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1.Albert Edelfelt, Enfants au bord de l'eau, 1884, huile sur toile

Albert Edelfelt, Lumières de Finlande

Dans la suite de sa présentation raisonnée des artistes nordiques, le musée du Petit-Palais, à Paris, présente, jusqu’au 10 juillet 2022, une rétrospective consacrée au peintre finlandais Albert Edelfelt (1854-1905), aussi célèbre dans son pays que méconnu en France. Les huit sections de l’exposition présentent, dans un ordre à peu près chronologique, les différentes facettes de cet artiste talentueux : peinture d’histoire, portraits mondains, paysages et traditions finlandaises.

Né en 1854 dans une famille aisée – son père est architecte, sa mère lui fait apprendre le français –, Albert Edelfelt reçoit très jeune une éducation artistique soignée. À 19 ans, il part pour Anvers, à l’Académie royale des Beaux-Arts, où il apprend la peinture d’histoire. Il bénéficie alors d’une bourse du gouvernement finlandais, attribuée dans un but très politique : il s’agit de former des peintres capables de magnifier les heures glorieuses du grand-duché, sous influence russe mais traversé de courants finnophiles.

L’apprentissage du jeune Albert se continue à Paris, dans l’atelier du peintre Jean-Léon Gérôme, puis auprès de Jules Bastien-Lepage : deux noms aujourd’hui oubliés du grand public mais reconnus comme des chefs de file dans le Paris des années 1875-1880 : le premier pour ses tableaux historicistes ; le second pour son orientation naturaliste. Les premières œuvres d’Ebelfelt montrent avec quelle acuité il a assimilé l’enseignement des grands maîtres. C’est donc plus un excellent artisan, avec une facture très académique, qu’une personnalité originale qui expose au Salon de Paris en 1877 Blanche de Namur, reine de Suède et le prince Haquin – mais déjà, sous un décor néogothique à la Viollet-le-Duc, apparaît son talent pour les portraits.

À tout juste 23 ans, Ebelfelt fait partie de la première génération d’artistes scandinaves à venir travailler à Paris, la ville de tous les possibles : musées, académies, ateliers, mêlent traditions et innovations dans une rare effervescence. Ces longs séjours à Paris vont alterner avec des étés passés en Finlande, où il achète très vite une villa, à Haikko. Jules Bastien-Lepage (1848-1884) l’initie à la peinture naturaliste : de longues journées de plein air – d’où cette étiquette de « pleinairisme » – permettent d’observer les effets de la lumière sur les paysages autant que sur les personnages. Alors que les impressionnistes, qui émergent alors, peignent sur le motif, promenant pliant, palettes et châssis, Edelfelt termine le plus souvent ses toiles en atelier. L’impressionnisme, après des débuts difficiles, sera porté aux nues, ce qui vaudra, hélas, au naturalisme d’être injustement déprécié. « On l’applaudit, mauvais signe », disait Zola de Jules Bastien-Lepage, sous-entendant que le goût bourgeois était incapable de comprendre les rapins – sur lesquels des marchands avisés mettront vite la main. Edelfelt, lui, préfère traiter directement avec ses clients et s’enrichit honnêtement sans faire d’esclandres.

A. Edelfelt, Le Convoi d’un enfant, Finlande, 1879 – Huile sur toile – Helsinki, Ateneum Art Museum, Finnish National Gallery Collections Antell © Finnish National Gallery / Hannu Pakarinen

Un portraitiste très recherché

« À voir Edelfelt, vous auriez peine à deviner un peintre : vous diriez plutôt l’attaché militaire de quelque ambassade étrangère. De haute taille, l’œil bleu enfermé dans une paupière bistrée, une fine moustache aux lèvres », tel est le portrait qu’en dresse son ami Jean-Baptiste Pasteur, qui ajoute que la tenue du jeune artiste était aussi soignée que celle d’un « club-man de Piccadilly ». Cette amitié avec le fils du grand savant va lui ouvrir les portes de la gloire : le jeune Finlandais, introduit dans la très bourgeoise famille Pasteur, devient son portraitiste attitré. En 1886, c’est le triomphe : son Portrait de Louis Pasteur lui vaut la Légion d’honneur. Deux autres portraits du grand savant, dans une raideur officielle très laborieuse, signés de François Lafon et de Léon Bonnat, permettent à l’œil le moins averti de voir combien le portrait peint par Edelfedt rayonne d’une intelligente compréhension de son modèle.

