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A.D.G., le réac’ du polar

A.D.G., le réac’ du polar

A.D.G. Trois lettres pour un pseudonyme cachant l'identité d’Alain Fournier. Pas l’auteur du Grand Meaulnes, mort au combat en 14, mais un écrivain et journaliste iconoclaste, maître politiquement incorrect du roman noir, décédé il y a à Paris le 1er novembre 2004. Sa gouaille, son talent à tisser des récits palpitants et son style argotique lui ont permis de s'imposer comme une figure majeure du roman noir. Anar par nature, son esprit de provocation a fait de lui l’héritier d'une longue tradition d'irrévérence populaire. À l'occasion des vingt ans de sa disparition, replongeons dans son œuvre.

Alain Fournier naît le 19 décembre 1947 à Tours, au sein d’une famille de gauche, très modeste. Son père était ouvrier municipal aux cuisines de Tours et son grand-père communiste et tailleur de pierre. Viré successivement de tous les établissements scolaires qu’il a fréquentés, il obtient son BEPC de justesse et arrête les frais pour les études. Il multiplie alors les petits boulots : employé de banque, brocanteur et bouquiniste, période pendant laquelle il lit Rebatet, Maurras, Bainville, Daudet et les polars de Simonin qui lui donnent le goût de se lancer dans la littérature et le journalisme. Ses parents eurent la taquine idée de le prénommer Alain. Pour quelqu’un qui veut faire carrière dans la littérature, le patronyme est difficile à porter. C’est ainsi qu’il choisit les initiales A.D.G., diminutif d’un de ses pseudonymes, Alain Dreux-Galloux.

Le plus politiquement incorrect des auteurs de polars

A.D.G. fut l’un des principaux artisans du « néopolar » français des années 70. Il révolutionna le genre policier français, avec Jean-Patrick Manchette et d’autres (Pierre Siniac, Jean Vautrin), faisant passer le polar classique (Albert Simonin, Auguste Le Breton) au roman noir. Ils régneront sur la « Série noire » de Gallimard dans les années 70 et 80.

En 1971, à quelques semaines d’intervalle avec la sortie du premier Manchette, l’Affaire N’Gustro, il publie son premier roman noir, la Divine surprise – référence évidente à la formule de Maurras saluant l’accession de Pétain au pouvoir. Son premier essai dans le polar est un coup de maître et les romans noirs s’enchaînent, parfois trois dans la même année, toujours en Série Noire. Viennent rapidement la Marche truque, les Panadeux et la Nuit des grands chiens malades, porté à l’écran par Georges Lautner sous le nom Quelques messieurs trop tranquilles en 1973 où l’on voit une communauté hippie s’installer dans un petit village du Berry et s’opposer à une bande de truands en s’alliant aux paysans du coin. Première incursion dans l’univers rural du Berry et de la Touraine, son pays natal. Le temps est humide, la Loire, le Cher et l’Indre sillonnent les vallées, les personnages ne boivent pas du ouisquie mais du Montlouis, mangent des rillons plutôt que des sandouiches et la langue est parsemée de patois et d’accents campagnards.

Une quinzaine de polars en un peu plus de dix années, dont les fameux L’otage est sans pitié (un directeur de banque se séquestre lui-même pour cambrioler son établissement), Le grand Môme (référence au Grand Meaulnes de son homonyme, dans lequel apparaît pour le première fois un personnage qui deviendra récurrent, le journaliste Sergueï Djerbitskine, alias Machin – avatar de Serge de Beketch) et Pour venger pépère (où un avocat tourangeaux cherche à venger le meurtre de son grand-père), jusqu’à On n’est pas des chiens, paru en 1982.

Ses romans, écrits et menés à un train d’enfer, sont une plongée dans la France d’avant, celle des années 70 : la banlieue et ses achélèmes, les bistrots et les juke-boxes, les bandes de loubards, les mairies communistes, les Citroën SM… Alors que tous les autres néo-polardeux sont issus de l’héritage de la gauche de 68, glorifient les truands et font dérouler leurs histoires à Paris ou dans les grandes villes d’Europe, A.D.G. critique le milieu du banditisme, met en scène des demi-idiots, ou des sales types sans code d’honneur, et choisit la Touraine pour lieu de ses polars. Tours, mais aussi Blois, Orléans, Bourges, Châteauroux… A.D.G. a puisé au fond du terroir d’où il est issu une partie de son inspiration, donnant à son œuvre cette saveur particulière.

Le style A.D.G. : critique sociale et invention d’une langue

Son style, en héritier de Balzac pour ses talents d’ethnographe, de Céline pour son côté provocateur et sa gouaille décapante et de Simonin pour l’usage de l’argot, fait fureur. Sa comédie humaine : des petits truands à demi-crétins, des victimes pas très malines, des pieds nickelés, des personnages libres et hauts en couleur, brocanteurs, chiffonniers, pauvres bougres vivant de rapines et de menus trafics dans des petites bicoques défraîchies.

