Un vieux slogan proclamait « Ni keffieh ni kippa » pour signifier le rejet de toute importation du conflit israélo-palestinien. Avec tout le respect que je dois à Gilles Carasso, sa dernière tribune tient plutôt du « Ni keffieh ni keffieh » par son hémiplégie. N’étant le porte-parole ni d’Yves Lepesqueur, pas plus que de Lucie Marin, d’Henry Laurens ni de la mal nommée Nouvelle Droite (qui a mieux vieilli que le Nouveau Roman ou la Nouvelle Cuisine…), je me contenterai d’énoncer quelques principes pour répondre aux injonctions que Gilles Carasso émet avec style et un certain courage intellectuel.
Sortie du siècle juif
Qu’il me soit permis de les réfuter point par point. Comme tout sophisme, l’axe central de son raisonnement tire de deux prémices floues une conclusion discutable :
1°) Israël est détesté des islamistes du monde entier ;
2°) Tous les Palestiniens abhorrent Israël ;
3°) Il faut soutenir inconditionnellement Israël pour combattre l’islamisme.
Non sans paradoxe, ce grand récit pourrait recevoir l’approbation d’un Frère musulman moyen comme celui d’un colonialiste israélien entrevoyant derrière la moindre critique d’Israël une résurgence de l’antisémitisme. S’il existe un tabou du mot en J, l’enrôlement des Juifs de France sous la bannière bleue et blanche est un cadeau empoisonné. Voir derrière chaque juif un ambassadeur d’Israël nie sa francité et le met directement en danger en le jugeant responsable des exactions menées dans les territoires occupés et au-delà.
Qu’on m’autorise cette petite digression : au lendemain du 7 octobre 2023, entre deux proclamations pro-israéliennes maladroites, un animateur télé apprécié des ménagères conservatrices avait expliqué que les Juifs de France n’avaient peut-être pas assez critiqué Netanyahou ces dernières années. Quelle confusion ! Désigner une communauté comme la force supplétive d’un État étranger, les antisémites n’auraient rêvé mieux…
Antisémites et pro-israéliens systématiques partagent ainsi une même névrose : la « judéomanie » (Jean Robin). Jusqu’à nazifier la moindre critique de l’État hébreu. La ficelle est grosse, mais Netanyahou l’utilise à dessein, y compris sous la forme d’une reductio ad hitlerum qu’il inflige régulièrement à ses opposants israéliens. Il y a une dizaine d’années, « Bibi » avait scandalisé son monde en faisant du mufti de Jérusalem le principal concepteur de la Shoah, quitte à dédouaner Hitler pour faire de l’islamisme immense et vert l’unique moteur de l’antisémitisme à travers l’histoire. Les associations de fils et filles de victimes avaient apprécié…
Mauvais esprit à part, reste un lien indubitable entre génocide juif et naissance d’Israël. A ce propos, Lucie Marin reprend de manière abrupte mais lucide une partie des analyses de Yuri Slezkine, auteur du Siècle juif. Plutôt que de le paraphraser, je citerai un bref extrait de l’entretien que Slezkine m’avait jadis accordé : « Après la Seconde Guerre mondiale, le monde occidental a considéré l’Holocauste comme le plus grand crime jamais commis dans l’histoire mondiale. Cet universel moral de l’Occident a fourni à Israël une sorte de droit d’exception […] Ce qui fait des Israéliens une exception, c’est qu’ils ont été autorisés à mener une politique que les standards du monde occidental considèrent désormais comme inacceptable. Cette politique est celle de l’exclusivité ethnique et tribale : Israël se définit comme un État juif d’une façon que ni la Suède ni l’Allemagne ne pourraient aujourd’hui assumer. » Il est certain que l’Allemagne et la Suède ne subissent fort heureusement pas de massacres et d’enlèvements de masse comme ceux perpétrés le 7 octobre 2023 par les milliers de Gazaouis sortis de leur prison à ciel ouvert. Il est aussi vrai que ni Berlin ni Stockholm n’assiègent le Danemark, n’occupe son territoire depuis 1967, asservit ses citoyens et le prive de tout avenir dans leur propre pays.
Le double standard
Puisque les comparaisons plaisent aux zélotes d’Israël, reprenons la métaphore usée d’une Belgique envoyant ses roquettes sur la France. Imaginons même un 7 octobre commis à Paris depuis Bruxelles. Le gouvernement français éprouverait un courroux bien compréhensible et serait, dans une certaine mesure, fondé à intervenir en Belgique au nom de la légitime défense. Mais jusqu’à quel point ? Outre la notion de frontières, l’idée de proportionnalité semble déplaire aux soutiens systématiques d’Israël. Rapportée à la population belge, l’hypothèse basse de 64 000 victimes gazaouis de l’offensive israélienne (soit 3 % de la population de l’enclave) donnerait… 350 000 morts. Imagine-t-on une seconde la France prête à tuer de manière indiscriminée autant de civils sous prétexte que des terroristes se glisseraient dans le tas ? Passons sur les 90 % de déplacés. Une journaliste confortablement installée sur une chaîne télévisée de droite avait répliqué à cet argument : « Les Gazaouis reçoivent de Tsahal un avis de coupure d’eau et de bombardement. » La belle affaire ! Sur une bande de territoire aussi densément peuplée, avec la frontière égyptienne comme goulet d’étranglement, on aimerait voir cette bourgeoise se débrouiller in situ pour survivre. « On a privilégié l’efficacité », entend-on en off chez les officiers israéliens. Nul besoin d’adhérer à la religion des droits de l’homme pour percevoir ce qu’il y a de glaçant dans cette antienne rationaliste.
