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Chine contre États-Unis : vers la bimondialisation

Chine contre États-Unis : vers la bimondialisation

La Chine s’émancipe de plus en plus de l’Occident en général et des États-Unis en particulier. C’est ce que Alice Ekman appelle la « bimondialisation », deux mondes séparés qui poursuivent chacun de leur côté leur propre développement. Champs communs, le laboratoire d’idées de la reterritorialisation de Guillaume Travers, se penche sur le phénomène.

La « bimondialisation » ? C’est un néologisme heureux que forge Alice Ekman pour désigner le découplage progressif de l’ordre mondial entre, d’une part, les États-Unis et leurs alliés et, d’autre part, la Chine et son « cercle d’amis » de plus en plus large. En toile de fond, c’est la lutte pour la suprématie mondiale au XXIe siècle qui se joue.

Alice Ekman donne de nombreux éléments utiles. D’abord, sur la manière dont la Chine voit l’ordre mondial, et sur sa montée en puissance sur la scène géopolitique depuis l’accession au pouvoir de Hu Jintao en 2002, et plus encore depuis la mainmise de Xi Jinping sur le pays. Désormais, la Chine n’a plus pour ambition quasi unique de se développer intérieurement par l’économie ; elle se projette de plus en plus massivement sur la scène du monde. Mais elle ne le fait pas à l’américaine. Elle ne propose pas au monde des valeurs supposées universelles, au nom desquelles les peuples pourraient être libérés. Elle affirme une vision multilatérale de l’ordre mondial – se présentant comme défenseur de l’ensemble des pays en développement, comme un pays qui n’a jamais colonisé. Elle élargit son influence en affirmant l’existence d’une « voie propre » chinoise, et en élargissant par cercles concentriques le réseau de ses alliés stratégiques.

La souveraineté technologique chinoise

En même temps qu’elle pénètre les grandes organisations internationales historiquement sous influence américaine, la Chine édifie aussi des institutions alternatives, à l’image de la Banque asiatique d’investissement pour les infrastructures (AIIB), créée en 2014. Et, peut-être plus encore, elle noue des partenariats avec nombre de pays pour leur offrir des solutions technologiques ou médicales (à l’image des vaccins durant la crise du Covid), et même des solutions d’aide au « maintien de l’ordre ».

C’est peut-être sur ce dernier point que l’ouvrage est le plus intéressant. Car, en offrant des solutions technologiques à un nombre grandissant de pays, la Chine leur livre un sous-bassement infrastructurel alternatif aux infrastructures traditionnellement américaines ou sous influence américaine : systèmes de paiement, réseaux de téléphonie et d’Internet, 5G, cloud, etc. Pékin a conscience de l’importance cruciale de ces infrastructures pour l’avenir de l’ordre mondial. Aujourd’hui, ces infrastructures sont celles qui permettent aux États-Unis d’imposer des sanctions dans le monde entier et de faire prévaloir l’extraterritorialité de leur droit. En offrant des infrastructures alternatives au monde, la Chine protège un nombre grandissant d’acteurs des sanctions américaines.

Depuis plusieurs années, Xi Jinping a conscience qu’une telle ambition requiert une capacité chinoise bien plus grande à l’autosuffisance en matière scientifique et stratégique. Alice Ekman cite de nombreux faits récents, qui témoignent de cette prise de conscience : retrait d’entreprises chinoises des bourses américaines (pour échapper à des formes de supervision ou de contrôle de gestion jugés trop intrusifs), objectif d’autonomie en matière de composants électroniques, remplacement de dizaines de millions d’ordinateurs de l’État et des entreprises d’État pour qu’ils ne soient plus américains, contrôle accru des fournisseurs des entreprises stratégiques chinoises, paiement d’une partie du pétrole importé d’Arabie S$saoudite en renminbi. La bimondialisation est en marche.

Alice Ekman, Dernier vol pour Pékin, L’Observatoire, 2022, 240 p., 22 €.

Retrouvez Guillaume Travers dans Champs communs, le laboratoire d’idées de la reterritorialisation : www.champscommuns.fr

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