1348-2020. D’un confinement à l’autre. En 1348, la peste bubonique pénètre dans les faubourgs de la capitale toscane, ce qui lui vaudra le nom de peste de Florence. Près de sept cents ans plus tard, le Covid-19 débarque en Europe via la Lombardie. Rien de comparable si on s’en tient au nombre de morts ; tout, si on ne retient que les mots. D’un bout à l’autre du sablier du temps, ce sont les mêmes destins individuels, les mêmes jeux de l’amour et du hasard. Boccace en a tiré cent nouvelles plus frémissantes que jamais, réunies en bouquet dans ce feu d’artifice qu’est le Décaméron (1349-1353), le plus riche tableau de la société médiévale à l’aube de la Renaissance. Pas un contemporain, pas une peinture du Trecento qui n’en égale la variété, la vitalité, la vérité. Sous les scénettes tour à tour soyeuses, drôles, cocasses, pendardes, profondes, magiques, percent déjà les romans de Balzac, les nouvelles de Tchékhov. L’humanité grouillante et remuante, aimable et détestable. Sur l’amour par temps de confinement, Boccace a tout dit. Il nous laisse une ode indémodable à Éros alors que Thanatos (la mort) assombrit le ciel des hommes.
Boccace, le Bocuse de l’amour
Les féministes devraient le relire pour voir combien leur révisionnisme étriqué a tout d’une légende noire. Battues, violées, humiliées, il apparente l’histoire des femmes à un interminable martyre. À tout prendre, c’est une insulte à la mémoire de nos mères et de nos grands-mères. Qui pourrait croire qu’elles furent aussi sottes, aussi dociles, aussi serviles ? Non, Mesdames, les idiotes, c’est vous !
Relisez « l’apologue des oies » qui ouvre le Décaméron. Un père et son fils vivent loin de Florence sans autre compagnie qu’eux-mêmes, nulle femme à l’horizon. Quand le fils vient pour la première fois au marché de Florence, son père le met en garde contre la gent féminine : ce sont des oies ! Mais bécasses ou pas, le pouvoir de la nature est plus fort que toutes les ruses de l’esprit, prévient Boccace. « Mon père, tranche le fils, je vous prie de faire en sorte que j’ai une de ces oies. »
Les féministes ressemblent au vieux monsieur usé de l’apologue ; duègnes flétries, elles ne disent pas autre chose des hommes. Fuis-les, jeune fille, ce sont des boucs ! Dénonce-les, ce sont des porcs ! Nenni, vieilles peaux de chien, vieux sacs d’os desséchés ! Le pouvoir de la nature ici aussi est plus puissant que toutes les ruses que vous empruntez à votre ressentiment de chasseuses de sorciers, à votre avidité de Gorgones du féminisme, ces créatures maléfiques de la mythologie grecque aux cheveux entrelacés de serpents menaçants. Il ne vous manque plus qu’une « Maman Doc », comme à Haïti, pour ressembler à votre caricature, vous qui avez déjà les Tatas macoutes. Coupe-coupe !
Marlène Schiappa, la fille cachée de Maïté, matrone des fourneaux
Dieu merci, les femmes ont écouté Boccace qui n’écoutait que l’élan vital qui l’habitait, pas les féministes qui n’écoutent que leur ventre stérile. Confinées, elles n’ont pas vécu en recluses du sexe, elles ont relancé la machine à aimer, à étreindre, à reproduire. L’homme dans la femme, la femme dans l’homme.
Alors, baby-boom ou pas baby-boom ? On en saura plus dans neuf mois, mais d’ores et déjà on sait que les ventes de tests de grossesse ont bondi en France : + 6 % la première semaine de confinement, + 18 % la deuxième, + 28 % la troisième, + 32 % la quatrième, + 37 % la cinquième. Après, plus personne n’a daigné nous communiquer ces chiffres de peur d’offenser la dignité blessée du féminisme. On n’a plus parlé que des violences faites aux femmes, érigées en grande cause nationale par Marlène Schiappa, la fille cachée de Maïté, la matrone et doyenne des émissions culinaires au physique de camionneuse.
