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Carnet de bord d’un néo-urgentiste au temps du coronavirus #21 : « Des patients désorientés par des autorités médicales télévisuelles proférant tout et son contraire »

Membre de la rédaction d’Élémentsdepuis plus de vingt ans, le docteur François Delussis est neurologue dans un hôpital de la région Rhône-Alpes. En direct des urgences, il nous livre son carnet de bord quotidien. Jour 21: Des patients désorientés par des autorités médicales télévisuelles proférant tout et son contraire.

Vendredi 24 avril

Jour de pause aujourd’hui, avant la garde de la nuit prochaine. Nous sommes désormais, pour chaque garde aux urgences, sans compter les internes, 8 médecins en première ligne, plus 4 autres à domicile pouvant intervenir en renfort, soit plus du double que d’ordinaire.

Harcelés par des medias ne sachant qu’osciller entre prescriptions autoritaires et festival de poncifs, désorientés par des autorités médicales télévisuelles proférant tout et son contraire, d’autant plus facilement qu’ils ont depuis longtemps abandonné la pratique clinique, les patients ou leur famille nous demandent régulièrement ce qu’il faut penser de telle recommandation, de tel traitement, de telle rumeur.

On sent chez eux, le plus souvent, beaucoup plus de compréhension sereine, beaucoup plus de philosophie en somme, que les échauffourées de plateaux télé ou de réseaux sociaux, ne pouvaient le laisser présager. Il est toujours rassérénant d’être plongé dans la vraie vie plutôt que dans sa falsification médiatique.

Le principe du protocole de soins

Prenant acte de ce qui semble certain, et de ce qui reste méconnu, chacun d’entre nous répond selon sa conviction, son expérience, ses habitudes. Car si le principe même du protocole de soins demeure utile, et parfois même nécessaire (on aimerait bien savoir comment conduisent les lanceurs d’anathèmes contre toute idée de procédure : refusent-ils crânement de vérifier leurs rétroviseurs ? Dénoncent-ils le fait de débrayer avant de changer de vitesse ? Haussent-ils les épaules devant un feu rouge avant de passer outre ?), il faut parfois savoir s’en extraire (il peut être parfois vital de ne pas respecter un stop, ou de laisser la priorité à gauche). Les règles en médecine évitent beaucoup d’erreurs, de divagations, d’impasses, mais les considérer comme inviolables, ne jamais savoir s’en écarter, peut aussi être délétère.

Il y a ainsi les traitements homologués, qui ont fait leur preuve, mais peuvent soudain se révéler néfastes ou inutiles, ceux qui sont d’efficacité ou de tolérance plus limitées mais savent parfois se révéler nécessaires, ceux dont on ne sait presque rien et dont le choix implique une certaine dose de croyance personnelle. On est là bien loin du monde en noir et blanc que tous les virologues d’un soir et les épidémiologistes d’un matin, bâtissent à longueur d’interviews outrées et d’éditoriaux définitifs.

Carnet de bord d’un néo-urgentiste
• Lundi 30 mars et Mardi 31 mars – Coronavirus #1
• Mercredi 1 avril – Coronavirus #2 : la tension monte à l’hôpital
• Jeudi 2 avril – Coronavirus #3 : le manque de place l’oblige à des choix draconiens
• Vendredi 3 avril – Coronavirus #4 : « Dans mon hôpital, 43 travailleurs médicaux sont infectés par le virus. »
• Samedi 4 avril – dimanche 5 avril – Coronavirus #5 : vols de masques à l’hôpital
• Lundi 6 avril – Coronavirus #6 : Beaucoup d’entre nous « pensent Covid », « mangent Covid », « dorment Covid »
• Mardi 7 avril – Coronavirus #7 : Aujourd’hui, on a reçu un dessin d’une fillette de 8 ans pour nous remercier d’avoir « sauvé son papa »
• Mercredi 8 avril – Coronavirus #8 : affecté au «secteur Covid» des urgences, avec des patients agités et récalcitrants
• Jeudi 9 avril – Coronavirus #9 : aux urgences, une nette recrudescence des motifs psychiatriques
• Vendredi 10 avril – Coronavirus #10 : l’hôpital administre l’hydroxychloroquine après discussion collégiale
• Lundi 13 avril – Coronavirus #11 : la colère d’une infirmière devant le manque de moyens de l’hôpital
• Mardi 14 avril – Coronavirus #12 : cette liste des symptômes du Covid-19 qui n’en finit pas
• Mercredi 15 avril – Coronavirus #13 : « Dans notre service, quatre aides-soignantes ont été touchées par le Covid-19. On attend les résultats pour la cinquième »
• Jeudi 16 avril — Coronavirus #14 : hors du protocole, le doute diagnostic n’a plus sa place
• Vendredi 17 avril — Coronavirus #15 : « Cette pandémie n’a pas fait disparaître les autres pathologies »
• Samedi 18 – Dimanche 19 avril — Coronavirus #16 : gestion de la pénurie : blouses, masques, lits, tout manque à l’hôpital !
• Lundi 20 avril — Coronavirus #17 : baisse des patients atteints par le Covid-19 aux urgences
• Mardi 21 avril — Coronavirus #18 : « Je sais que c’est la fin », me dit un patient, étonnement calme
• Mercredi 22 avril — Coronavirus #19 : Retour progressif à la normale ou simple accalmie ?
• Jeudi 23 avril — Coronavirus #20 : « Ce matin, la police est intervenue aux urgences pour disperser des gitans venus en nombre »

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