L’été, les apparences sont parfois tueuses. Cet été, Dario Argento hante l’Ecoles cinéma club (Paris, 5e) avec de superbes copies de ses films fraîchement restaurées par la Cinémathèque de Bologne.
Comment présenter ces pépites du film de genre ? Le plus simple est de citer un des personnages de Quatre mouches de velours gris (1971) : « Parfois, ce que tu vois réellement se mélange dans la mémoire à ce que tu imagines voir – comme un cocktail dont tu ne parviendrais plus à distinguer les différentes saveurs. » Si le coupable se trahit dans un reflet de miroir, trop rares sont les spectateurs à l’œil assez exercé pour le confondre.
Voir, croire reconnaître, imaginer : le triptyque hitchcockien hante les gialli d’Argento magnifiquement mis en image par le chef op’ maniériste Vittorio Storaro. Parmi la rétrospective, on retiendra la trilogie animalière L’oiseau au plumage de cristal, Le chat à neuf queues et Quatre mouches de velours gris pour son réalisme onirique.
Au début des années 70, le spectateur y croise des serial killers qui n’ont jamais guéri de leur enfance, des journalistes plus roués que la police et même un Jean-Pierre Marielle efféminé s’empiffrant dans un bar turinois. https://www.dailymotion.com/video/x8dgvrn
Par-delà les intrigues, aux dénouements abracadabrantesques, Argento distille des motifs. Comme un peintre, il fait des lieux ses personnages. Une Turin ténébreuse, à la beauté crépusculaire, studio de cinéma à ciel ouvert, illumine ainsi plusieurs de ses films, dont le chef-d’œuvre Profondo rosso, dont le titre français (Les Frissons de l’angoisse) piétine le lyrisme. Quel aficionado n’a pas cherché la Villa Scott sur les hauteurs de Turin ? David Hemmings et Daria Nicolodi ne peuvent hélas plus en déchiffrer les mystères…
La « caméra-stylo » d’Argento
On s’épuiserait vainement à reproduire les synopsis des huit films d’Argento projetés au quartier latin. Les ritournelles d’Ennio Morricone alternent avec les musiques des Goblins pour suivre les mouvements de caméra. Le rythme s’accélère, ralentit, puis s’emballe de nouveau à mesure que l’enquête progresse. Lorsque le coupable rôde, la caméra suit ses mouvements, cahote, hésite et s’arrête brusquement. Le parrain de la Nouvelle Vague Alexandre Astruc avait théorisé la « caméra-stylo ». Argento la manie en maestro du suspense.
Embrassant l’irrésistible beauté du crime, dont Nietzsche regrettait que nul assassin ne l’invoque pour sa défense, Argento ne cède jamais au manichéisme. Ses personnages d’enfants se montrent tantôt innocents, tantôt cruels avec leurs semblables. La famille n’y est ni un enfer ni un paradis, mais une fabrique de névroses, voire plus si affinités…
En ces années de freudo-marxisme triomphant, il s’amuse à questionner la prédestination génétique au meurtre (Le chat à neuf queues), le traumatisme d’enfance (Profondo rosso) et la soif de sang féminine (L’oiseau au plumage de cristal). Entre deux marionnettes maléfiques, on se surprend parfois à rire du ridicule de certaines scènes, notamment érotiques, aussi grotesques que peut l’être la vie.
Malgré l’ennui profond que m’inspire Suspiria (1977), je sauverai l’Argento de la maturité, auteur du formidable Phenomena (1985) avec Jennifer Connelly en adolescente extralucide. Dans le huis-clos d’un pensionnat suisse, l’actrice américaine déploie un talent précoce, rendant crédible son personnage de jeune fille qui communique avec les insectes et élucide une série de meurtres aidée d’un chimpanzé. Le tout sous les riffs des Goblin.
Le projectionniste n’attend plus que vous. À vos écrans !