une paire et qu’elles pendouillent correctement.
Peut-être doit-on réformer le droit canon.
Conclusion, les Ottomans sont dans les murs et tout va bien.
Conclusion subsidiaire, comment les Anglais expriment-ils cette vérité éternelle : « Si ma tante en avait, on l’appellerait mon oncle ? »
If my grandmother had wheels, she would be a bike.
Dieu est vélo ! Alléluia ! Hosanna Hidalgo in aeternis deo !