ÉLÉMENTS. Vous préfacez L’Île aux trente cercueils, une préface significativement intitulée « Éloge du (Le)blanc ». Le racialisme s’inviterait-il dans le champ littéraire ? À en juger par toutes les affaires qui nous arrivent des États-Unis, il semblerait que oui. Que vous inspirent-elles d’ailleurs, toutes ces affaires – et au premier chef cette adaptation grandguinolesque des Lupin ? Est-on face à un cas caractérisé de faux et usage de faux ?
RÉMI SOULIÉ : Notre époque est si paradoxale qu’elle porte au moins autant à la franche rigolade démocritéenne qu’à l’ouverture des écluses lacrymales héraclitéennes. La florissante économie du marché « antiraciste » tire en effet ses principaux bénéfices de l’import-export de la race. C’est une nouvelle traite transatlantique assez intéressante à observer, d’autant plus qu’elle repose, si j’ose dire, sur une monnaie de singe éminemment fictive puisqu’aux dires de ses faux-monnayeurs, la race n’existe pas. La meilleure preuve, c’est que nous l’avons rayée des documents officiels, à la stalinienne (fils des Lumières et du socialisme scientifique, nous sommes néanmoins redevenus des adeptes de la pensée magique, comme les sauvages et les primitifs : la suppression du mot supprime la chose) : un type est sur une photo, un coup de Photoshop et il n’est plus sur la photo. Si ça se voit trop, il sera remplacé, bien entendu, la nature ayant horreur du vide. La « nature », c’est tout le problème de l’écologie « antiraciste » : elle ne la supporte pas, elle l’horripile. Ses partisans voudraient la voir disparaître au profit de la seule « culture ». Le sexe ? Construction culturelle ! La race ? Construction culturelle ! Le paradoxe de toutes ces élucubrations délirantes, c’est comme il se doit un gigantesque retour du refoulé qui pourrait bien se transformer en « choc en retour », au sens de la magie noire : il n’a jamais été autant question des races, qui plus est au sens le plus bête et superficiel, celui de l’épiderme, que depuis leur disparition officielle. L’objectif est toujours le même : le Même, précisément, afin de parachever l’interchangeabilité universelle à quoi aspire la matrice-marché planétaire. « Nous voulons des robots qui carburent au juridisme verdâtre ! », hurlent les apprentis sorciers. En ce qui me concerne, l’idée qu’il y ait des Noirs, des Blancs, des Jaunes et des Rouges, une race du corps, une race de l’âme et une race de l’esprit me réjouit hautement. Le drame, c’est que les uns et les autres sont de moins en moins racés.
Après la nature, la culture est évidemment la seconde victime de ces frénétiques gardes… rouges (je me méfie un peu de l’usage des couleurs…) avides d’annulation et d’annihilation, bien entendu au nom du Bien (dont je précise qu’il n’a rien à voir avec celui dont parle Platon dans La République). J’ai cru comprendre qu’une femme blanche n’était pas légitime pour traduire une femme noire. C’est fabuleux ! (Je comprends, en revanche, qu’Uma Thurman ne serait pas idéale en Angela Davis et qu’il y ait quelques protestations.) Au fond, c’est l’idée même de traduction qui est visée, donc, la langue, donc, la pensée, soumises aux diktats de l’épiderme. Notre temps est celui des « grandes surfaces » : tout ce qui est profond lui fait peur et doit être nié ou disparaître. Le berger de l’Être se devait donc de répondre à la mégère sur son terrain marécageux.
Avec le Lupin de Netflix, c’est également l’une des modalités de la traduction qui est mise en cause, celle de l’incarnation. Les idéologues, tout à leur haine de la nature et de la Kultur, croient qu’il est possible d’incarner n’importe quel esprit dans n’importe quelle chair. Ce sont de très exacts trafiquants, des manipulateurs qui travaillent pour la confusion et l’uniformisation. Le spectacle crée des chimères, c’est sa raison d’être ; l’« universel reportage » dont parlait Mallarmé s’accompagne d’un universel brouillage, jusqu’au grand effacement. N’en déplaise à certains, je peux dire en vérité que je comprends parfaitement Cahier d’un retour au pays natal d’Aimé Césaire parce que j’ai un pays natal. Pas eux.
ÉLÉMENTS. Pourquoi lire aujourd’hui Maurice Leblanc ? Que dit-il de nous ? De ce que nous étions ? De ce que nous ne sommes plus, mais qu’il nous appartient de redevenir ? Appartient-il à notre patrimoine national plus encore que littéraire ?
RÉMI SOULIÉ : Maurice Leblanc est très français, oui, si tant est que ce mot signifie autre chose qu’« universellement abstrait », seule acception autorisée depuis la très glorieuse Révolution. Lupin est un héros français, comme d’Artagnan, Pardaillan ou Cyrano. C’est un chevalier de province, bretteur, parfois hâbleur, joueur, séducteur, qui a du panache et le sens de l’amitié. C’est un homme profondément enraciné, au fait de notre longue histoire catholique et royale. Lupin fait partie de notre mémoire. On comprend donc l’urgence, pour les oligarques, à effacer l’un et l’autre. Cachez ce sens que je ne saurais voir et, surtout, si vous êtes « citoyen », abonnez-vous, réabonnez-vous ! Chardonne disait que le paysage français par excellence était une rivière bordée de peupliers, et il avait parfaitement raison. Voyez-vous immédiatement se presser la cohorte des crapoteux Socrate : et les Alpes ! et les Pyrénées ! et la plaine d’Alsace ! Tout ce petit monde hait l’Idée et la chair. D’eux, on pourrait dire ce que Nietzsche dit des chrétiens : « Ce sont les meilleurs haïsseurs ».
ÉLÉMENTS. Pourquoi ce texte en particulier ?
RÉMI SOULIÉ : C’est sans doute l’un des plus inadmissibles pour Big Other : L’Île aux trente cercueils est un roman breton, européen, païen, chrétien, un roman de la plus ancienne mémoire continentale. C’est également l’un des chefs-d’œuvre de Maurice Leblanc, un roman subtil et profond qui fait toucher du doigt le démoniaque. C’est dire sa grande actualité. La bête n’est jamais aussi bête que lorsqu’elle fait l’ange.
Une réponse
J’ai du mal à comprendre cet article qui évacue le vrai problème: le jeu de l’acteur principal. Il gomme également que c’est une production Netflix, donc il fallait un « nom français » évocateur pour les américains comme « cokk o ouaine » ou « olala ». Ce film c’est comme Ratatouille où Pixar pense qu’un air d’accordéon et c’est « français » (sauf que le petit chef était plus expressif…)