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David Niven ? Hollywood vu par un gentleman anglais…

David Niven ? Hollywood vu par un gentleman anglais…

Il y a chez David Niven une sorte de grâce, subtil mélange de distinction et de dilettantisme, mais non dénué d’acuité. D’où ses souvenirs (David Niven, « Mémoires », Séguier) qui dressent le très lucide portrait de l’industrie hollywoodienne du siècle dernier.

Si l’on résume, cet acteur n’a porté qu’assez peu d’attention à sa carrière, tels qu’en témoigne le champ de navets en tenant lieu ; un véritable potager, dira-t-on. Pour escalader un tel Himalaya de je-m’en-foutisme, il faut au moins aller chercher du côté de Roger Moore, le très peu concerné interprète de l’agent 0071. On vous laisse imaginer les altitudes… Et pourtant, cet homme est de ceux, à l’instar d’un Richard Burton, dont les mémoires sont tout aussi jubilatoires3 qui n’avait lui aussi que foutre du Septième art, dont le capital de sympathie est toujours demeuré intact. Pourquoi ? Peut-être parce qu’au contraire d’un Marlon Brando, acteur imprégné jusqu’au-delà du supportable de la fameuse méthode de l’Actor studio, forgerie du dément Lee Strasberg, David Niven a toujours su demeurer naturel, à la ville comme à l’écran, tel qu’en témoigne ce pavé rassemblant deux autobiographies depuis longtemps introuvables et ici disponibles en un seul et épais volume.

Un homme engagé… mais sous les drapeaux

Il y évoque évidemment sa vie, son œuvre et le cinéma parce qu’il le faut bien ; mais c’est surtout le regard qu’il porte sur ce dernier qui vaut le détour. Commençons plutôt par le commencement. Né d’un père anglais et d’une mère française, James David Graham Niven est, dès son plus jeune âge, prêt à tout et bon à rien. Renvoyé de toutes les écoles, même celles dont les directeurs sont les plus compréhensifs, il finit par intégrer une armée, dont il se fait tôt renvoyer pour insubordination et insolences à répétition. Il s’en va ensuite, faute de mieux, aux USA, où il fait commerce du whisky tout en se risquant au rodéo et à jouer à l’homme-canon dans un cirque mexicain, sans laisser de traces impérissables en ces trois disciplines. Beau gosse, mine hautaine et moustache arrogante, il ne tarde pas à faire son trou à Hollywood. D’abord figurant, il apparaît rapidement en second rôle dans de grosses productions, dont les plus fameuses demeurent La Charge de la brigade légère, de Michael Curtiz (1931) et Les Hauts de Hurlevent, de William Wyler (1939). Puis, survient la Seconde Guerre mondiale. Contrairement à la majeure partie des membres de la colonie d’acteurs anglais, peuplant confortablement les collines de Beverly Hills, David Niven s’engage sous le drapeau de l’Union Jack, ce qui lui vaudra l’occasion de rencontrer un certain Winston Churchill qui, lors d’un dîner mondain donné en pleine guerre, attend la fin du repas pour venir le saluer et lui dire à peu près ceci : « Jeune homme, gronda-t-il, vous avez fait une chose admirable, abandonner une carrière très prometteuse pour venir défendre votre pays. » David Niven : « J’avais conscience que les grands et presque grands présents dans la salle étaient restés debout et écoutaient avec intérêt. Je bafouillai une réponse idiote, et Churchill reprit, une lueur malicieuse dans l’œil : “Et notez bien que si vous ne l’aviez pas fait, vous auriez été méprisable.” Puis, il retourna à son siège à pas de charge. » On a vu pis comme leçon de vie et de dignité. Notons qu’en France, hormis deux Jean, Gabin et Marais, ayant risqué le feu, et quelques égarés dans la Collaboration, la plupart de nos beautiful people campèrent sur un attentisme militant. Gageons que leurs actuels héritiers putatifs ne prendraient même pas les armes, si d’aventure, il prenait l’idée saugrenue à la principauté de Monaco de nous envahir…

