Les Chroniques cinéma de David L’Épée
Si je vous dis Égypte et Tintin, vous me répondrez sûrement Cigares du pharaon. Faux. La bonne réponse était : On a marché sur la lune. Nous avons en effet avec ce film, en plusieurs occurrences, ce qui s’apparente à un copier-coller de l’album de Hergé, à un point tel qu’on ne peut plus vraiment parler d’inspiration mais bel et bien de plagiat.Nous sommes pourtant loin de cette sous-culture de la récupération éhontée dont parlent Emmanuel Vincenot et Emmanuel Prelle dans leur livre Nanarwars : une anthologie du cinéma de contrefaçon (Wombat, 2017) et qui caractérise certains cinémas, principalement non occidentaux, reprenant à leur sauce des grands récits européens ou américains (d’autres films, des bandes dessinées, des comics) pour en faire des films de séries Z. Nous sommes ici dans la période de l’âge d’or du cinéma égyptien, lequel, faut-il le rappeler, n’avait rien d’un cinéma du tiers-monde et avait produit un certain nombre de grands films. En atteste la présence au casting d’Ismaïl Yassin, star nationale, qui était très loin d’être un acteur de seconde zone.
Une fusée de conception allemande, montée dans le plus grand secret, doit prochainement décoller de l’Égypte pour se rendre sur la lune. Un météorologue, Ahmed Rouchdy, veut en savoir davantage et obtient un rendez-vous avec le docteur Charfen dans son laboratoire situé dans une zone sous haute protection. Il s’y rend avec Ismaïl, le chauffeur de la voiture d’un grand quotidien, qui rêve de ramener un scoop pour pouvoir devenir journaliste. Arrivé sur place, le chauffeur échappe à la vigilance des surveillants et commence à faire des photos. S’étant introduit dans la fusée à la suite de Rouchdy et de Charfen, il appuie par accident sur un levier et l’engin décolle. Sans le vouloir les trois hommes s’envolent donc pour la lune. Le docteur est assommé par le choc et les deux autres ont toutes les peines du monde à le ranimer pour qu’il puisse prendre les commandes. Terrifié par ce qui arrive, Ismaïl se saoule au cognac. Perdus dans l’espace, ils croisent un satellite soviétique avec la chienne Laïka à son bord…
Parvenus sains et saufs sur la lune, les trois hommes se font hypnotiser par un robot (répondant au prénom d’Otto) et sont emmenés dans le bunker du professeur Cosmo, le directeur d’un laboratoire atomique qui, avec sa fille Stella et quelques autres survivants (ou plutôt survivantes car le groupe est uniquement composé de belles jeunes filles élancées), s’est réfugié ici après une terrible guerre nucléaire qui a décimé la population lunaire. Les deux savants fraternisent et Cosmo présente à son confrère terrien toutes les prouesses de sa technologie de pointe : un conditionneur qui permet de respirer sur la surface lunaire sans scaphandre, un détecteur de mensonges, un télescope qui permet de voir la terre dans ses moindres détails, des petites pilules qui contiennent l’équivalent d’un mois de nourriture, et bien sûr le robot Otto qui, malgré son design de casserole améliorée, peut tout faire. Chacune de ces inventions est l’occasion pour Ismaïl d’en faire un usage comique ou maladroit : il surprend sa femme en train d’embrasser son amant sur le perron de sa maison du Caire grâce au super-télescope, il avale d’une traite trente pilules alimentaires qui font gonfler son ventre comme un ballon, il fait boire le robot qui se démantèle sous l’effet de l’alcool… Malgré toutes ces prouesses techniques Cosmo est hélas dans l’incapacité de fournir du carburant à ses hôtes, qui de ce fait ne peuvent repartir. Une solution existe toutefois : se rendre, à trois jours de marche de là, dans une mine d’uranium recelant du carburant atomique et où vivent une poignée de soldats irradiés et mutilés, survivants de la terrible guerre lunaire. Les héros s’y rendent, rencontrent les soldats qui leur ânonnent au passage un discours pacifiste sur les dangers du nucléaire et repartent avec le précieux carburant. Ils décident alors de ramener sur terre le professeur Cosmo et sa compagnie de jeunes filles, lesquelles folâtrent dans le dortoir tandis que les hommes discutent dans la salle de commande. Décision d’autant plus évidente que Rouchdy et Stella sont tombés éperdument amoureux. A leur arrivée (on voit la fusée traverser le ciel au-dessus des pyramides) ils sont accueillis par une foule qui, en quelques secondes, se retrouve hypnotisée par le robot…
Les parallèles avec On a marché sur la lune (ainsi qu’avec Objectif lune, l’album qui le précède), paru en 1952, soit sept ans plus tôt, sont frappants et je vais tenter de les illustrer en mettant côte à côte des captures d’écran du film et des images de la bande dessinée.