Pour refermer la parenthèse de la guerre à Gaza, relevons deux conséquences fâcheuses, y compris pour l’axe de soutien à Israël que Gilles Carasso appelle de ses vœux :
• L’ex-secrétaire d’État américain de Joe Biden, Anthony Blinken, qui n’a jamais stoppé la livraison d’armes à Israël, a reconnu que le Hamas avait recruté au moins autant de militants et futurs candidats au martyre qu’il n’en avait perdu durant cette guerre.
• Aux yeux du monde, notamment des BRICS+, la crédibilité des chancelleries occidentales est au point mort. Malgré leur brutalité dans la gestion de leurs affaires domestiques, la Chine, l’Iran, la Russie ou l’Afrique du Sud dénoncent non sans raison le double standard occidental. Les morts incessants à Gaza indignent visiblement moins que le sort des femmes et rappeur iraniens. Bon courage aux diplomates pour rétablir un semblant de confiance auprès des opinions du Sud…
Un monde avec frontières
Entre les lignes, Gilles Carasso développe l’hypothèse d’une communauté d’intérêts entre une Europe fière de ses racines et un État d’Israël fer de lance d’une identité plurimillénaire. Admettons. Il n’est pas question ici de revenir sur la légitimité de l’État juif, ni de replonger dans le sempiternel et désormais caduc débat sionisme/antisionisme. Il n’est en effet plus temps de discuter du sexe des anges, mais d’esquisser un avenir après des décennies d’occupation et de colonisation qui entravent la séparation entre Israéliens et Palestiniens.
Rien ne justifie par exemple l’occupation du Golan syrien, sinon la peur obsidionale d’un ennemi parqué aux quatre coins du monde musulman. Peut-être Yves Lepesqueur critiquait-il cette annexion indue. Le principe de précaution si cher à la droite israélienne abolit les frontières et multiplie les périls pour ce petit État fragile né sur tant de souffrances. Mais jusqu’où étendre ses frontières ? Poussons le raisonnement jusqu’à l’absurde. Si Israël est une idée attachée à un territoire en expansion, pourquoi s’arrêter en si bon chemin ? Confrontée aux masses musulmanes fanatisées, Tsahal pourrait annexer des pans entiers du Moyen-Orient et transformer les autochtones arabo-musulmans en ilotes. Il se trouvera bien quelques nationalistes-religieux messianiques à la Ben Gvir ou Smotrich pour rappeler que le royaume d’Israël s’est autrefois étendu jusqu’au Hijaz pour justifier ces conquêtes fantaisistes. Après tout, rien ne nous dit que les velléités pacifiques des nouveaux maîtres djihadistes de la Syrie s’arrêteront aux frontières du Golan. La guerre perpétuelle s’autojustifie en permanence et produit des ennemis en série. Une spirale mortifère.
Aujourd’hui, ce sont paradoxalement les extrémistes messianiques israéliens qui appliquent le slogan idiot des étudiants pro-palestiniens « De la rivière à la mer ». Netanyahou et consorts se contentent simplement de substituer Israël à la Palestine. Ces jusqu’au-boutistes poussent la confrontation à son point extrême. Comme le rappelle une certaine gauche israélienne menée par Elie Barnavi, le meilleur moyen d’aider l’État Israël n’est certainement pas de le maintenir dans des frontières mouvantes au gré de ses annexions. Faut-il le rappeler, le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes sans empiéter sur le voisin est universel.
Dans les dernières pages du beau livre qu’il a consacré à Martin Buber, Alain de Benoist revient sur l’utopie d’un État binational judéo-arabe chère à l’auteur de Je et tu. À l’heure où la séparation entre les deux peuples devient une question de survie, cette illusion peut faire sourire. Mais elle témoigne d’un souci de l’Autre plus honorable que la « métaphysique de la subjectivité » aveugle et sourde à l’altérité à l’oeuvre au sommet du gouvernement israélien. Si un jour les derniers Palestiniens finissent parqués dans des réserves tels de vulgaires Geronimo, il sera trop tard pour pleurer sur la diversité du monde.
Pour en savoir plus
Le texte de Gilles Carasso : Israël-Palestine : la nouvelle question juive en débat
La réponse de Lucie Marin et professeur M : L’exceptionnalité de la Shoah face aux décoloniaux
2 réponses
Votre premier article était déjà assez répugnant, était-il nécessaire que vous regurgitiez votre haine de nouveau ? Je m’étonne de votre présence dans cette revue. LFI n’a pas de magazine dans lequel vous pourriez sévir ? Ou le NPA ?
Votre étonnement sur la présence de Daoud Boughezala dans notre rédaction prouve que vous n’avez pas beaucoup de connaissance concernant notre revue surtout qu’il n’y a aucun propos de haine dans la prose de notre rédacteur comme pour l’ensemble de notre magazine.
Bien à vous
La rédaction d’éléments