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Carnet de bord d’un néo-urgentiste au temps du coronavirus #9 : aux urgences, une nette recrudescence des motifs psychiatriques

Membre de la rédaction d’Éléments depuis plus de vingt ans, le docteur François Delussis est neurologue dans un hôpital de la région Rhône-Alpes. En direct des urgences, il nous livre son carnet de bord quotidien et observe une nette recrudescence des motifs psychiatriques.

Jeudi 9 avril

Dans le secteur « non-Covid » des urgences, on assiste à une nette recrudescence des motifs psychiatriques, qu’il s’agisse de crises d’angoisse, de dépressions, de tentatives de suicide. Plusieurs décompensations psychotiques également, chez des patients schizophrènes, qui ne bénéficient plus, de la part de leurs infirmiers, d’autant de visites à domicile que d’ordinaire.

         En ce qui concerne l’aggravation des états anxieux, une patiente de trente ans, aux beaux traits réguliers mais au regard fuyant, explique très bien que le fait de ne pas pouvoir sortir à tout moment de chez elle lui est devenu insupportable. Elle s’est peu à peu persuadée qu’elle « couvait le virus » et en est venue à chronométrer sans cesse le rythme de sa respiration, le notant soigneusement sur un carnet. L’augmentation ce matin du rythme l’amène aux urgences. Pendant l’entretien, elle s’arrête à plusieurs reprises de parler pour reprendre le compte de ses expirations, en comptant sur ses doigts. Elle n’a aucun signe respiratoire vrai, mais ses troubles obsessionnels semblent à ce point envahissants qu’il nous faut quand même la garder. Elle en était arrivée à ne plus s’alimenter correctement, car cela l’empêchait de compter.         

         Les deux patients extubés hier en réanimation, n’ont pas eu besoin de recourir à nouveau au respirateur. Ils ont été transférés en secteur conventionnel. Ces deux ouvriers de la même entreprise de décolletage se disent épuisés. L’un s’exclame qu’il a eu beau « rester au lit deux semaines à ne rien faire », il a l’impression d’avoir travaillé d’arrache-pied, comme l’été dernier, où une diminution du personnel avait accéléré les cadences. L’autre plaisante au sujet de ses épaules qui ont fondu et qui le font flotter dans ses vêtements. 

Carnet de bord d’un néo-urgentiste
• Lundi 30 mars et Mardi 31 mars – Coronavirus #1
• Mercredi 1 avril – Coronavirus #2 : la tension monte à l’hôpital
• Jeudi 2 avril – Coronavirus #3 : le manque de place l’oblige à des choix draconiens
• Vendredi 3 avril – Coronavirus #4 : « Dans mon hôpital, 43 travailleurs médicaux sont infectés par le virus. »
• Samedi 4 avril – dimanche 5 avril – Coronavirus #5 : vols de masques à l’hôpital
• Lundi 6 avril – Coronavirus #6 : Beaucoup d’entre nous « pensent Covid », « mangent Covid », « dorment Covid »
• Mardi 7 avril – Coronavirus #7 : Aujourd’hui, on a reçu un dessin d’une fillette de 8 ans pour nous remercier d’avoir « sauvé son papa »
• Mercredi 8 avril – Coronavirus #8 : affecté au «secteur Covid» des urgences, avec des patients agités et récalcitrants

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