Dans un billet, Samuel Paty s’est suicidé, j’avais soutenu qu’on se trompait d’analyse sur la mort de ce professeur d’histoire-géographie décapité par un « réfugié » tchétchène. Par-delà la personnalité ou les qualités humaines et professionnelles de l’individu Samuel Paty, la question est collective, puisque politique. Majoritairement – et quand bien même les exceptions ne manquent pas (mais elles sont isolées) –, la communauté enseignante milite de manière constante et indifférenciée, au niveau intellectuel, politique et syndical, pour l’accueil de l’Autre, l’ouverture au Monde, l’enrichissement indéfini de notre société issue des saintes Lumières par la tolérance, la bienveillance, le dialogue apaisé et fécond des cultures, la promotion des Droits de l’homme universel et tutti quanti.
Hélas, l’apôtre le mieux intentionné peut se trouver confronté à un individu ou un groupe qui n’adhèrent pas à ce message de dialogue et de tolérance, et qui conforment leurs actions à des valeurs et des impératifs catégoriques – non kantiens, en l’espèce – qu’ils jugent supérieurs à ceux de leur interlocuteur… Et là, ô sommet d’incompréhension et de douleur, il s’avère futile de déclarer au barbare : « J’ai signé la pétition pour les migrants de Calais » ; « J’ai voté pour Benoît Hamon » ; « Je suis adhérent au SNES (variante : au SGEN-CFDT) ». Et là, donc, l’apôtre expire dans un dernier propos, copié-collé d’une déclaration d’un hiérarque macronien ou d’un porte-parole de l’Élysée :« Ils n’ont pas compris, j’ai dû manquer de pédagogie ! »
De SOS Racisme à la France « Orange mécanique »
Non, la victime ne meurt pas de manque de pédagogie, mais de défaut de cohérence et de déni du réel, et « Dieu se rit des hommes qui déplorent les effets dont ils chérissent les causes ». Il ne sert en effet à rien de répéter : « Je t’aime… » à quelqu’un qui répond : « Moi non plus ! » Malgré les sottises de la génération Peace and Love, pour faire l’amour, il convient que les deux parties soient d’accord entre elles. En revanche, on peut unilatéralement déclarer la guerre à l’autre, même pacifiste. C’est simple, la vie. Il n’y a que les intellectuels qui la compliquent (par intérêt de classe, c’est leur fonds de commerce).
Donc, le prof de gauche qui se fait égorger par un faux-mineur vrai-Tchétchène s’est un petit peu suicidé… Et tant pis si mes propos m’ont attiré des critiques. Je manque à ce point de compassion et de charité (aujourd’hui on dit « empathie », mais je n’aime pas ce mot parce qu’il est trop proche de « pathos ») que je vais récidiver.
À l’époque de la marine en bois, la première chose qu’on apprenait à un mousse fraîchement embarqué, c’est qu’il ne faut jamais jeter face au vent les épluchures de la cuisine, ni pisser de même, parce que le tout vous revient dans la figure. C’est simple, la vie, vous dis-je…
Un nouveau « fait divers » vient nous rappeler la pertinence du propos du marin. Je déplore et réprouve profondément l’agression barbare et les violences physiques et psychologiques dont ont été victimes Bernard Tapie et son épouse à leur domicile, de la part de barbares privés de tout sur-moi moral et social. L’âge des deux victimes et l’état de santé de Bernard Tapie constituent à l’évidence des faits aggravants accablants. Dans cette France « Orange mécanique », ce n’est plus d’ailleurs un « fait divers », mais une occurrence particulière d’un fait général, l’ensauvagement de la France et la déshérence de l’État régalien, qui appellent des réponses drastiques1.
Tu m’aimes, moi non plus !
Le plus intéressant politiquement dans cette agression, c’est la tentative, grotesque et navrante de naïveté, de Bernard Tapie de raisonner les agresseurs. S’en prendre ainsi à un ancien ministre de la Ville (sous-entendu : dilapidateur de milliards de francs pour repeindre les cages d’escalier et financer les assoc’ et les copains de Harlem Désir), appelé au secours par Dieu (François Mitterrand), pour s’associer aux efforts méritoires de la génération Touche pas à mon pote, un homme engagé dans une lutte à mort contre le racisme et Jean-Marie Satan-Le Pen ? Mais vous n’y pensez pas ! Cela fait quarante ans que je vous aime !
Exactement le propos affolé du prof de gauche devant le couteau du sacrifice !
Et là, qu’est-ce qu’il répond, le gentil voleur agresseur « racisé » ?
« Va te faire enculer, ce temps-là est mort » (sic), selon les déclarations publiques du fils de Bernard Tapie).
Tu m’aimes, moi non plus !
Bernard Tapie, vous êtes le fruit de la révolution morale de 68 et, au fond, je vous plains d’entrapercevoir à votre âge l’échec de votre vie publique toute entière. C’est dommage, mais vous auriez dû lire La mort de Danton de Georg Büchner. Vous auriez su que:
La Révolution, comme Saturne, dévore ses propres enfants.
Lionel Rondouin
1. Cf. Fondements philosophiques de l’autodéfense
© Capture d’écran : Émission L’Heure De Vérité du 12 juin 1990. À l’époque Bernard Tapie était président de l’Olympique de Marseille et député des Bouches-du-Rhône.