Pas la peine de faire tout un pataquès sur la remigration en convoquant le retour des années trente, Adolf Hitler, Vladimir Poutine ou les-heures-les-plus-sombres-de-notre histoire. La remigration, ça n’est jamais qu’un mélange audacieux d’Aimé Césaire et de Charles Pasqua. Aimé Césaire parce qu’il est l’auteur du Cahier d’un retour au pays natal, manifeste barrésien de la négritude et du Black Power identitaire. Et Charles Pasqua parce qu’il a inventé les charters « back to bled » !
Les plus jeunes n’ont pas connu Pasqua et pourtant ils l’auraient adoré. C’était un bestiau politique comme on n’en fait plus, avec un sourire de canasson à soulever les foules d’hilarité, des faux airs de Fernandel qui aurait fait une apparition dans Le gendarme de Saint-Tropez, pourvu d’un assortiment inépuisable d’histoires drôles et d’anecdotes croustillantes, le tout servi avé un accaing dont il jouait comme d’un trombone dans une œuvre de musique de chambre, fût-elle une chambre haute, où il a siégé quasiment toute sa vie. Il était né pour barbouzer et il a barbouzé dans tous les avatars du RPF : UNR, UDR, RPR. Il s’est arrêté à l’UMP. C’était trop pour lui. Pas un mauvais coup où il ait fourré son nez. Il valait mieux l’avoir avec soi que contre soi. Mais impossible de lui en vouloir. C’était le roi des punchlines couillues, une sorte de youtuber d’avant l’ère des youtubers. Plus un génie du verve que du verbe. Il chantait juste et parlait faux, ou l’inverse.
La remigration en classe économique
C’est lui qui a inventé la formule Paris-Dakar aller simple en charter, bref la remigration en classe économique. Il plaçait les clandestins dans des avions en tamponnant sur l’étiquette des bagages : retour à l’expéditeur. Roissy-Conakry. Zou, et on n’en parle plus. Malheureusement on ne parlait plus que de cela. Les socialo-communistes en tête – c’est ainsi qu’on les appelait en cette année 1986 où Mitterrand était à l’Élysée, Chirac à Matignon et Pasqua place Beauvau – qui lançaient l’habituelle ritournelle du fascisme. À la fin, tout le monde lâchait Pasqua, jusqu’à Pasqua le mou qui lâchait Pasqua le dur.
Alors, mission impossible, la remigration ? Si un type comme Pasqua, qui aurait pourtant vendu des lunettes à un aveugle, n’est pas parvenu à le faire, qui le fera ? « Mes détracteurs, blaguait-il, ont commencé à s’opposer aux charters. La police de l’air a négocié avec la SNCF, on a parlé de train de la honte. Si on décidait d’utiliser les bateaux, on évoquerait l’Exodus. Il ne nous reste donc, en réalité, que l’autobus ou le vélo ! » Sache-le, Éric : il ne nous reste que l’autobus et le vélo. Je sais bien qu’ils sont désormais électriques, mais quand même ça en fait un paquet à fabriquer ! Il faudrait peut-être veiller à ce que les usines de bicyclettes soient implantées en Afrique : ainsi ceux qui rentreraient au pays y trouveraient un travail qui permettrait à d’autres de faire la même chose qu’eux dans une jolie boucle de rétroaction. La remigration apparaîtrait pour ce qu’elle est réellement : un cercle vertueux. Comme une saine relocalisation des activités humaines.