Entre deux communiqués gouvernementaux sur les gestes barrières, Marlène Schiappa est parvenue à glisser son dispositif d’Alerte femmes battues. On n’a plus entendu qu’elle. Une harengère des ondes, notre secrétaire d’État chargée de l’Égalité entre les femmes et les hommes et de la lutte contre les discriminations. Elle fonce dans le tas, enfonce les portes confinées et défonce le reste. Le bulldozer de la cause des femmes, elle qui rêve d’assommer les mecs comme Maïté assommait les anguilles vivantes, à grands coups de mortier de pilon. On l’aime bien malgré tout, Marlène. D’abord elle défend les femmes, pas seulement les lesbiennes. Pour casser les pieds de son père trotskiste, elle a même voulu revêtir à vingt ans l’uniforme de la gendarmerie. Nous gendarmer, c’est d’ailleurs ce qu’elle fait le mieux.
« Tea for two, two for tea »
Marlène Schiappa a pensé à tout. Des numéros verts, des psys, des brigades policières dévolues, des bureaux des pleurs, des usines à gaz lacrymal. Pour celles qui trouveraient qu’on n’en fait pas encore assez, il y a même une « appli » (App-Elles). Pour celles qui rateraient les arrêts de bus à la demande la nuit, il y a même Uber – qui a beaucoup à se faire pardonner (des milliers de violences sexuelles dans ses VTC) – qui offre des trajets gratuits pour aller déposer plainte – contre Uber ?
Bilan des violences après un mois et demi de confinement : moins de « féminicides », mais cinq fois plus de signalements, 36 % de plaintes supplémentaires et 48 % d’interventions au domicile en plus.
Mais ce n’est rien à côté du « chef-d’œuvre » de Marlène. Non de code : « Masque 19 ». C’est le mot de passe que devaient souffler les femmes battues à l’oreille de leurs pharmaciens transformés en auxiliaires de police et receveurs de plaintes…
– Masque 19…
– Hein, c’est-y quoi comme molécule, Madame ?
Pauvres apothicaires, qui devaient déchiffrer, entre un réassort de gel hydro-alcoolique et une commande de granules anti-constipation, les appels au secours de leurs clientes. « Masque 19 », ça évoque les messages codés de Radio Londres ou le signe de reconnaissance dans La Grande Vadrouille quand Louis de Funès et Bourvil doivent retrouver dans les vapeurs d’un bain turc « Big Moustache » himself de la Royal Air Force en sifflotant l’air de « Tea for two ». On voit ça d’ici.
– Are you ?
– You are ?
On imagine bien que les pharmaciens n’ont enregistré aucun signalement.
« Elles cousent, ils causent »
Un peu plus efficaces, les points d’accompagnement éphémères installés dans les centres commerciaux. Eux ont recueilli durant le confinement 316 plaintes émanant de femmes victimes de violence conjugale, 60 d’hommes et 25 d’enfants. Des hommes, tiens, tiens ! On n’en parle guère. Pour 121 femmes tuées par leur conjoint ou leur « ex » en 2018, on compte 28 hommes tués par leur conjointe ou leur « ex ». Les hommes battus, nouveau fléau du couple ?
Savez-vous qu’il y a chaque année 82 000 hommes qui subissent coups, traitements dégradants et autres atteintes sexuelles de la part de leur dulcinée chérie ? Chiffre très largement sous-évalué, sachant qu’on estime à seulement 2 % le nombre d’hommes victimes de violence conjugale qui déposent plainte (contre 15 % pour les femmes).
Dur-dur d’être un garçon ? N’en croyez rien, vous qui imaginiez que le coronavirus frappait surtout les hommes (ce qui au passage aurait dû définitivement régler la question de la théorie du genre. En tuant 2,4 plus les hommes que les femmes en Chine, n’a-t-il pas rappelé que la différenciation sexuelle n’était pas une stratégie masculine ou une construction sociale, mais bel et bien une affreuse fatalité physiologique ?) Eh bien non ! Le coronavirus a aussi frappé de plein fouet les femmes, en les renvoyant à la popote, à la couture et à l’éveil des enfants, au grand désespoir des cousines Bette et des taties Danielle du féminisme. « Elles cousent, ils causent », se lamentent-elles. Diantre ! Les travaux d’aiguille ne sont-ils pas l’apanage des femmes depuis Pénélope ? Horreur ! Machiste, va, sexiste, féminicidaire !
Vous allez voir : bientôt les deux « Caro », la de Haas et la Fourest, vont nous ressortir le péril germanique des « trois K », « Kinder, Küche, Kirche », « enfants, cuisine, église ». Le signe de croix à l’église et le chemin de croix partout ailleurs. Brrr !