L’aspect intérieur de la fusée, tout d’abord, est le même, tant en ce qui concerne la salle de commande que la salle des couchettes.
Il y a aussi le thème du passager clandestin involontaire, qui se retrouve envoyé dans l’espace malgré lui : les Dupondt chez Hergé, Ismaïl dans le film de Wahab.
Le personnage du docteur Charfen, en dépit de son physique athlétique, fait écho à plusieurs reprises au professeur Tournesol. Les scènes où ses coéquipiers tentent de lui faire reprendre conscience rappellent celles où Tournesol a lui-même pris un coup sur la tête et est devenu apathique. Comme le capitaine Haddock, Ismaïl se cache sous un drap pour tenter de lui faire peur afin de provoquer un choc salvateur.
Comme Haddock aussi, il se saoule durant le voyage.
Comme Haddock encore, il est confronté avec surprise aux effets de l’apesanteur sur les bouteilles.
Comme Haddock toujours, il décide, enhardi par l’alcool, de quitter seul la fusée et laisse une lettre pour expliquer les raisons de son départ. « Je rentre à Moulinsart » écrit Haddock, « je retourne en Égypte » écrit Ismaïl.
Et comme Tintin, Rouchdy enfile lui aussi un scaphandre et part à la rescousse de son ami dans l’espace, et tout comme le héros de Hergé il parvient à le sauver grâce à une corde.
Et lorsqu’ils arrivent sur la lune, les premiers mots de Rouchdy en découvrant le paysage qui s’étend devant lui ressemblent étrangement à ceux de Tintin. « Je n’ai jamais vu quelque de chose de pareil, dit le premier. Il n’y a aucun arbre, aucune goutte d’eau, aucune herbe. Il n’y a que des rochers. » « Comment vous le décrire ? dit le second. Un paysage de cauchemar, un paysage de mort, effrayant de désolation ! Pas un arbre, pas une fleur, pas un brin d’herbe ! »
Ismaïl Yassin, vedette du film extrêmement populaire dans son pays, évoque une sorte de Fernandel égyptien. Ses mimiques, ses pleurnicheries permanentes, ses gestes de désespoir, ses regards-caméra : tout est cabotinage dans son jeu. Pourtant s’il y en a un qui surjoue dans ce film, ce n’est pas lui mais bien le docteur Charven, dont on ne saisit pas bien s’il est égyptien ou allemand mais qui ponctue obsessionnellement ses phrases d’interjections comme « Wonderfull ! » ou « Follow me ! ». Les dialogues qu’il a avec Rouchdy s’avèrent vite pénibles car ils ne peuvent échanger deux répliques en arabe sans s’interpeler en anglais : « Mister Rouchdy ! », « Mister Charven ! », et ce dans un jeu de ping-pong verbal qui se répète des dizaines de fois et dont il n’est pas sûr du tout qu’il procède d’une intention assumée du dialoguiste. On appréciera ce film pour son exotisme, pour son décalage temporel (ces scènes d’Égyptiens dégustant du cognac sont plus surprenantes encore, pour le spectateur du XXIème siècle que la découverte des habitants de la lune !), pour ses maladresses aussi. Puis on relira Tintin.
Réalisateur : Hamada Abdel Wahab
Pays : Egypte
Année : 1959