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CBD : la France accro au bien-être

CBD : la France accro au bien-être (1/2)

Malgré ses vapeurs nauséabondes, le salon du CBD (cannabidiol), qui se tient porte de Versailles, ne sent pas le soufre. Sous mille déclinaisons, VRP, charcutiers et brasseurs nous promettent le bonheur sans ordonnance. Qu’il est loin le temps où les paradis artificiels devaient mener à la révolution. A l’ère du vide, le culte du bien-être facilite la domestication des masses. Reportage (1ère partie).

L’âme des poètes traverse les époques. Si le haschich avait autrefois Baudelaire, il se contente désormais de Booba. Dans son morceau Illégal, le rappeur à la gâchette aussi facile que les rimes pousse loin le lyrisme : « J’me lave le pénis à l’eau bénite/ J’vais rentrer au pays/Marié, quatre grognasses qui m’obéissent/ Avant d’avoir le net, tu surfes sur la pisse/ J’ai été, j’suis malhonnête, ramène tes seufs sur la piste/ 92 soupapes dans le moteur, un peu de weed.»

La vague se ralentit

Lorsqu’il ne saccage pas l’aéroport d’Orly pour régler ses comptes avec un concurrent, le barde exploite sa marque La Piraterie. Outre la vente de musique, Booba commercialise du whisky, du papier à rouler et du cannabis. Des graines interdites en France que les promeneurs du salon du CBD sont invités à acheter sans les faire (illégalement) germer. Autant exiger des acheteurs de godemichés qu’ils les admirent sagement en vitrine…

Au fait, vous avez dit CBD ? Ayant pour nom barbare cannabidiol, cette substance active est issue du chanvre. Réputée apaisante, elle est distribuée dans des magasins qui envahissent nos villes. Le président de l’Union des professionnels du CBD Charles Morel a fait le compte : « Il y a environ deux mille boutiques de CBD en France. La filière réalise un chiffre d’affaires de 2 milliards d’euros et représente 15 000 emplois ». L’engouement pourrait cacher une bulle prête à éclater, comme ce fut le cas du marché la cigarette électronique. Or, si Paris intramuros dénombre 130 CBD shops, « le marché est dans une phase de stabilisation en 2023. La phase d’explosion qu’il y a eu entre novembre 2020 et le printemps 2022 s’est ralentie », précise le lobbyste.

Chez les camelots du roy CBD

Quoi qu’il en soit, les allées du Salon parisien du CBD réservent de bien curieuses rencontres. Porte de Versailles, malgré l’odeur tenace de stupéfiant, on croise davantage de cadres reconvertis – avocats, « commerciaux » et autres startuppers – que d’altermondialistes à dreadlocks. De trop rares hurluberlus secouent ce marché mondialisé. Sur fond de reggae et de gangsta rap (quelle cacophonie !), les camelots du roy cannabinoïde mêlent dans leur brouet arguments écolos, culte du bien-être et vernis post-soixante-huitard.

Affairistes ou passionnés, tous connaissent quelques rudiments de botanique, de chimie… et de droit. Ouvert par un arrêt de la Cour de justice européenne de novembre 2020 puis officiellement légalisé en France depuis janvier 2022, l’usage du CBD obéit à des règles strictes. L’arrêté ministériel du 30 décembre 2021 autorise ainsi la culture, l’importation, l’exportation et la commercialisation des espèces de cannabis au taux de THC maximal de 0.3%. En langage courant, cela signifie que les produits vendus ne doivent pas dépasser 0.3% de substance psychotrope et appartenir au catalogue des variétés légales. Ledit arrêt interdisait formellement l’usage et la vente des fleurs et feuilles de chanvre, coupant l’herbe sous le pied de la plupart des professionnels du CBD. Or, le Conseil d’Etat a annulé l’arrêté par sa décision du 29 décembre 2022 en invoquant la nature non-psychotrope du cannabinoïde. 

Avis aux femmes enceintes !

« 70% de notre clientèle consomme les fleurs », reconnaît la sémillante Mélanie, directrice de la communication de High society, fournisseur de 30% du marché français. Hypocrite ou inconséquent, le gouvernement français proscrivait donc la principale méthode d’extraction du CBD. Est-ce vraiment pour « plaire à un électorat très conservateur », comme le croit la ravissante working girl ? Plus prosaïque, le professeur Jean Costentin explique la volonté de prohibition des fleurs par la difficulté à en contrôler la provenance. « Rien n’empêche de présenter sur le dessus du bocal des fleurs de cultivars à taux très bas de THC et de mettre en dessous du cannabis normal », indique l’auteur de Toxicomanies : sauvons la jeunesse (JDH, 2021). A priori inoffensif chez l’adulte, le CBD pourrait développer l’anxiété et la perte de mémoire spatiale chez la progéniture d’une femme enceinte allaitante, comme le suggère une expérience menée sur la souris1.  

Légaliste et routinier, le cadre dynamique en quête de remèdes naturels contre le stress est dans son élément Porte de Versailles. Des effluves entêtants embaument le pavillon de senteurs familières aux administrés de la start-up nation. Les amateurs de voyage en Orient y reconnaîtraient le parfum de la meloukhiya, ce ragoût de corète prisé en Tunisie et en Egypte. La verdeur de sa poudre rappelle les boulettes d’herbe exposées au salon par des marketeurs experts en tendances.  L’Ernst Jünger d’Approches, drogues et ivresse paraît bien loin. Le cœur aventureux exhumait volontiers l’étymologie du konabos, « mot grec qui désignait le vacarme » avant de se plonger dans quelque conte oriental.  (A suivre)

1Developmental cannabidiol exposure increases anxiety and modifies genome-wide brain DNA methylation in adult female mice », Nicole M. Wanner, Mathia Colwell, Chelsea Drown & Christopher Faulk. Clinical Epigenetics, 2021.

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