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Alain Lefebvre : pourquoi «Je suis Valeurs»

Toujours à l’heure dès qu’il s’agit de restreindre la liberté d’expression, la justice française a annoncé l’ouverture lundi 31 août d’une enquête préliminaire pour «injures à caractère raciste» à l’encontre de «Valeurs actuelles». Éditeur et homme de presse, co-fondateur d’«Éléments», Alain Lefebvre refuse de ployer le genou face au buzz.

Ce dernier samedi d’août, j’ai assisté, impuissant et en direct, à l’attentat contre le magazine Valeurs actuelles. Plus de cinq ans après la fusillade qui coûta la vie à une bonne partie de la rédaction de Charlie Hebdo, j’ai vu siffler les balles virtuelles et néanmoins létales sortant des Kalachnikovs d’un commando d’origines diverses confortablement installé sur le plateau de CNews. Il semblait en mission, comme le confirmait les condamnations unanimes tweetées, facebookées et messengérisées projetées à l’écran d’une classe politico-médiatique unanime les incitant à en finir avec la rédaction d’un magazine qui avait osé se livrer à un intolérable blasphème à l’endroit d’une indigéniste fanatique, par ailleurs député de la France insoumise.

Ce lundi, la mise à mort a franchi une nouvelle étape avec le parquet de Paris annonçant l’ouverture d’une enquête préliminaire pour « injures à caractère raciste ». Tel l’officier commandant le peloton d’exécution qui tire la dernière balle dans la tête du fusillé pour s’assurer qu’il est bel et bien mort, le parquet, indépendant de l’exécutif comme chacun sait, veut s’assurer ainsi que le condamné ne s’en relèvera pas.

Les dévôts de la bienpensance

Or, on connait les faits : dans sa désormais traditionnelle chronique de politique fiction estivale, l’hebdomadaire a publié en juillet-août sept épisodes d’un « roman de l’été » rédigé par quelques-uns de ses journalistes sous le pseudonyme collectif d’Harpalus.

C’est le septième épisode publié jeudi dernier qui a suscité l’ire des dévôts de la bien-pensance. Motif : non seulement cette fiction osait affirmer que les Africains eux-mêmes n’étaient pas exempts de responsabilité dans la traite négrière, mais il mettait en scène dans le cadre de cet onirique bond en arrière l’indigéniste Obono. Elle était alors déjà si agaçante pour son village qu’elle fut désignée par le conseil des anciens pour rejoindre la caravane de ses concitoyens destinés à alimenter le marché aux esclaves de Tripoli. Cela aurait certainement suffi aux redresseurs de torts professionnels pour donner de la voix, mais c’était sans compter sur les dessins de Pascal Garnier qui, à l’instar des six chapitres précédents, représentaient les étapes de ce nouvel épisode avec réalisme. Danièle Obono, livrée aux esclavagistes par ses frères, y était ainsi représentée à toutes les étapes de son calvaire et jusque et y compris enchaînée comme tous ses compagnons d’infortune.

C’est apparemment ce maillon de la chaîne qui déchaîna chez nos gardiens de l’ordre moral la riposte sans nuance à laquelle ils se sont livrés.

Zemmour mort à Waterloo n’émeut personne

Convoqué au tribunal du « Bien » pour exécution immédiate au terme d’une sentence unanime de tous ses membres, le jeune et talentueux directeur de la rédaction du magazine, Geoffroy Lejeune, se défendit avec sang-froid et le tranquille courage de ceux qui savent que cette vertu relève aussi de l’élégance. Il concéda bien que le propos et les dessins avaient pu affecter et choquer la personne visée et qu’il s’en était excusé personnellement auprès d’elle. Au-delà, point de regrets et encore moins de repentance, mais des explications argumentées et sereines, et le rappel qu’au cours des semaines précédentes, Éric Zemmour dans le cadre de ce même feuilleton, avait perdu la vie à Waterloo, sans que personne ne s’en émeuve. On peut même imaginer que nos redresseurs de tort, qui n’avaient probablement pas plus lu cet épisode que celui mettant en scène Danièle Obono, s’en seraient félicités jusqu’à regretter peut être que cette fiction ne devienne pas réalité.

La liberté ne se divise pas

En face de Geoffroy Lejeune, les mitrailleurs du mal absolu, à la diversité fortement représentée, firent front toutes tendances confondues. C’est bien ce qui est extrêmement inquiétant dans cette « fusillade » qui ne fut pas seulement exécutée par quelques fondamentalistes du « vivre ensemble », mais par l’ensemble des intervenants, y compris par ces professionnels du débat de plateau, chers aux chaînes d’infos, habituellement plus nuancés dans leurs propos et tenus pour des modérés. Un consultant de la chaîne, dont seul le frais accent marseillais venait adoucir les excès de langage, alla même jusqu’à expliquer que Valeurs actuelles était bien une publication raciste puisqu’elle avait mis en « une » Éric Zemmour, raciste patenté. Geoffroy Lejeune eut du mal à se faire entendre lorsqu’il rappela au procureur méditerranéen qu’il était assis à la place qu’Éric Zemmour occupait chaque soir en semaine sur cette même chaîne. Raciste donc. Une opportune rupture de transmission mit fin aux invectives et aux indignations. La dernière salve aura été donnée hors antenne.

Dois-je préciser que bien que je salue le courage de l’équipe de Valeurs actuelles qui incarne avec Marianne, Causeur et Éléments une voix discordante et bien trop faible dans le concert médiatique unanime, je n’en partage ni le tropisme libéral qui perdure après la disparition de son très libéral fondateur, ni l’atlantisme réactivé ces derniers temps par une complaisance coupable à l’endroit du fol occupant de la Maison Blanche. Mais qu’importe, ce ne sont que des détails au regard du traitement inouï dont vient d’être victime cet hebdomadaire dont la mise à mort ne se justifie pas plus pour quelques illustrations tout à fait appropriées au texte, que ne l’était le massacre de Charlie Hebdo pour une inoffensive caricature de Mohamet. La liberté ne se divise pas et aujourd’hui « Je suis Valeurs ».

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