Marchands de bobines

Puis, en gentleman parfaitement détaché, mais au regard tout aussi affuté qu’amusé, le voilà qui, verre de scotch à la main, comprend tout avant tout le monde du système des studios et les liens, à la fois troubles et consanguins entretenus avec cette presse à scandale faisant alors office de réseaux sociaux. Au sommet de la pyramide à ragots, règnent deux princesses noires, Hedda Hopper et Louella Parsons : « Comparées à Lucrèce Borgia, lady Macbeth et autres, Louella et Hedda n’étaient que des joueurs de réserve, mais, avec leurs soixante-quinze millions de lecteurs dans le monde entier, elles détenaient un pouvoir énorme. » Pour tout arranger, Louella affiche dix automnes de plus que Hedda. On imagine la concurrence entre les deux chipies… En attendant, malines comme pas deux, elles font boire leurs informateurs, se contentant toutes deux de sodas ; du coup, les révélations publiées sont souvent approximatives, voire parfois mensonges montés de toutes pièces. Malgré leur différence d’âge, les deux commères affichent toutes deux un puritanisme militant, traquant les aventures extraconjugales, réelles ou supposées, des uns et des autres. Une mauvaise rumeur colportée sur la fidélité maritale de l’acteur Joseph Cotten vaut même à Hedda un vigoureux coup de pied au cul administré par l’offensé, en pleines agapes mondaines… Leurs deux principales cibles ? Orson Welles pour Louella Parsons et Charlie Chaplin pour Hedda Hopper. Pourtant, David Niven en dresse leur portrait tout en demi-teintes : « Ni l’une ni l’autre n’aurait pu décrocher un diplôme universitaire, ni même obtenir de bonnes notes en grammaire, et la plupart de leurs croisades ne furent que du gaspillage de papier. » Et pourtant, poursuit-il : « Ce qui est sûr, c’est que, pour elles, Hollywood était sacré et que, jour après jour, elles s’efforcèrent de préserver cette prestigieuse structure de corruption, de peur, de talent, de triomphes ; ce consortium de manufactures de rêves débitant du spectacle pour des millions de gens. […] Leur action ne fut peut-être pas très bienfaisante – elle ne fut pas nuisible non plus. Il vaut mieux que leur ait été épargné le spectacle de l’ancien géant Metro-Goldwyn-Mayer qui, dans les affres de la mort, vendit aux enchères les souliers de danse de Fred Astaire, le soutien-gorge d’Elizabeth Taylor et l’arc-en-ciel de Judy Garland. » Et poète, avec ça…

Goldwyn, roi de cette jungle

Cette époque où les grands studios faisaient pluie et beau temps, David Niven en a connu les heures glorieuses, puis les derniers jours qui l’étaient déjà moins. Des acteurs et des actrices, liés par de léonins contrats de sept ans, les obligeant à tourner tout et n’importe quoi, et à se laisser échanger entre des moguls dirigeant ces mêmes studios d’une main de fer gantée d’acier clouté. De cette race de titans disparus, Samuel Goldwyn demeure sûrement le plus emblématique. Rigoureusement inculte, mais doté d’un instinct hors-normes et d’un indéniable amour du cinéma, notre mémorialiste écrit de lui : « Ce fut longtemps une habitude, pour les jaloux et les faux jetons de la jungle hollywoodienne, d’essayer de ridiculiser et de ravaler Goldwyn en fabriquant de trop faciles “goldwynismes”… “En deux mots, c’est im-possible”, “Un contrat verbal ne vaut pas le papier sur lequel il est écrit”, “Beaucoup d’eau a pissé sous les ponts depuis lors.” » Authentiques ou apocryphes ? Qu’importe, finalement ; ce d’autant plus qu’à Hollywood, entre la légende et la réalité, la première a toujours eu le dessus. Et David Niven d’aller à l’essentiel : « Pour comprendre Goldwyn, il fallait savoir qu’il n’avait qu’une passion : faire des films dont il pouvait être fier ; en dehors des quelques moments qu’il passait dans l’intimité de sa famille, chaque minute de sa vie était consacrée à cet unique but. »

À la fin, celle d’un monde… Celui de la tyrannie des studios. Des reîtres certes, mais qui aimaient leur métier et savaient faire des films ; et pas des moindres. Il n’est pas sûr qu’avec le fameux “Nouvel Hollywood”, le cinéphile y ait forcément gagné au change. Steven Spielberg et Georges Lucas ? Passer de Duel (1971) à ET (1982) pour l’un ; de THX 1138 (1971) à La Menace fantôme (1999) pour l’autre… Deux mousquetaires partis en guerre contre l’antique système des studios, pour désormais accoucher trop souvent d’un cinéma destiné aux vendeurs de pop-corn et autres marchands de jouets.

Marre des grimaces

Voilà qui explique peut-être le désamour de David Niven vis-à-vis de sa carrière, lui qui malgré ses minces états de service sur grand écran, fréquenta les plus grands tout en n’étant jamais véritablement dupe de lui-même. Greta Garbo ? Une amie intime de sa seconde femme, Hjördis Genberg, suédoise elle aussi. Quand la grande Garbo passe des week-end chez eux, elle aime à se baigner nue dans la piscine, au grand bonheur des enfants – Comme première femme nue, les miens se sont tout de même rincé l’œil avec Garbo, écrit-il en substance. Et quand madame Niven peine à la cuisine, la diva se presse aux fourneaux avant de mettre la table pour toute la famille. Un soir, David Niven lui demande pourquoi elle a arrêté le cinéma. Elle répond, tout simplement : « J’avais fait assez de grimaces. » La classe.

David Niven, Mémoires, Séguier, 950 p., 24,90 €.

1. Roger Moore, Mémoires, First.
2. Richard Burton, Journal intime, Séguier.

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