Critique de notre modernité, de l’air du temps, de la bétonisation à outrance, des magouilles politiciennes de l’époque Pompidou-Giscard, A.D.G. truffe ses romans d’allusions politiques. Il pressentait dès les années 1970 la décomposition de la France au pied des barres « achélèmes ». Il était largement en avance sur la littérature française blanche, incapable de voir plus loin que le bout de son nez et aujourd’hui totalement oubliée. Ses romans associent la critique sociale virulente avec un humour parodique et une langue inimitable faite d’argot et de trouvailles lexicales.

Car A.D.G. ce fut surtout une langue, inimitable, argotique, populaire et inventive. Il a créé son propre univers lexical, qui va bien au-delà de l’argot classique que nombre de polardeux maniaient dans le champ de la truanderie (de Simonin à Boudard, en passant par Audiard). Digne héritier d’une race d’écrivains allant de Rabelais à Frédéric Dard ; cet amoureux génial de la langue française a forgé sa propre langue. Le langage adégien mêle des parler locaux (des patois tourangeaux et berrichons) avec une avalanche de trouvailles, de calembours et de gallicismes (achélème, sandouiche, nouille-orque, ouiquende, chouine-gomme, bule d’ozère…), A.D.G. faisait dans l’« hénaurme ». Dans son Dictionnaire Adégien, Hugues Galli recense pas moins de trois cents mots et néologismes créés (enképité, anichonnée, voyoucratique, flicophobe, s’alopécier…).

« Nous étions de droite rien que pour emmerder le monde qui d’ailleurs s’en fichait ».

Son stylo ne lui servait pas qu’à écrire des polars truculents, A.D.G. s’engageait très jeune dans des aventures éditoriales et politiques. Parallèlement à sa carrière d’auteur, il fut journaliste ; de pigiste à Réveil socialiste jusqu’à secrétaire général de rédaction de Rivarol en passant par grand reporter à Minute et chroniqueur dans Le Libre Journal de la France courtoise, la revue de Serge de Beketch.

Jeune militant d’Action française, ami intime de Le Pen et abonné aux fêtes Bleu-Blanc-Rouge, sa trajectoire faisait grincer des dents dans le milieu littéraire et journalistique dominé par le gauchisme culturel. D’autant plus qu’A.D.G. n’était pas du genre à donner des gages. Provocateur à l’esprit de contradiction assumé, il s’amusait à pousser le bouchon aussi loin qu’il le pouvait.

C’est par Louis-Ferdinand Céline qu’il était arrivé à la droite nationale. Il expliquait : « mon extrémisme politique est très fortement induit par la littérature, plus que par une analyse politique que je serais bien incapable de faire. Je suis un authentique autodidacte. J’ai eu mon BEPC de justesse et je me suis arrêté là. Je suis typiquement un réactionnaire. En réaction contre mes parents de gauche, je suis devenu enfant de troupe à 12 ans. Ma posture est esthétique, peut-être, mais cela fait partie du rôle de l’écrivain d’être à contre-courant ».

L’exil néo calédonien

En 1981, après une énième fâcherie avec la rédaction de Minute (l’engueulade est une spécialité du personnage) le trublion quitte la France métropolitaine et part s’installer en Nouvelle-Calédonie, dont il tombe amoureux ainsi que d’une jeune femme du coin. En 1985, en réaction à plusieurs mouvements insurrectionnels indépendantistes frappant l’île, il crée sa propre revue : Le Combat calédonien, un hebdomadaire farouchement anti-indépendantiste qu’il écrit quasiment seul et qui lui vaudra une flopée d’ennemis, des condamnations et des amendes. Là-bas, il écrit quelques polars qui se déroulent sur l’île (Joujoux sur le caillou, Les Billets Nickelés, C’est le bagne !) et surtout son roman d’aventures historiques sur la Nouvelle-Calédonie, le Grand Sud (1987), fresque racontant l’épopée française sur l’île à travers la vie de bagnards pendant la deuxième partie du XIXe siècle.

Il retourne en métropole en 1991, mais n’écrit pas de roman pendant plus de dix ans jusqu’à son retour en librairie en 2003, avec Kangouroad Movie à La Noire (Gallimard), et meurt le 1er novembre 2004, dès suite d’un cancer.

En flânant chez un bouquiniste, si vous avez l’occasion de trouver des vieux polars avec sur la couverture noire trois lettres imprimées en jaune d’or, prenez quelques heures de votre temps pour découvrir une littérature authentiquement française, de la plus grande France.

Sources :

Hugues GALLI, Dictionnaire Adégien. Néologismes, régionalismes et mots d’argot dans l’œuvre d’A.D.G., maître du néo-polar et amoureux des mots, L’Harmattan, 2021, 357 pages.
Thierry Bouclier, Qui suis-je ? A.D.G., Pardès, 2017.
Enquête sur le polar français, Livr’arbitres n°24, automne 2017.

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