C’est en 1942, sur les hauts plateaux du Minas Gerais, dans la ville de Barbacena au Brésil, que Stefan Zweig et Georges Bernanos se rencontrent. Ces deux auteurs majeurs du XXe siècle s’entretiennent, alors que la Seconde Guerre mondiale dévaste l’Europe, fondement de leur culture. Origine, pensée, parcours, tout les oppose. Rien ne prédestinait le juif humaniste et le catholique errant à dialoguer, « le réfugié du nazisme » à se confier au « romancier des ténèbres à la réputation d’antisémite ». Sébastien Lapaque nous livre un récit basé sur un long travail d’enquête et de recherches historiques au sujet des séjours respectifs de Zweig et Bernanos au Brésil. De son travail minutieux de plus de deux décennies, ce fin connaisseur de l’œuvre de Bernanos extrait un dialogue imaginaire et recrée les mots échangés par les deux Européens en exil. Ils confrontent leurs visions du monde diamétralement opposées : à l’optimisme lucide en l’humanisme et en un possible monde apaisé de Zweig, répond la colère de Bernanos contre la servilité, la pleutrerie et la compromission de la démocratie et de ses dirigeants. À leurs réflexions sur l’exil succèdent celles sur la quête de sens devant l’effondrement de la civilisation européenne. Les dialogues sont percutants et précis, les discours passionnés exposent le gouffre infranchissable qui sépare les deux écrivains. À mi-chemin entre l’essai historique et le roman, Échec et mat au paradis retrace avec brio les drames historiques et intimes de ces deux géants des lettres européennes : de la résistance à l’exil, de l’engagement à la solitude intérieure. L’érudition de Sébastien Lapaque éclaire les convictions propres à chacun des protagonistes, tandis que son talent d’écrivain leur donne vie dans un dialogue fictif. Depuis leur exil brésilien, Zweig et Bernanos se rencontrent ainsi dans une confrontation d’idées aussi profonde qu’improbable.
Sébastien Lapaque, Échec et mat au paradis, Actes Sud, 336 p., 22,50 €.