Divorce à la chinoise
On a beaucoup glosé sur la vague de divorces en Chine, au vu des files d’attente, pas seulement devant les funérariums de Wuhan, mais devant les bureaux d’état civil où la procédure d’enregistrement des divorces est une formalité, guère plus d’une demi-heure. Mais rien dans les statistiques chinoises ne vient étayer cette information. En outre, la fin du confinement a coïncidé cette année avec la fin du Nouvel an chinois, traditionnellement marquée par un pic de divorce. Les autorités chinoises ont même laissé filtrer des informations relativisant les premiers chiffres. « On a reçu des demandes de divorce de gens qui l’ont regretté ensuite », confie un agent d’état civil chinois. C’est le « Je t’aime un peu, beaucoup, passionnément, à la folie, pas du tout » à la sauce pékinoise. De toute façon, le divorce surviendra. N’est-il pas lui aussi inscrit dans le processus d’obsolescence programmée ? En France, près de 45 % des mariages finissent ainsi.
« C’est la même odeur de fer à repasser, de poudre de riz et de médicaments, les mêmes papillotes le matin, et les mêmes illusions. » Ah, cette phrase de Tchékhov dans Le Duel, une fois qu’on l’a lue, elle s’imprime définitivement. Impossible de s’en défaire. Il y a toujours un moment dans la vie d’un couple où sa petite musique entêtante revient visiter les garçons. Les femmes ont sûrement la leur, peut-être comme Anna Karénine, un détail physique jusque-là passé inaperçu et qui fixe subitement une aversion définitive pour le mari (les longues et vilaines oreilles de son époux pour Anna). Il entraîne souvent chez les femmes des conséquences plus lourdes. La preuve par le divorce, à la chinoise ou pas. L’initiative en revient la plupart du temps à la femme (plus de deux fois sur trois).
La femme au foyer, une invention tardive
Dans un de ses livres, Un refuge dans ce monde impitoyable, La famille assiégée (1977), qui évite le double écueil du féminisme et du maréchalisme, le grand historien des mœurs Christopher Lasch – maître à penser de Michéa, avocat d’un idéal de vie populiste marqué par le goût de l’indépendance, l’amour des valeurs familiales et la défense de la petite propriété et des solidarités concrètes – a démontré, à rebours des habituels clichés, que le modèle de la « femme au foyer » est une invention de la modernité tardive, souvent un choix des femmes, qui n’est jamais que la conséquence de la diffusion du modèle de la famille nucléaire. Ce modèle s’est généralisé à partir des années 1950 aux États-Unis parallèlement à l’essor des banlieues pavillonnaires. C’est dans ce nouvel habitat que les femmes devinrent pour le coup d’authentiques femmes d’intérieur. La vie familiale – et d’abord la vie féminine – s’est dès lors organisée non plus autour de la vie communautaire de quartier, mais autour du vide des centres commerciaux.
À l’usage, ce modèle pavillonnaire, d’abord plébiscité par les femmes, perçu comme une oasis et un havre de paix, se révélera pareil à un « camp de concentration confortable ». Solitude et ennui. Tout sera bon pour les tromper : alcoolisme, aventures sexuelles, fixation obsessionnelle sur les enfants, gâtés, blasés, bientôt cyniques et résignés, qui grossiront les rangs de la très surfaite Beat Generation. « Les encouragements typique des beats (encouragements et louanges mutuels) – “C’est génial !” “Vas-y, mec !” – ne témoignent pas d’une grande conviction », rectifie le merveilleux Lasch. La série Desperate Housewives n’en sera que la version mastérisée au goût des années 2000. Au XIXe siècle, on a pu parler d’un « empire de bienfaisance » à propos des femmes américaines. Cet empire n’était pas seulement l’apanage des épouses de la bourgeoisie, libres de leur temps par la grâce d’un personnel de maison abondant, mais aussi de la petite bourgeoisie qui pouvait s’appuyer sur un riche tissu d’entraide de quartier. La vie des Américaines se déployait alors autour d’un dense réseau d’organisations philanthropiques : Églises, mouvements abolitionnistes, ligues antialcooliques, etc. Ce qui faisait dire au polémiste et journaliste à succès Thomas Beer : « La femme du Midwest est devenue une date du calendrier social américain, une terreur pour les éditeurs, l’espoir des sociétés missionnaires et la proie des conférenciers. » Ce temps-là est révolu. L’empire de la malfaisance féministe a tout recouvert. Le divorce est bel et bien prononcé.
Prochain article : Biopolitique du coronavirus (13). Au bon plaisir de l’immigration : nique ta mère et rodéos sauvages
Biopolitique du coronavirus (1). La leçon de Michel Foucault
Biopolitique du coronavirus (2). Le patient zéro et l’infini
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Biopolitique du coronavirus (4). L’immunodéficience des élites
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