En 1889, une toile inspirée par la Finlande, Devant l’église, lui vaut une médaille d’or à l’Exposition universelle. Depuis quelques années, Edelfelt, au sommet de sa carrière, accueille et fait connaître à Paris les jeunes artistes scandinaves, parmi lesquels Anna Ancher ou Akseli Gallen-Kallela. Une certaine aisance lui est venue : l’excellence de sa technique et l’empathie avec laquelle il perçoit la personnalité de ses modèles font de lui un portraitiste très recherché, en France mais aussi à l’étranger. Après avoir passé plusieurs mois de 1881 et 1882 en Russie, auprès de la famille Romanov, il est devenu la coqueluche de la bonne société.

Arrêtons-nous un moment sur ses portraits. Au-delà des commandes mondaines qui évoquent les salons fréquentés par le Tout-Paris – comment ne pas penser aux amies de Colette devant la Jeune Femme rousse tenant un éventail japonais (1879) ? –, ce sont les portraits d’enfants qui gardent toute leur fraîcheur et leur originalité. Pauvres orphelins apprentis tailleurs, gamines en fichus, petits pêcheurs ou vacanciers occupés à construire un modèle réduit, enfants de sa famille, dont son fils Erik, petits Parisiens au jardin du Luxembourg, enfants du tsar : quelle tendresse dans le regard que le peintre pose sur la naïveté de ses modèles, pourtant si difficiles à croquer ! Cette thématique, très bien représentée dans l’exposition, peut servir de fil conducteur à une visite familiale.

A. Edelfelt, Service divin au bord de la mer, 1881 – Huile sur toile – Musée d’Orsay,
Paris. Photo © RMN-Grand Palais (Musée d’Orsay) / Stéphane Maréchalle

La Finlande au bout du pinceau

Pendant plus de trente ans, Edelfelt fait la navette entre la France et la Finlande : ici, pendant la « saison » d’hiver, le tumulte parisien et les portraits mondains ; là-bas, profitant des nuits blanches du solstice d’été, les paysages calmes, les lacs et les traditions de sa terre natale. Ce sont les tableaux qui nous parlent le plus : loin de toute vision folkloriste, Edelfelt fait vivre paysannes et pêcheurs, dans leurs habits de fête le dimanche ou dans leurs tenues de travailleurs, droits sortis des romans de Knut Hamsun. Quelle dignité dans les attitudes et dans les regards ! Les arrière-plans, le plus souvent naturels et estivaux, font ressentir le lien très fort qui unit les hommes à leur terre, à leurs lacs, à leurs forêts.

Au fil des années, Edelfelt joue en effet de sa célébrité pour défendre la culture finlandaise face à la Russie. Lui qui avait eu ses entrées dans la famille du tsar se révèle bientôt un patriote engagé dans la défense de l’identité de la Finlande. L’une des toiles les plus emblématiques reste le portrait de Larin Paraske, la célèbre « chanteuse de runes », véritable mémoire de traditions orales dont il pressent et redoute l’effacement. Signe des temps, le visiteur attendra la fin de l’exposition pour admirer ce portrait si profond, qui voisine avec les Pêcheurs finlandais aux rudes visages tournés vers l’avenir, et avec L’île de Särkkä, dont la forteresse, roc sombre et muet, insensible à l’écume des jours, se dresse face à la Russie. Une trilogie qui vient en point d’orgue de l’exposition – à moins qu’elle n’ait été reléguée derrière le stand des cartes postales, à chacun son analyse…

Le 18 août 1905, Edelfelt s’éteint chez lui, à Haikko, à l’âge de 51 ans. Son ami Sibelius écrit pour ses funérailles un poème symphonique sur une strophe du poète Runeberg. Déjà se profilent les succès de jeunes artistes scandinaves novateurs : avec Akseli Gallen-Kalella, dont nous parlerons très prochainement ici, Edvard Munch, Anders Zorn ou Hugo Simberg, le Symbolisme va notamment donner un nouvel élan aux grands thèmes, parfois angoissants pour nous autres Latins, de la mythologie et exprimer les tendances les plus profondes des mentalités nordiques.

A. Edelfelt, Devant l’église, Finlande, 1887 – Huile sur toile – Helsinki, Ateneum Art Museum, Finnish National Gallery © Finnish National Gallery / Hannu Pakarinen

Le site de l’exposition : Expositions Albert Edelfelt 1854-1905 Lumière de Finlande

Le site internet consacré à Albert Edelfelt : https://albertedelfelt.com/

Photo d’ouverture : A. Edelfelt, Enfants au bord de l’eau, 1884. Huile sur toile. Helsinki, Ateneum Art Museum, Finnish National Gallery Collection Ahlström © Finnish National Gallery / Hannu Aaltonen.

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